AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782021003949
304 pages
Seuil (03/01/2013)
3.69/5   160 notes
Résumé :
Après vingt-trois ans d’absence, Alain Mabanckou retourne à Pointe-Noire, ville portuaire du Congo. Entre-temps, sa mère est morte en 1995.

Puis son père adoptif, peu d’années après. Le fils unique ne s’est rendu aux obsèques ni de l’un, ni de l’autre.

Entre le surnaturel et l’enchantement, l’auteur nous ouvre sa petite valise fondamentale, celle des années de l’enfance et de l’adolescence dans ses lieux d’origine.
Que lire après Lumières de Pointe-NoireVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (36) Voir plus Ajouter une critique
3,69

sur 160 notes
Invité par l 'Institut français de Brazzaville d 'animer des conférences , l 'auteur saisira cette occasion pour joindre
l 'utile à l 'agréable et ainsi revoir sa famille , son pays qu il a quitté depuis vint-trois ans et surtout revoir sa chère ville natale de Pointe-Noire là où il a passé son enfance et son adolescence .
Durant son absence ,bien de l 'eau a coulé sous les ponts du pays et beaucoup d 'événements y eurent lieu .En
1960 , le pays accéda à l 'indépendance .Peu de temps
des violences éclatèrent entre les Nordistes et les Sudistes
pour le contrôle de la manne pétrolière .Les premiers soutenus par les Français et les autres par les Américains
Arriva ensuite , l ' ère socialiste .Le président Marien Ngouabi est assassiné .Une période trouble et violente pour un pays nouvellement indépendant .
Durant son absence ,Maman Pauline est décédée suivie dix ans plus tard par Papa Roger .L 'auteur n 'assista pas aux obsèques ni de l 'une ni de l 'autre pour la simple raison qu 'au Congo la tradition voudrait que les enfants
regardent le défunt et leur parlent dans l 'oreille .Cette tradition est traumatisante pour l 'enfant ce qui explique
sa phobie de ne pas s 'approcher d 'eux .
C 'est l 'occasion pour l 'auteur de revoir ses cousins , ses
cousine , ses tantes et ses oncles .
l''auteur aura l 'occasion de se rendre aux anciens établissements où il a étudié à Pointe-Noire .
Les gens viennent le saluer et lui parler car l 'auteur du
fait de sa réussite sociale est devenue la fierté de ses
compatriotes .
Ce roman est un livre de souvenirs chers à l 'auteur .La nostalgie est omniprésente et on relève l 'amour qu 'il éprouve pour les différents lieux qui représentent des jalons de sa vie d 'enfant et d 'adolescent
Un retour vers le passé ou une introspection .

Commenter  J’apprécie          427
A sa maman Pauline, à sa ville lumière. Après avoir évoqué ses souvenirs avec Papa Roger en regardant survoler des cigognes à l'âme éternelle, je retrouve mon ami Alain. On s'est croisé, tu m'as souri, je t'ai écouté, j'étais enchanté, alors je te considère comme un ami, tu étais trop occupé, une file s'était amassée derrière moi, attendant que tu leur dédicaces ton dernier roman, une foule en délire surchauffés presque comme contre le combat entre Mohamed Ali et Georges Foreman au Stade du 20 Mai à Kinshasa. Tu étais donc bien occupé, comme quand tu rentres au pays après un voyage vers l'Europe et les Amériques de plus de 25 ans. Sinon, penses-tu, je t'aurais invité à boire une bière, derrière la Boite à Livres, et je t'aurais écouté pendant des heures et des heures, évoqué le quartier Trois-Cents de ta ville Pointe-noire et ses lumières dans la nuit noire illuminée juste par quelques étoiles et quelques sourires de ces filles et de ce grand écrivain que je suis et bois du regard avec mon verre cassé.

Tu as rarement l'occasion de revenir, même pour les funérailles de maman Pauline tu t'es abstenue, le coeur déchiré, c'est donc l'occasion de revoir tes tantes et tes oncles, tes cousins et maintenant tes neveux, la famille est toujours aussi grande et vit dans des parcelles aussi petites. Mais la chaleur des souvenirs en ferait presque oublier le soleil de Santa Monica et ses corps huilés. Ici c'est l'huile d'arachide que tu sens, de grandes marmites de poulet qui se mijotent dans des cuisines et des mamas en pagnes. Ici c'est la poussière des rues qui se soulève sous les sandales des enfants qui courent, comme le sable de la plage de Santa Monica emporté par les roues des gros quatre-quatre aux vitres teintées. Maman Pauline n'y est plus mais son âme y est restée. Elle te regarde, et te guide à travers les souvenirs qui te restent de ta ville d'enfance, ta ville avant que tu ne débarques en France. Tu retrouves ainsi ce vieux cinéma Rex, transformé en église ou en mosquée. Tu retournes à ton lycée Karl-Marx, bien sûr les professeurs ont changé, les tiens sont retraités ou décédés. Il y a même une plaque qui t'y est dédié. Car tu es devenu un homme important, plus même qu'un président. Tu es là pour faire survivre ton quartier, ta ville, ton pays. Tes souvenirs deviennent nos souvenirs, j'ai l'impression d'avoir partagé quelques intimités avec toi, je te suivrai d'ailleurs où tu voudras, surtout si tu voudras boire une bière avec Robinette.

Dans la poussière de Pointe-noire, j'y suis et je vois ses lumières, ses culs que j'admire sous la lune - oups ses sourires devrais-je dire sinon tu vas rire -, et dans la fureur d'un Black Bazar, j'y retournerais encore, l'air hagard mais certainement pas par hasard. Mon ami Alain, une nouvelle fois, tu m'as marabouté... comme Killian M'bappé.
Commenter  J’apprécie          320
Après vingt-trois ans d'absence, Alain Mabanckou revient au Congo pour écrire un livre sur sa famille.

Quelques années plus tôt, quand ses parents sont morts, il n'a pas fait le voyage — pas par manque d'amour, mais plutôt par phobie des cadavres. Cette peur remonte à l'enfance, quand la tradition voulait qu'on expose les défunts afin que chacun, même les enfants, leur disent adieu en leur parlant à l'oreille. Aujourd'hui, invité par l'Institut français pour des conférences, il va rencontrer des membres de sa famille, des amis et des Congolais. C'est l'occasion de se retourner sur son passé d'enfant et d'adolescent ponténégrin.

Il redécouvre la ville de Pointe-Noire : la basse ville, le bord de mer, son ancien lycée. Les gens le reconnaissent et lui racontent ce qui s'est passé pendant son absence. En 1960, le pays a acquis son indépendance. le contrôle du pétrole a entrainé deux guerres civiles qui ont opposé les Nordistes et les Sudistes soutenus, les uns par les français, les autres par les américains. Puis il y a eu la période marxiste avec Marien Ngouabi et Denis Sassou Nguesso. Et aujourd'hui, après un exil en France et des élections très contestées, Sassou est revenu au pouvoir.

Au-delà de l'histoire politique, Lumières de Pointe-Noire est un roman qui parle de l'Afrique traditionnelle, de la mort et du rapport aux morts. Alain Mabanckou revient sur les croyances, les coutumes et les superstitions de son pays. Quand il retrouve sa famille, chacun attend de lui qu'il donne un cadeau. Il ne doit pas regarder l'hôpital, ni visiter ceux qui y sont, car cela porte malheur. Sur la parcelle de sa mère, deux chaises vides sont disposées, une cousine lui chuchote à l'oreille : « c'est ton père et ta mère qui sont assis sur ces deux chaises ».

L'auteur a illustré son roman avec des photos. Et symboliquement, les personnages photographiés semblent ne pas prendre la vie (et la mort) au sérieux.

Alain Mabanckou n'est pas allé sur la tombe de ses parents. Ce n'était plus nécessaire puisqu'ils se sont retrouvés pendant ce voyage, « ils sont venus vers lui ».
Commenter  J’apprécie          340
Alain Mabanckou Lumières de Pointe -Noire – Seuil –( 19,50€- 282 pages)

Alain Mabanckou aura attendu vingt-trois ans pour effectuer son « retour au bercail », sorte de pèlerinage , à l'instar de Dany Laferrière dans l'Enigme du retour.
Invité par l'Institut français de Brazzaville, en 2012, l'auteur en profitera pour retrouver des ponténégrins et renouer avec ses proches tout en alimentant le terreau pour le livre qui retracera ce séjour. le récit alterne passé et présent, conjugue la veine autobiographique et une fresque qui capte la vie dans les rues, les bars et la foule anonyme, sorte d'état des lieux du Congo.
L'auteur nous ouvre des pans plus intimes en insérant des photos de son album familial en fin de chapitre.
Le roman débute par une confession d'autant plus touchante qu'il s'agit de révéler pourquoi l'auteur avait choisi d'occulter ( en 1995) la disparition de sa mère: « atermoyer le deuil ».

Tout en brossant un sincère portrait de Pauline Kengué , figure féminine déjà évoquée dans de précédents romans. Il met en exergue les qualités de business woman « chevronnée ». Sa maturité précoce lui permit de percevoir ce que sa mère lui taisait. Avec émotion et gravité il se remémore son enfance, leur relation filiale et leur ultime tête à tête. Les dernières paroles de cette mère, pétrie d'abnégation, sont à jamais gravées : «  Mon petit,ne me déçois pas », « Deviens celui que tu voudras devenir... »et scellent une douloureuse et poignante séparation. Les références culturelles s'infiltrent dans la description de la « bicoque » digne d'un roman de Sepulveda ou Hemingway. Alain Mabanckou témoigne de son attachement viscéral au « patrimoine familial ».
Son enfance a été baignée de légendes rattachées à la lune,( « l'oeil céleste», fête du Sacrifice) et de prophéties, de croyances ( présence d'un corbeau) qui lui ont laissé de profondes empreintes, tant il fut rempli d'effroi à la vue de Massengo, cet épouvantail ou d'un corbillard.

Autour de Pauline, gravite une famille exponentielle. Parmi cette fratrie,un bataillon de cousins, on croisera les figures les plus marquantes. Son géniteur ayant déserté, Papa Roger sera son père de substitution, autodidacte qui lui inculqua le goût des mots, la curiosité, l'ouverture d'esprit. Il l'initia à la lecture de la presse, « lectures du monde » et à l'usage du dictionnaire pour enrichir son vocabulaire (apocryphe).Il développa son appétence pour« la fragrance de la pomme verte ». Pathétique sa rencontre avec «  mère Teresa », qui veilla sur sa croissance et qui n'est plus qu' « une loque humaine », en état de déliquescence. Avec Grand Poupy, « tombeur de ces dames », il revisite ses frasques amoureuses. Yaya Gaston sème le trouble, grisé d'être un personnage de roman.
Il est impressionné par « ces petits anges »qui lui collent aux basques et veulent une photo avec lui.

Alain Mabanckou convoque aussi les disparus « personnages ensevelis dans les ténèbres » et les ressuscite en évoquant des tranches de vie ( chasse nocturne). Il découvre le sens des chaises vides.

Le narrateur est perçu différemment selon les personnes croisées. Quand on a renié sa famille depuis des décennies, on doit s'attendre à prendre des claques et recevoir un tombereau de reproches. Pour certains il est le « grand frère », pour d'autres « petit frère », ou encore « l'Américain ». Pour les plus jeunes de sa fratrie, il est « une apparition, une ombre... »
Il incarne l'écrivain que beaucoup rêvent de devenir,celui qui vit chez les Blancs,qui passe à la télé. Pour Grand Poupy il était devenu « un affabulateur public ». On devine un fossé entre lui-même et les autochtones, devenu un étranger, dans leurs échanges. N'est-il pas « déconnecté de la réalité »?
Le cinéma Rex marqua l'enfance de l'auteur au point de donner aux chapitres de la seconde partie des titres de films, traduisant les références cinématographiques de l'auteur.

En parallèle s'esquisse la façon dont le narrateur a engrangé ses connaissances au fil de sa scolarité, fréquentant très tôt la bibliothèque. Il prit plaisir à mystifier ses camarades en leur contant ses fictions. Il reste imprégné par ses cours de philosophie qui lui forgèrent l'indépendance d'esprit.

L'auteur sait alterner gravité et scènes plus légères, matinées d'humour comme les leçons de drague, l'incident du kundia. Avec auto dérision , il revient sur sa naïveté quant à sa lecture dans l'ordre alphabétique. Avec tendresse il évoque sa confusion quand il découvrit que sa mère lisait le journal à l'envers, elle qui se sentait exclue de la complicité de son fils et Papa Roger.


Alain Mabanckou radiographie la vie congolaise: port de l'uniforme dans les écoles, levée
des couleurs et hymne national, pénurie de médecins qualifiés, rejet de l'anglais, méfiance des Blancs. Il aborde la religion ( catholicisme supplanté par l'église pentecôtiste), la prostitution.
Il ne partage pas la vision d ' « un paradis de misère », au contraire il nous conduit vers « les points de lumière » que savent débusquer les enfants. Pour eux le bonheur se niche dans un pneu, des tongs, l'imaginaire prend la relève. L'auteur souligne l'esprit solidaire,l'euphorie collective.

En filigrane défilent le passé colonial une nation marquée par les stigmates de « la traite négrière » , les conflits nordistes/sudistes,la guerre civile,jusqu'à son indépendance en 1960.

Avant de s'envoler pour Paris, l'auteur, « oiseau migrateur » confie ce qu'il n'a pas fait, aurait dû faire. Une pointe de nostalgie accompagne ses adieux à sa « concubine », car il subodore comme C.M. Cluny qu' « il y a des lieux que l'on pressent ne jamais revoir, des êtres ne jamais revoir ».

Alain Mabanckou signe un roman touchant dans lequel il tente de s'amender après avoir été taraudé par tant de culpabilité et d'ingratitude. Voilà «  l'oubli, l'indifférence réparés », mais peut-être achetés par ses enveloppes laissées discrètement à ses proches. Récit ponctué d'anecdotes, de souvenirs immarcescibles servi par une écriture épurée, une plume « corrodée par le sel des regrets ». Un livre-mémoire, empreint de tendresse, d'amour, de déférence.
Une bel hommage d'un fils à sa mère. Inutile d'attendre d'être à la lettre M pour découvrir cet auteur couronné en 2012 par le prix de l'Académie française.
Commenter  J’apprécie          81
Pointe-Noire Congo vingt -trois ans qu'il est parti! Invité par le centre culturel français à Pointe-Noire Alain Mabanckou revient au Congo; sa mère Maman Pauline est décédée en 1995, son père adoptif Papa Roger 10 ans plus tard.
Il va brutalement reprendre contact avec la ville de son enfance, avec sa famille les 8 enfants de Papa Roger et leurs cousins et descendance. Il arpente les rues essayant de retrouver souvenirs et fragrances enfouis au fin fond de sa mémoire.
Un récit intimiste , un chant d'amour, un effort de mémoire et de transmission.Je ne sais si découvrir l'oeuvre d'Alain Mabanckou à travers ces lignes était le mieux mais j'ai été subjuguée par son écriture et je me suis promise de partir bien vite à la découverte des romans précédents..
Commenter  J’apprécie          230


critiques presse (6)
LaPresse
15 février 2013
Un récit ondoyant et poignant, cru et poétique. Bref, un tableau fait de mots.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Bibliobs
21 janvier 2013
Mabanckou raconte, décrit, transcrit, plutôt que de s'appesantir sur les sentiments contradictoires qu'il éprouve. Au lecteur de les deviner. Ce n'en est que plus bouleversant.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Liberation
14 janvier 2013
Dans Lumières de Pointe-Noire, Mabanckou sonde sans cesse l’écart entre le territoire mythique dont il garde la mémoire et le devenir réel des choses soumises au passage du temps.
Lire la critique sur le site : Liberation
LePoint
14 janvier 2013
Ce récit brûlant d'amour [...] ressuscite en mots le lien puissant, ineffaçable, éternel, qui vibre entre un fils - unique - et sa mère, entre un écrivain congolais de la diaspora devenu une vedette en Europe et en Amérique et Pauline Kengué, "modeste paysanne de Louboulou".
Lire la critique sur le site : LePoint
Lhumanite
06 janvier 2013
Vingt-trois ans après, Mabanckou revient dans 
la ville de son enfance, 
Pointe-Noire. Le choc est tel qu’il se sent contraint de noter tout ce qu’il voit.
Lire la critique sur le site : Lhumanite
Telerama
02 janvier 2013
Le regard scrute l'espace et le temps de manière cinématographique — chaque chapitre renvoie à un titre de film, passe avec le même brio de la couleur au sépia, du plus léger au plus grave. Au bout du voyage, le constat est lucide : ce pays qui vit en lui n'est plus le sien
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (61) Voir plus Ajouter une citation
Je l'appelais «grand-mere Hélène », elle était en rélite ma tante et habitait dans la rue de Louboulou, juste derrière le domicile de tonton Albert. Elle marchait pieds nus, s'arrêtait devant chaque parcelle pour offrir des légumes, des fruits, du manioc, du foufou ou une dame-jeanne de vin de palme. Elle était de ceux dont on croirait qu'ils sont nés déjà vieux, édentés, avec leurs cheveux blancs et une démarche hésitante de gastéropode égaré, tant il était impossible de s'imaginer que grand-mère Hélène aussi avait été jeune, On ne pouvait déterminer son âge, elle-meme l'ignorait, ayant vécu sans pièce d'identité et sans acte de naissance. En son temps, pour obtenir ces documents, il fallait se rendre auprès des autorités coloniales qui mesuraient la taille, regardaient la dentition et affectaient une année de naissance approximative avec la fameuse mention Né(e) vers... Ni son mari, Vieux Joseph, ni elle ne firent le déplacement, d'autant que plusieurs chefs coutumiers qui ne manquaient pas d'imagination dans le combat contre l'administration coloniale propageaient des rumeurs selon lesquelles les Blancs avaient un plan secret : emporter en Europe l'âme de ceux qui accepteraient de se faire établir des documents d'état civil.
Commenter  J’apprécie          170
Il n'y a plus de cinéma dans cette ville, et cela dure depuis les années 1990 où la population a vu se propager les Églises de Réveil qui ont pris d'assaut la plupart des salles dédiées au septième art. Le cinéma Rex, espace mythique de projection de films, est devenu une église pentecôtiste dénommée La Nouvelle Jérusalem, avec ses pasteurs endimanchés qui annoncent l'Apocalypse à tour de bras, menacent les mécréants des flammes de la géhenne et promettent à leurs ouailles miracles et fortunes. La désillusion se lit sur les mines des aveugles, des sourds, des muets et des paralytiques. Ils traînent dans les parages et espèrent une guérison divine.
C'est pourtant là que nous nous attroupions et attendions chaque matin le collage de l'affiche du film qui serait projeté à partir du début de l'après-midi. C'est aussi là que nous acclamions les aventures de Bud Spencer et Terence Hill dans On l'appelle Trinita, On continue à l'appeler Trinita ou Deux Super-Flics. C'est encore là qu'un portier, boxeur professionnel au visage de truand du Far West, faisait la loi, nous indiquait où nous devions nous placer dans la queue. Il travaillait avec ses gants de boxe autour du cou et, au moindre remue-ménage dans la foule, il les enfilait. Nous étions ses sujets, nous devions nous plier à sa volonté, à ses caprices au risque de prendre un uppercut qui nous enverrait tout droit à l'hôpital Adolphe-Sicé. Il vous éjectait de votre siège selon son humeur afin de placer un de ses parents ou quelqu' un qui l'avait soudoyé, et vous n'aviez plus qu'à vous asseoir par terre. II laissait entrer les gamins à une séance interdite « aux moins de dix-huit ans » moyennant une pièce de cent francs CFA. Autant que je m'en souvienne, c'était lui le responsable direct de la plupart des rixes devant le cinéma ou à l'intérieur, comme s'il tirait profit des lieux pour appliquer ce qu'il avait appris dans la salle d’entraînement. Puisqu'il était laid, on l'avait vite surnommé « Joe Frazier » en écho aux propos de Mohamed Ali qui traitait son opiniâtre concurrent de la sorte.
Commenter  J’apprécie          90
Le regard de l'inconnu est presque humide, comme si des larmes allaient couler de ses yeux. II considère un instant la bouteille de bière et enchaîne:
- Monsieur l'écrivain, tu ne sais pas ce qui s'est passé dans ce pays de merde. C'était terrible ! Les journaux n'ont pas dit la vérité parce que ces journaux, c'est écrit par qui, hein ? Par des espions, c'est-à-dire les Français ! Depuis quand les Français disent la vérité ? Ils mentent tout le temps! Moi j'ai vu cette guerre de mes propres yeux, j'étais là, j'étais dans le groupe des réfugiés. Parfois des femmes enceintes accouchaient dans la brousse parce que, entre nous, les bébés ils naissent même quand y a le pétrole et la guerre dans un pays. Le pire c'est qu'on continuait à faire l'amour pendant que la guerre tuait des gens en pagaille. Tu me demanderas certainement pourquoi n'avoir pas attendu la fin de la guerre pour faire l'amour ? Ah non, on ne pouvait pas attendre la fin de la guerre sinon on allait oublier comment faire 1'amour et, à la fin de cette putain de guerre, on aurait fait l'amour avec les animaux ! C'était pas nouveau : dans l'histoire de ce monde il paraît que des gens faisaient même l'amour alors qu'il y avait le choléra...
Commenter  J’apprécie          131
J'ai maintenant beaucoup de « nièces » et de « neveux ». Un petit groupe m'entoure dans la parcelle de tonton Albert, avec de gros yeux qui me dévorent, de petites mains qui me tirent par la chemise. Dès que je bouge d'un pas, cette tribu bourdonnante me suit, et si je m'arrête, elle s'arrête aussi, sans doute de peur que je disparaisse. Pour ces mômes je suis une apparition, une ombre qui s'évanouira lorsque le soleil se couchera. Dans leur esprit je ne suis qu'un personnage habilement construit par leurs parents, au point que les pauvres bambins s'imaginent que je pourrais donner des jambes aux paralytiques et la vue aux aveugles. Un d'entre eux - le plus grand de taille - me renifle tel un chien essayant de reconnaître son maître trop longtemps absent. Chacun veut parler le premier. Untel veut des sandales et se lance dans des explications amphigouriques :
- Parce que, tonton, tu comprends, quand tu n'as pas de sandales neuves, tu peux pas arriver à l'heure en classe, tu dois les réparer dans la rue pendant deux heures, et quand tu expliques ça au maître, lui il ne veut pas comprendre, il dit que tu n'es qu'un petit menteur alors que c'est même pas vrai que moi je peux mentir ! Est-ce que toi tu me crois, tonton ?
Commenter  J’apprécie          121
A ses yeux j'étais le prolongement de son existence, la lueur ultime dans la traversée d'un tunnel incommensurable. J'étais le signe indéniable d'une immortalité qu'elle aurait enfin acquise lorsque je me délivrai de son ventre dans un bâtiment délabré du district de Mouyondzi en cette nuit à la fois torride et glaciale du 24 février 1966 où la lune peinait à intimider les ténèbres tandis que les coqs s'impatientaient à annoncer l'aube d'un autre jour. Incrédule devant un bonheur à peine altéré par le souvenir de la débâcle de mon géniteur, elle posait avec angoisse ses mains fébriles sur ma poitrine, vérifiais que je respirais encore, que je n'étais pas une apparition qui se déroberait dès qu'elle aurait le dos tourné.
Commenter  J’apprécie          192

Videos de Alain Mabanckou (129) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Alain Mabanckou
Retrouvez les derniers épisodes de la cinquième saison de la P'tite Librairie sur la plateforme france.tv : https://www.france.tv/france-5/la-p-tite-librairie/
N'oubliez pas de vous abonner et d'activer les notifications pour ne rater aucune des vidéos de la P'tite Librairie.
Si je vous dit le Crédit a voyagé : à quel écrivain, qui connaissait bien l'Afrique, pensez-vous ? le voyage… au bout de la nuit… Mort… à crédit…
« Verre cassé », d'Alain Mabanckou, c'est à lire en poche chez Points Seuil.
autres livres classés : congoVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (329) Voir plus



Quiz Voir plus

L'Afrique dans la littérature

Dans quel pays d'Afrique se passe une aventure de Tintin ?

Le Congo
Le Mozambique
Le Kenya
La Mauritanie

10 questions
289 lecteurs ont répondu
Thèmes : afriqueCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..