Kurt Wallander ne se présente plus.
Un brin étranger à sa propre vie, un tantinet dépressif, le commissaire suédois se fond dans les hivers sans fin de la Scanie contemporaine, pose sa silhouette d'anti-héros dans les obscurités nordiques qui écrasent l'âme, tel un ciel baudelairien.
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle…
Après avoir mené un combat contre la dépression en arpentant sans fin la même plage, après avoir annoncé sa démission, Wallander reprend du service, l'âme plombée par l'acte d'avoir précédemment donné la mort et la culpabilité exacerbée. Refuser son aide à un ami qui meurt assassiné est peu anodin même si l'on est pas homme à faire étalage de ses émotions.
Mankell met ici en scène une confrontation entre l'homme pugnace aux épaules qui ploient et l'homme charismatique qui sourit. Entre le flic banal et le puissant. Entre le fonctionnariat et les multinationales. C'est le petit commissariat contre l'inaccessible château.
Toujours écartelé entre son goût pour la solitude et la nécessité du travail d'équipe, Wallander mène son enquête comme cela lui chante, l'intuition aux aguets. Ce qui lui réussira malgré le constat amer d'une Suède qui change, plus violente, moins morale. Ainsi va le monde, ici comme ailleurs.
J'ai accompagné Wallander pour la première fois. Sans déplaisir. Mais avec la même retenue que le bonhomme.
Comme si je ne parvenais pas à emplir mes poumons de l'air hivernal, comme si je ne parvenais pas à goûter pleinement cette Suède brouillardeuse. Moins glaciale que l'Islande d'un
Indridason, moins charnelle que la Louisiane d'un Burke, la Suède de Mankell évoque à peine les tempêtes qui balaient les terres. Je n'ai pas entendu les pas crisser dans la neige, les hurlements du vent qui siffle durement.
Peut-être est-ce parce que Mankell m'avait séduite dès les premières lignes.
"Le brouillard. Comme l'approche d'un prédateur silencieux."
Dès la première page, l'élément naturel devenait personnage. Wallander l'affrontait. Dès les premières pages, le commissaire donnait à voir une faille, son angoisse dans le brouillard blanc.
Quant à l'enquête elle-même, servant à épingler la mondialisation au service du crime, le grand capital blanchissant à tour de bras ses profits immoraux, avait-elle besoin d'un personnage aussi stéréotypé qu'Harderberg à force de l'avoir figé dans le mystère et l'inhumanité? le méchant désincarné devient plus une figure du mal qu'un dirigeant pourri. La dénonciation perd hélas de sa force.