Un conte, une fable, un roman,... peu importe la forme car cette histoire a fait écho. Comme j'ai aimé Solange. Cette femme qui aime qu'on la remarque et s'habille souvent en rouge, cette femme attirante, cette femme active, cette femme en accord avec son époque. Pourtant, un jour, elle croise une dame en bleu qui gêne la circulation car elle marche à son rythme... ralenti et, Solange se calque sur son pas. A partir de là, la femme flamboyante revêt un tailleur gris, quitte son travail, change sa manière de vivre et prend le temps. Elle loue même une chambre à la maison de retraite , y passe quelques fois, s'allonge au soleil, fait la sieste,... profite du temps sans plus aucune contrainte. Bien sûr, sa meilleure amie et son amant ont bien essayé de la faire revenir sur le "droit chemin" mais rien n'y fait. Sa fille, Delphine, si elle est étonnée et, peut-être effrayée par le chemin que prend sa mère, respecte son choix, essaie de la comprendre et toutes deux se rapprochent.
Certains trouveront sans doute cette histoire triste en la résumant à "vouloir devenir vieille avant l'âge" alors que cela va bien au-delà de cette simple apparence. Ce texte est riche de phrases qui résonneront aux oreilles de certains et resteront silences aux oreilles d'autres. Il n'y a rien de triste, à mon avis, car Solange a juste décidé de mettre sa vie en pause un moment ou pour toujours (ce sera à vous d'en juger car l'autrice laisse planer le doute), eu envie de regarder le temps passer sans aucune contrainte, sans aucun apparat. Il est plusieurs fois question de la vacuité mais qu'est-ce au fond? La vacuité à ne pas confondre avec le vide qui renvoie à un sentiment de néant. La vacuité, dans les spiritualités orientales, se définit comme l'absence d'être en soi càd l'absence d'existence propre mais pas l'absence de sens. Dans le bouddhisme, la vacuité est la nature ultime des choses autrement dit la réalité. Pour ma part, c'est ainsi que j'ai perçu cette histoire que j'ai trouvé sublime. Petit livre qui m'a beaucoup marqué car qui n'a jamais pensé vouloir tout quitter le temps d'un instant et n'avoir plus aucune contrainte sinon celle de regarder s'écouler le temps, le temps d'un bref instant, un temps de plénitude, de liberté absolue....
Vous l'aurez compris, j'ai été très sensible aux mots de l'autrice, à cet instant suspendu. Cela fait des années que ce livre est dans un coin de ma tête, c'est seulement maintenant que je lis et, j'ai compris pourquoi. C'était maintenant le bon moment pour apprécier cette histoire, plus jeune, je ne l'aurais pas lu avec une telle intensité. Il y a de bons moments pour chaque chose, il suffit juste de savoir attendre parfois....
Merci Madame Châtelet de m'avoir permis de savourer le temps de cette lecture!
Quelques phrases pour illustrer mon propos:
" [ ] on ne court pas lorsqu'on a dans les yeux l'émerveillement de l'indolence et dans l'oreille, le ravissement du pianissimo." p.15
"Elle parle pour parler, pour le plaisir des mots qui s'enfilent ou plutôt qui s'emmaillent. Un nom à l'endroit, un verbe à l'envers. Au tricot des phrases ne manque que le cliquetis des aiguilles." p.77
"Mais pour Solange, il n'y a pas que la lenteur, la densité, il y a, encore une fois, la sensation de plénitude à se retrouver sans désir, sans besoin, la griserie de n'être troublée par rien, par personne - pas même elle, lorsque dans son lit, par exemple, elle promène une main abstraite sur son ventre ou sur ses seins parfaitement assoupis- et cet inégalable sentiment d'un corps bouclé sur lui-même à qui n'est demandé ni prouesse ni performance." p. 85
"Solange désapprend l'apparence. C'est sa dernière trouvaille, sa nouvelle liberté." p.86
Belle lecture!
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La biscotte crisse, laisse croire qu'elle résiste, puis, comme si elle renonçait à elle-même, fond d'un coup sous la molle étreinte des lèvres mouillées. Cette embrassade intime correspond à l'exact effort que Solange consent mettre dans son existence. Elle aime le crissement et l'abandon pacifique de la biscotte. Avec le pain, il fallait mordre, vaincre une résistance. Elle ne veut plus mordre dans du pain. Elle ne veut plus mordre tout court. Grignoter, c'est sa nouvelle façon de consommer les choses, la vie, sans exploit, sans performance.
Et puis les biscottes beurrées du matin ont un autre avantage. Elles ont cette vertu d'aider au vagabondage, aux rêveries. Car, le matin, Solange ne se tyrannise plus, elle ne se livre plus à ses ablutions mentales armée des chiffons de la conscience. Elle se promène mentalement, elle maraude avec un goût particulier pour l'enfance qui affleure de plus en plus sous la forme d'évocations si délicieuses qu'elle les savoure inlassablement, émue, éblouie.
Au lit, le plateau du petit déjeuner sur ses genoux, enfouie dans une profusion de châles, de lainages, d'édredons, car elle est devenue, frileuse, elle parcourt les sentiers de la mémoire. Dans l'humus du passé, la chaleur fait pousser les souvenirs comme des champignons qui se laissent cueillir sans effort.
La biscotte crisse. Elle devient le sable qui égrène le temps parfumé à la confiture ou au miel parmi les vapeurs de thé.
Elle trouve on ne peut plus accommodant ce rien de mollesse qui envahit ses muscles, sa chair.
N'exigeant rien d'autre du corps que ce qui est nécessaire à son fonctionnement, lequel d'ailleurs n'a jamais été aussi parfait, elle ne se violente plus.
Page 88
En revenant dans la cuisine, Solange glousse comme une petite fille. Pas l'once d'une méchanceté dans ce rire d'enfant ravie. Elle rit parce qu'elle vient de se rendre compte que Jacques a un rival : c'est un vieux monsieur grave qui sait regarder la vie, simplement parce qu'il est vieux.
On ne court pas lorsqu'on a dans les yeux l'émerveillement de l'indolence et dans l'oreille le ravissement du pianissimo.
La litanie comme le sommeil, n'exige pas d'effort. Il suffit de se laisser porter par l'emperlage des phrases.
Rencontre avec Noëlle Châtelet, “Laisse courir ta main” (Seuil)
Rencontre présentée par : Pierre Mazet
On ne tourne pas autour de la problématique du corps pendant cinquante ans sans que le corps se rebiffe ! C'est ce que Noëlle Châtelet va enfin admettre en se retrouvant un jour clouée au lit, au point de déposer une main courante contre X, à travers un dialogue brillant et enlevé, sans concession. Noëlle Châtelet fait un inventaire approfondi des questions qui l'obsèdent et nous entraîne dans les coulisses du processus de création, éclairant avec sincérité le sens à la fois intellectuel et intime de son parcours.
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Inédite édition de l'Escale du livre, du 24 au 28 mars 2021 et durant tout le printemps
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