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EAN : 9782012359581
210 pages
Hachette Littératures (11/01/2006)
3.92/5   12 notes
Résumé :
De 1917 à 1922, une épidémie de lettres anonymes s abat sur la ville de Tulle. Glissés dans les paniers des ménagères, abandonnés sur les trottoirs, les rebords des fenêtres et jusque sur les bancs des églises, ces centaines de courriers qui dénoncent l infidélité des uns, la mauvaise conduite des autres alimentent toutes les conversations et inquiètent les habitants. Peu à peu, une atmosphère de suspicion recouvre la ville : quel est donc ce mystérieux anonyme et q... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
C'est en étudiant la fiche cinématographique du "Corbeau" de Clouzot que j'ai découvert qu'il existait bel et bien une affaire dont s'était inspiré le scénariste Louis Chavance pour soumettre son projet de film dès 1937. Cette affaire, c'est celle des lettres anonymes de Tulle qui, avec des pauses bien sûr, avait marqué toute la ville entre 1917 et 1922. le point commun essentiel entre l'affaire et le film, c'est l'extrême nocivité qu'eurent ses retentissements sur la ville : nocivité tout d'abord sur les principaux intéressés - au début, tout tournait autour de la préfecture et de ses employés - puis sur le reste de la ville elle-même lorsque la presse s'empara des faits et en déforma certains à plaisir, pour mieux vendre.

Tout commença en décembre 1917, lorsque Angèle Laval, une simple secrétaire parmi tant d'autres à la préfecture, reçut une lettre lui conseillant de se défier de son supérieur hiérarchique, M. Moury, qui la "calomniait chez sa maîtresse." Personne n'aime à recevoir de telles missives et Angèle a un peu de mal à garder le silence. Puis, deux à trois jours plus tard, c'est au tour de son chef, M. Moury, de la prendre à part et de lui faire savoir qu'il a reçu une lettre, anonyme elle aussi, le mettant en garde, lui, contre sa subordonnée qui, selon l'auteur du billet, lequel signe "l'oeil du tigre", voudrait à tous prix qu'il l'épouse. Stupeur de Melle Laval, embarras profond de Moury, décision prise en commun de déchirer et brûler les deux lettres ... Mais Angèle, remuée - on le serait à moins - en parle quand même à son frère et à sa mère, avec qui elle vit et qui, depuis quelque temps, lui trouvaient, disons "mauvaise mine" ...

De toutes façons, le ver est dans le fruit. Moury commence à suspecter à droite et à gauche. Mais, visiblement, il a tort. Et lorsque, l'année suivante, il commence à s'intéresser sérieusement à une autre collègue, Marie-Antoinette Fioux, les lettres anonymes refleurissent de plus belle. On peut même dire sans rire qu'il s'agit là d'une vraie moisson. Cette fois-ci, l'auteur s'attaque sans distinction à toutes celles et à tous ceux qui, selon lui, s'opposeraient au mariage de Moury et de Melle Fioux. Ceux-ci, par contre, sont, dès qu'il les évoque, couverts d'éloges dithyrambiques. On sort à peine d'une guerre - et quelle guerre ! - qu'une autre, encore plus grouillante et rampante, à base de papier, d'encre, d'insultes et de rumeurs, menée dans un langage qui n'aurait rien à envier au plus grossier des troupiers, s'engage. A la préfecture, deux camps se forment vite : celui des Laval puisque, bien entendu, Angèle reçoit à nouveau des lettres la traitant de "salope" (c'est le plus gentil ) et lui ordonnant de cesser de clabauder sur "Melle Fioux", laquelle serait un véritable lys ; et celui, plus discret vu son degré hiérarchique, de Moury qui n'en épouse d'ailleurs pas moins Melle Fioux.

La première armée est menée par Jean Laval, le frère d'Angèle, qui fait partie de la même promotion que Moury et qui avait fait entrer sa soeur à la préfecture le 5 avril 1917 avant qu'elle ne préfère démissionner après la première affaire des lettres suspectes. La seconde, beaucoup plus clairsemée, ne comporte guère que le couple Moury et quelques rares fidèles. A la longue, tout le monde s'étonne en effet que, dans ces lettres bourrées d'ordures, le couple soit le seul épargné et, qui mieux est, régulièrement porté aux nues ...

Très vite, la rumeur en arrive à accuser Mme Moury qui, lassée de voir tout le monde lui tourner le dos, prend le taureau par les cornes et exige une première expertise graphologique. A partir de là, la machine s'emballe ... et effectue même un virage à 360 degrés puisque l'opinion publique, toujours volage, en arrive cette fois-ci à la conclusion que les Moury n'y sont pour rien . Bien au contraire, on parle désormais d'une campagne machiavélique destinée à contraindre les Moury à la demande de mutation de l'époux : les lettres ne les aurait encensés que pour mieux faire porter les soupçons sur eux et les déshonorer à jamais.

Dans l'hypothèse où la solution serait exacte, force est d'avouer que "l'oeil de tigre" serait alors soit d'une intelligence supérieure, une espèce de Fantômas doublé d'un Arsène Lupin (aux mobiles néanmoins beaucoup plus provinciaux et mesquins que les deux archétypes littéraires, le premier en effet n'ambitionnant ni plus ni moins que la domination du monde, le second n'ayant pour but que de se révéler, il est vrai là aussi au monde entier, comme le plus adroit, le plus légendaire et le plus gentleman des voleurs), soit complètement cinglé mais dans le genre très organisé, comme nous dirions aujourd'hui. On parle d'hystérie, on affirme que les lettres anonymes, ce sont plutôt des affaires de femme ... N'empêche : et si "l'oeil du tigre" était un homme ? et si, pire encore, ils s'étaient mis à plusieurs pour répandre ces horribles lettres ? ... Masculine ou féminine, la Folle du Logis se lâche avec délectation !

De tout cela, Clouzot retiendra le suicide d'un malheureux Tulliste pris dans la tempête et qui n'était responsable de rien, l'extraordinaire noirceur de l'ambiance qui étend ses ailes sur la ville pendant près de cinq ans et la personnalité "déséquilibrée" du responsable de tout cela. Cinéma oblige, il "raccourcit" la durée de l'affaire, ce qui la fait gagner en intensité, réduit encore la surface vitale de la ville incriminée et supprime la préfecture pour, dès le départ, faire s'envoler les lettres du "Corbeau" dans toutes les directions. On dit d'ailleurs que le titre du film fut très difficile à trouver. Personne ne voulait de "L'Oeil de Tigre". Alfred Greven, Allemand et chef de la Continental, faillit tout bonnement s'évanouir, n'en déplaise à Georges Sadoul, lorsque Chavance proposa, un tantinet sadique, un "Lettres Anonymes" des plus explicites mais qui aurait horrifié et gravement contrarié la Gestapo, laquelle, à cette époque, faisait justement ces choux gras de toute cette littérature délatrice. En définitive, "Le Corbeau", oiseau de mauvais augure, peut-être par analogie avec le patronyme de Marie Corbin, l'infirmière que l'on accuse à tort dans un premier temps, remporta la course. le terme avait devant lui un très bel avenir.

Quant au livre, je vous le recommande chaudement : simple, précis, reprenant l'affaire pas à pas, aplanissant les pistes pour que le lecteur ne s'y perde pas, pointant du doigt le rôle dévastateur de la presse de l'époque (sur laquelle le film s'attarde peu) et terminant sur un chapitre consacré au film puisque c'est bien Clouzot qui allait donner ses ... hum ... "lettres de noblesse" à celles de "l'oeil de Tigre", rebaptisé "Le Corbeau." ;o)

Pour la fiche sur le film de Clouzot, si ça vous intéresse, c'est ici : http://notabene.forumactif.com/t16983-le-corbeau-henri-georges-clouzot
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Jean Yves Naour, historien spécialiste de l'entre-deux guerres, nous livre ici une enquête minutieuse sur l'origine du « Corbeau » qui a inspiré le film de H-G Clouzot.
Tout commence dans la ville de Tulle, et plus précisément dans la préfecture de la Corrèze où un dépit amoureux provoque l'avalanche de lettres anonymes ordurières voire pornographiques. L'émoi est à son comble et la tâche n'est pas facile pour le juge d'instruction d'autant que les soupçons se portent sur un couple fraîchement marié, seuls personnes louées par l'anonyme, dont le mari a justement été l'objet des assiduités d'une vieille fille jalouse. Sur ce, se greffent les luttes de pouvoir et les mesquineries de bureau. Mais un premier mort, greffier rendu fou par les fausses accusations, relance la machine judiciaire. le juge convoque un expert « graphomaître », rendant la défense sceptique, et hilare la presse populaire des années 1920.
Les soupçons changent de camp et l'on s'attache au personnage de Angèle Laval, « vierge folle », vieille fille maniaco-dépressive et suicidaire. L'intérêt de l'analyse de le Naour réside dans la description au scalpel à la fois de l'appareil judiciaire de l'époque mais aussi des préjugés et des a-priori de la population, notamment en ce qui concerne le mythe de la vieille fille, entretenu longtemps dans la littérature du 19ème siècle. Bien sûr, en lecteur, on cherche d'abord l'auteur probable de ces lettres et le documentaire historique devient un roman policier. On ressent comme un malaise à lire ces extraits de lettres, on revoit comment la presse populaire et nationale s'empare d'un faits divers, comment le secret de l'instruction peut être trahi dans cette époque lointaine et si proche à la fois.
Suit une conclusion sur le film de Clouzot et les conditions de sa sortie dans la France occupée. On apprend qu'on a reproché à Clouzot d'être produit par la Continentale, dirigé par un nazi, de faire, dans ce film qui se déroule « dans une petite ville de province », de la propagande anti-française. Il faut dire que le film sort lui–même dans une atmosphère de délation et de dénonciations anonymes et rompt avec les bons sentiments ambiants.
Une lecture prenante à rendre parano !

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Une psychopathe, jalouse et névrosée, on le saura des mois plus tard, arrose toute une ville de lettres anonymes révélant les frasques réelles ou supposées de fonctionnaires et autres personnalités en vue de la bonne ville de Tulle. L'incompétence des enquêteurs, la crapulerie des journaleux avides de sensationnel, les “faits-diversiers”, les bassesses de tout un chacun conduiront à des morts et suicides. Les circonstances agissent en révélateurs des sentiments humains. Toute ressemblance avec Outreau et #Meetoo ne serait pas une coïncidence. Une occasion de revoir le “Corbeau” de Clouzot ou le film de Preminger.
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Le fait divers est un fait social à part entière, et par conséquent historique, qui porte un éclairage sur les « dérèglements du monde », sa monstruosité, ses laideurs, ses failles. Roland Barthes a souligné qu'il peut être considéré tel un « témoignage capital de la civilisation » (Structure du fait divers. Essais critiques. 1981).


Entre 1917 et 1922, la ville de Tulle vit sous la terreur d'un anonymographe, surnommé l'oeil du tigre, qui éclabousse toute la communauté. Personne n'échappe à ses lettres abandonnées quotidiennement dans les endroits les plus incongrus, ni les élus, ni les fonctionnaires de la Préfecture, pas davantage les ecclésiastiques, commerçants, médecins ou juges. le poison social, sous forme de méfiance, rivalités, haine, calomnies, insultes, délations, se répand rapidement, encouragé par la démesure de la presse à scandale qui fait ses choux gras de cette chronique provinciale. Pour ces faits, qui ont entraîné deux morts, une femme sera jugée et condamnée en 1922.


Jean-Yves le Naour est historien spécialiste de la 1ère guerre mondiale. Il livre dans le Corbeau, histoire vraie d'une rumeur, le fruit de ses recherches documentaires : articles de presse, témoignages, extraits des lettres, relatant l'enquête policière, le déroulement du procès. Il restitue avec une précision saisissante l'histoire d'un fait divers qui aurait pu sombrer dans l'oubli si Henri-Georges Clouzot ne s'en était pas largement inspiré pour réaliser son film mythique : le Corbeau en 1943.
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Un travail fouillé d'historien avec une plume qui vous tient en haleine. S''il n'y avait pas ces deux suicides on pourrait en rire. Une rumeur gonfle jusqu'à la nausée. Les médias ne sont pas pour rien dans ce drame qui fait perdre pied au juge. Tous les rouages d'une affaire médiatico- judiciaire qui accouchera d'une peine requise pour l'accusé bien légère.On ressent l'atmosphère délétère qui plombe cette petite ville au fil des années et nous démontre que le genre humain peut être ignoble. le réalisateur G. Clouzot ne se trompera pas en adaptant en 1943 ces faits dans un des films noirs les plus réussis de l'histoire du cinéma. Il subira aussi la rumeur et la déchéance momentanée.
Je n'ai pas cessé de penser en le lisant aux réseaux sociaux avec leurs posts et commentaires nauséabonds.
Le monde a changé pas les hommes.
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Une mystérieuse affaire de lettres anonymes, un cadavre, l'émotion de toute une ville, une préfecture paralysée par les rivalités comme par le soupçon, autant d'ingrédients qui ont le don d'attirer ces journalistes spécialistes du crime.
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Le juge Richard sait en tout cas à quoi s'en tenir : une fouineuse, une frustrée pleine de haine et de rancune, une femme humiliée qui rêve de vengeance, n'est ce pas là un profil idéal pour devenir "l'oeil de tigre" ?
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Vidéo de Jean-Yves Le Naour
Interview de Marko et Jean-Yves Le Naour pour Le réseau comète, chez Grand Angle
>Criminologie>Délits et crimes>Homicides, crimes sexuels, kidnapping (140)
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