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EAN : 9782253010265
286 pages
Le Livre de Poche (11/12/1973)
3.53/5   108 notes
Résumé :
Un héritage à recueillir en province, un hôtel choisi pour sa proximité, une clef ouvrant deux chambres différentes et un instant de distraction font que Geneviève Le Theil entre chez un inconnu à temps pour le sauver du suicide. Quoi de plus naturel que d'aller ensuite à l'hôpital demander de ses nouvelles ? La politesse, la simple curiosité le justifient, mais Geneviève ne tarde pas à deviner le vrai mobile qui la guide: on peut ne pas croire au coup de foudre et ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique

Texte court: la Définition de l'Opprimé

Il existe des auteurs pour lesquels nous sommes prédestinés. Vous le savez, vous le sentez, ce quelque chose d'invisible qui vous guide jusqu'à l'instant où votre main se pose enfin sur l'objet. J'ai d'abord rencontré Christiane Rochefort à travers un court texte, un pamphlet politique intitulé « La définition de l'opprimé », qui servit de préface à l'incroyable monument « Scum Manifesto », de la toute aussi géniale, bien que désespérée, Valérie Solanas. J'avais alors pensé avoir à faire à un esprit incroyablement brillant. Ce texte, dont je vous conseille vivement la lecture, est facilement trouvable sur internet, et condense avec des mots simples et des concepts puissants l'impossibilité absolue de communiquer entre ces deux parties antagonistes, mais néanmoins liées, que sont l'oppresseur et l'opprimé. Pour finir avec ce sujet, " La définition de l'opprimé " est malheureusement toujours d'actualité, quelle que soit la nature de la lutte.



Le Repos du Guerrier

Il s'agit d'une histoire d'amour. Non, le terme est faux. Il s'agit d'une “véritable” histoire d'amour, dans laquelle il n'est question ni de projet commun, ni de respect, ni de raison.
Et il s'agit avant tout d'une histoire de destruction.
L'héroïne est la voix qui nous raconte son histoire. Une jeune femme belle, intelligente et riche ; « tout pour elle » penseront certain, « rien pour elle » me dis-je au début de la lecture. Car notre héroïne affectionne particulièrement le contrôle, et ressent une grande satisfaction dans la tenue de cette illusion. Quand soudain arrive l'accident, l'instant où la narratrice se trompe de chambre d'hôtel, et sauve un peu sans le vouloir un homme occupé à se suicider. S'ensuit la rencontre, puis l'émerveillement, rapidement indissociable de l'abjection.

Dès les premières pages j'ai compris que l'auteur – contrairement à bon nombre d'auteurs bourgeois français – ne se servait pas de son personnage pour parler d'elle. L'héroïne, Geneviève, est une construction minutieuse, qui se dévoile malgré elle. Une jeune femme hautaine, peu intéressante, peu vivante, et ayant tracé par avance son chemin de vie. Un chemin raisonnable qui ne compte pas s'embarrasser de la passion, qu'elle soit de l'âme ou de la chair. Il faut noter à ce stade que Rochefort portait un regard acerbe sur les femmes, qu'elle estimait en partie responsables de leurs malheurs.

« Elles sont responsables de l'ordre. L'ordre de l'égout »
Les mères, « Ces créatures sont les exécutrices des basses oeuvres. »
Toutes les mêmes, « La tante aussi d'ailleurs, merde les bonnes femmes. Race de serves. » (1)

Et donc voici notre personnage, Geneviève, tombée éperdument amoureuse d'un homme, Renaud, qui comme une bouteille possède l'étiquette d'un grand cru, mais une âme au goût de piquette. Commence une longue descente aux enfers, entrecoupée de montées au paradis. Un paradis semblant accessible parfois, et pour lequel Geneviève décide de se battre (il changera, il suffit de faire preuve d'une sainte abnégation), et l'enfer omniprésent d'un homme qui se déteste tellement que toute démonstration de sentiment lui est douloureuse, et en appelle ses châtiments (mais je l'aime c'est comme ça, alors je m'en moque).

Je suis en général peu sensible aux charmes des hommes, mais je dois dire que le talent de Rochefort m'a fait comprendre, à travers son regard, ce qu'une femme pourrait trouver de fascinant à une telle merde masculine. Renaud est un hâbleur. Il harangue les foules. Un cauchemar d'hypocrisie, une impasse de bon sens. Mais un lettré, et un malin, au point que bientôt nombre imagine ce perdant intégral, cette cloche dégénérée et grotesque de prétention, comme un écrivain maudit, un futur talent.

Mais il existe aussi une autre raison logique à l'attachement de l'héroïne. Ce dont je vous parlais au début à propos de Geneviève, et sa manie de contrôle. Geneviève n'avait jamais joui avant cette rencontre. Renaud possède ce pouvoir sur son corps. Trivial ? Vulgaire ? Non, vital. Et souvent mis de côté dans les relations hommes/femmes.

A ce sujet voici une drôle d'anecdote. A la sortie de ce roman, nombre de gens le taxèrent de pornographique. Un écrivain célèbre prétendit même que « personne n'avait à faire de ses histoires de sexe ». Vous en jugerez si vous lisez ce livre, jamais argument ne fut plus ridicule. Écrit dix ans avant Mai 68 dans une France ultra-puritaine, le sexe est abordé certes, mais toujours de façon discrète (bien que puissante), et à mots pudiques. Mais je peux comprendre le rejet qu'elle suscita pour avoir déjà croisé quelques écrivains français d'un certain âge, foulards de soie autour du cou, accompagnés de femmes qui auraient pu être leurs filles.
Ce que Geneviève, cette belle bourgeoise belle jeune et riche, est capable de subir par passion pour un homme horrible sur tous les plans, elle ne pourrait en consentir un dixième au bénéfice de ces gens qui s'imaginent respectables, ou de grande valeur. Voilà qui avait de quoi énerver bon nombre de figures patriarcales ! Il est triste de constater que pour beaucoup de ses romans, Christiane Rochefort dut se justifier, et affirmer que non, il ne s'agissait pas de ses histoires intimes, mais de celles de personnages fictifs qu'elle avait inventé. A mes yeux c'est aussi la preuve de son grand talent, celui qui consiste à fabriquer de la vie juste en écrivant.

Enfin je vais finir cette longue critique avec deux points révélateurs de sa virtuosité, sur le fond et sur la forme. Dans l'histoire de cette relation hautement toxique, à aucun moment il n'est question de pathos. Parce qu'il aurait été sans intérêt, d'un point de vu littéraire, d'écrire une banale relation entre une pauvre femme naïve et victime déchirée par les névroses d'un pervers narcissique. Comme je vous l'ai écrit, Geneviève est une héroïne très intelligente, qui possède un esprit analytique terriblement glacé, qui lui fait analyser Renaud avec justesse, à chaque seconde. Elle n'est donc pas victime, ou si elle l'est, c'est une victime consentante. Parce qu'elle aime, elle jouit, alors peu importe les conséquences. En somme, l'histoire d'une femme qui réussie à briser sa tragédie à travers des expériences difficilement compréhensibles de part leur violence. Ce qui m'a rappelé l'excellent film Guilty of Romance, de Sono Sion.
A propos du style et la forme, j'ai particulièrement aimé la ponctuation étrange et très personnelle de Christiane Rochefort, ce rythme unique qu'elle imprime, la simplicité des tournures, et dessous, sa littérature puissante.

Ce livre ne fera pas l'unanimité. Ses personnages pourraient agacer. Mais si ma critique vous a plu, et si vous aimez les âmes compliquées, alors laissez-vous tenter. de mon point de vue, nous avons à faire un l'un des plus grands romanciers français de notre temps.


(1) Citations d'autres livres, tirées d'un article de Libération à propos de Rochefort, article de Claire Devarrieux
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Une jeune femme riche, versée dans la psychologie, sauve du suicide Renaud, un homme dont elle tombe immédiatement amoureuse. Elle l'installe chez lui. Il est sans le sou, fume outrageusment, est alcoolique, fainéant, pantouflard, méprisant, vit en véritable parasite aux crochets de cette femme qui décide finalement de le sauver malgré lui de l'auto-destruction.

Seule qualité de cet homme, il lui fait bien l'amour, souvent, comme elle aime. Elle n'avait jamais connu la jouissance, l'exaltation des sens et du corps, avec lui devient accroc au sexe. Elle rejette d'autant plus son ancien amant qui lui fait pitié par son conformisme petit bourgeois et sa médiocrité en termes de sexualité.
Oui, mais est-ce que cela suffit pour rester avec un pauvre type totalement irrespectueux, même s'il a d'indéniables qualités intellectuelles ? Non, selon moi. Elle va trop loin dans le sacrifice et l'abnégation pour cet homme abject qui l'humilie, l'insulte, la frappe, couche avec toutes les femmes qu'il croise, etc.

Roman subversif, roman à thèse peut-être, mais pour moi une lecture très désagréable que j'ai poursuivie parce que l'excellente critique de OlivierBKZ m'a donné envie de le lire, et de lui répondre. Trop c'est trop. Trop d'auto-destruction, de négativité.

Ce roman m'a fait penser au personnage de Marc dans "Le charme noir" de Yann Queffelec, aux personnages de Drieu La Rochelle dans le "L'homme couvert de femmes" et "Feu follet", désespérés, cyniques, instables, gaspillant délibérément leurs talents. Il renvoie à l'essai de Robin Norwood, "Ces femmes qui aiment trop". Seules des femmes sont capables d'aimer au point de faire le sacrifice d'elles-mêmes en croyant qu'elles pourront sauver l'autre. Cela me rappelle aussi la relation toxique dans "Pour la peau" d'Emmanuelle Richard.

Le titre "Le repos du guerrier", renvoie à ce qu'est cette femme pour Renaud. Il est en guerre contre lui-même, contre la société, contre les autres, elle est sa bouée de sauvetage.

Dans "Histoire de la langue française", Pierre de Boisdeffre écrit à propos de ce roman :
" empoignade masculin-féminin traitée comme un Carnaval impudique et torrentiel, un livre "qui était de la vie crue, saignante, un style qui faisait penser à un Céline femme" (Armand Lanoux).
L'impudeur du récit dépassait de loin les audaces d'une Françoise Sagan. Quelque gêne qu'on éprouvât à voir une femme s'engager tout entière dans ce ballet érotique et funèbre où l'alcool jouait le premier rôle, on se trouvait emporté par l'allure déchirante d'un récit où l'amour - fourvoyé, veule, mais désintéressé et presque oblatif - était du côté de l'héroïne."
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Comment parler de l'amour avec la simple sincérité d'un Kleenex que l'on jette à la poubelle, en parler viscéralement, comme une digestion ?
Ici les rôles sont définis, un homme qui se complait dans l'admiration qu'on lui porte, de l'autre une femme coincée qui n'a jamais été à la hauteur de ses fantasmes. Chose banale s'il en est, mais beaucoup moins quand elle est assumée. L'homme tout en faiblesse, propose à une femme toute en force construite de vivre l'adolescence qu'elle n'a jamais eu. le cocktail est parfait car l'attirance physique chapeaute le tout. Semblant de vérité intrinsèque, silencieuse tant elle est profonde, imagination rendue solide par l'évidence de ce que l'on aime.
Un rapport de force qui va de soi, qui ne s'interroge pas, qui provient d'une évidence car le corps parle pour nous. On le sublime, d'un coté par la contre-révolution de son éducation, de l'autre par le sentiment sensible et à jamais ténu de l'audace de ce que l'on comprend de soi, avec lequel on peut changer toutes les devises du monde. C'est un bazar de l'amour que le Repos du Guerrier, dans lequel on monnaye rien sinon le plus important : son âme; que l'on peut concevoir au fil des pages, quelque chose de trop beau pour être vrai, bref une pulsion qui nous donne faim tout en sachant que jamais, Ô combien jamais ! Nous ne serrons en mesure de faire durer dans le temps ce mirage affectif et sensitif. C'est l'ambigüité écrite de l'attirance physique et mentale. On sort du roman avec une petite idée, mais pas suffisamment Réelle de ce que nous rend des avocats des sens communs...A vous de concevoir la passion…
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Ce livre reste dans mes souvenirs l'un des plus beaux romans d'amour que j'aie lus.
Quelle abnégation de la part de l'héroïne, totalement amoureuse, au point d'en perdre tout discernement.
Et pourtant, la romancière ne tombe jamais dans le "pathos".
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Amour et destruction réciproque inconsciente, cela va quelquefois de pair. Et c'est le cas pour les deux amants de ce roman hors normes de l'époque de Christiane Rochefort qui plante formidablement bien la relation de ce couple improbable qui s'aime incontestablement, physiquement, et se détruit peu à peu. Alcool et sexe diffus renforcent la note pathétique de leur histoire, finalement très ordinaire, même si leur statut social respectif aurait pu l'empêcher. Roman donc également d'aveuglement pour Geneviève qui connaîtra un tel éblouissement que cet éclair aura été pour elle d'une telle violence qu'elle y succombera malgré tout.
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Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
Eh bien voilà. C'est fait. J'ai ce que j'ai voulu. Le terrain est déblayé. Nu. Complètement nu. Et m'appartient. Une victoire si totale, et si chèrement acquise, me laisse incertaine soudain. M'effraie : les ponts sont coupés derrière moi, il faut avancer. [...]
Il faut bruler le passé une bonne fois, comme de vieilles lettres, et qu'on n'y pense plus; il faut que je quitte Renaud puisque aussi bien lui-même s'est quitté. Et continuer. Dans le même sens. Et vivre. Avec ce que j'ai. Que j'ai voulu.

Une affaire de succession m'amenait dans cette ville, où rien n'indiquait que ma vie allait se jouer. Personne ne m'attendait sur le quai pour m'en avertir, me conseiller de rebrousser chemin.
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 Un jour, j’écrirai un traité. Je l’appellerai « De l’Amour ». Ça existe déjà mais ça a besoin d’un sérieux remaniement. Je l’appellerai : « De l’Amour », et je serai contre. J’y démontrerai que l’amour n’existe pas. De la manière suivante : que si de l’amour on enlève tout ce qui lui est étranger il ne reste rien. Absolument rien.
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Il y a des gens qui ont des mauvais rêves. Moi, je les vivais. Ce n’est pas une métaphore. Ils avaient lieu la nuit et c’était vraiment des rêves, avec tous les caractères des rêves : caprices de l’espace et du temps, matière changeante, parfois distendue comme l’étoile, parfois lourde comme le noyau ; répétitions hallucinantes, aura prémonitoire, métamorphoses des personnages, et jusqu’au sentiment d’irréalité.
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Cette école où il me fait passer n’est pas pour sa délectation, mais pour ma gouverne : ce ne sont pas des leçons d’érotisme qu’il me donne, mais une leçon unique : si tu aimes, sois au moins capable des actes de l’amour, ou bien tais-toi. Une sorte d’honneur alors me convie à m’abandonner toujours davantage.
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Toute la conscience du monde y est rassemblée, qui n’est qu’amour inutile sans objet, amour désespéré, goutte d’eau dans le désert, je suis une goutte d’eau dans le désert, comprends-tu enfin que je puisse avoir soif ? Non, l’amour toi tu ne sais pas ce que c’est ; je sais de quoi je parle, tu ne sais pas ce que c’est. C’est l’impossible.
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