Dans la pension
Miramar, à Alexandrie, l'Egypte révolutionnaire de l'époque Nasser se réunit. Il y a Marianna, la tenancière, Grecque que les années ont éprouvée. Elle a vu sa pension, autrefois réservée à l'élite, vivoter difficilement. Elle reçoit Amer Wagdi, un vieillard, ancien journaliste qu'elle a bien connu autrefois. Wagdi a été de tous les combats idéologiques, a de tout temps exercé son esprit critique contre les pouvoirs en place. La vie ne l'a pas épargné non plus, le privant d'une femme qu'il aurait aimée. Comme lui, un autre vieillard occupe une chambre de la pension. Il s'agit de Tolba Marzuq, un notable que la révolution a dépouillé de nombre de ses biens. Bientôt arrivent trois jeunes hommes, eux aussi témoins de l'évolution de l'Egypte.
Mansur Bahi, que l'on dit animateur à la radio, entretenait des amitiés avec un groupe révolutionnaire. Echappant de peu à l'arrestation, il est partagé entre le désespoir de ne pas connaître le sort de ses amis et la volonté de retrouver un amour perdu. Hosni Allam, jeune homme de bonne famille mais sans diplôme, n'a pour lui que des biens immobiliers qu'il envisage d'investir dans une affaire. Cependant, son oisiveté le pousse à chercher davantage les plaisirs de la vie plutôt qu'à réfléchir sérieusement à son projet professionnel. Enfin, Sarhan al Biheiri est un paysan dont l'intelligence lui a permis de devenir chef comptable d'une compagnie nationale. Véritablement élevé par la révolution, il semble cependant être de mèche dans un trafic dont on ne comprend pas bien la nature.
Mais le personnage central du roman est Zohra. Jeune paysanne, elle est engagée par Marianna en tant que domestique. Alors que son père voulait la marier à un vieillard, elle a fui son village et rejoint la ville. Elle fait l'admiration des hommes qui, tous ou presque, expriment à son égard, par leurs paroles, leurs gestes ou leurs regards, des preuves d'amour, qui se veut charnel ou bien paternel. Pour plaire à Sarhan al Biheiri, avec lequel se noue une relation amoureuse, elle tâche de s'instruire pour obtenir un meilleur métier. Victime, comme les femmes de ce roman, de la lâcheté des hommes, elle est le symbole lumineux – pas le seul, mais le plus mis en valeur – d'une féminité assumée et fière, revendicatrice, même, figure nouvelle dans l'Egypte des années 1950.
Autant que sur le fond, le roman de
Naguib Mahfouz réussit sur la forme. Organisé en cinq parties,
Miramar est un roman polyphonique où chacun des personnages masculins – à l'exception de Tolba Marzuq – narre cette même courte période durant laquelle la pension
Miramar est au complet. S'y déroulent des soirées où ces hommes apprennent à se connaître, échangent sur la vie politique de leur pays, surtout tâchent de s'attirer les faveurs de Zohra. La fin du séjour est plus houleuse : les disputes se succèdent aux bagarres, ayant pour origine les atermoiements amoureux de Zohra, les jalousies viriles et les espoirs déçus. Par la forme qu'il donne à son roman, Mahfouz tâche de rendre compte de la diversité égyptienne au milieu des années 1950, objectivant son propos et de le rendre, ainsi, plus vrai.
Il règne surtout dans le roman une atmosphère nébuleuse, plaisante mais mélancolique qui tranche avec le succès que se devait être la révolution égyptienne. Si les amours dominent les réflexions et, partant, la narration, c'est que c'est par ce biais que Mahfouz rend compte des changements en cours dans la société égyptienne. La femme, à l'image de Zohra (Marianna ne compte pas : elle est Européenne), s'émancipe de la lourde tutelle masculine. Les protestations d'amour et les promesses de mariage ne suffisent plus : les aspirations sont nouvelles : respect, égalité entrent en ligne de compte. Avec
Miramar,
Naguib Mahfouz dessine le portrait d'une Égypte qui se dit changée – et elle l'est, assurément, sur certains points – mais peine à se détacher de lourdes traditions.