Je pensais que tout avait été dit sur l'amour, l'amour jusqu'à la folie, sur la quête d'identité, sur l'espoir et ses déboires, sur la monotonie de la vie, l'ennui, sur la résilience et la résistance, sur la dépendance affective, la solitude et l'auto flagellation, sur la culpabilité et sur ce qu'on s'est promis un jour ou toujours de faire par amour, pourtant, je n'avais jamais lu de roman qui l'aborde ainsi.
Un roman écrit sur plus de 20 ans, les personnages ont ainsi été sculptés, polis, patinés, posés de côté quelques temps, puis repris et retravaillés pour devenir si réels, si prégnants que j'ai ce sentiment qu'ils tiennent l'auteur en otage, il n'a eu pas le choix, lui, si pudique habituellement, nous a livré bien davantage qu'une histoire sur le papier me semble-t-il, la suite, ses romans succédant celui-ci, nous prouvera qu'il n'a jamais été lâché par ses geôliers.
J'ai souvent fait référence, dans mes retours, à Turtle, la petite Croquette de
Gabriel Tallent, qui est sans doute le personnage fictif qui m'a le plus touchée jusqu'à ce jour, avec le Père Goriot, pour des raisons personnelles en plus du talent des auteurs pour amener ce constat. Romain et
Elsa, ont rejoint Turtle, ce n'est pas peu dire.
Le narrateur de la première partie, Romain, souffre d'un mal dont on ne guérit jamais, la dépression, la vraie, pathologique, incurable. J'entends encore résonner ses plaintes dans mes oreilles, à coups de tambour et de tocsin, il n'a eu de cesse de s'apitoyer sur son sort.
Alors le récit dégueule de JE et de MOI, d'auto flagellation, d'auto apitoiement, de culpabilité, jusqu'à l'excès. Mais ne vous y trompez pas, l'auteur a tant travaillé ses personnages, que ce ne peut être une maladresse, mais c'est à dessein qu'il a usé de ce pronom personnel jusqu'à l'indigestion.
L'état dépressif vous rend égoïste, auto centré sur votre douleur, vous la rejetez autant que vous l'entretenez , vous vous suffisez l'un à l'autre, si bien que tout le reste, tout le reste du monde, n'a plus aucune importance.
Dans un dernier sursaut de volonté, Romain se dévoile, se confie, raconte son amour à la folie pour
Elsa.
Elsa et ses zones d'ombre, qu'il acceptera à défaut de les comprendre,
Elsa et ses secrets,
Elsa au bord du gouffre qu'il retiendra du bout des doigts sans jamais renoncer, avec foi et compassion, comme elle en fera avec lui, tuteurs l'un pour l'autre.
Il ne saisit pas, mais il « fait avec », et ne cessera toute sa vie de « faire avec ». Les premiers sarcasmes de Miss Fatalité s'immiscent sous la porte d'entrée, ce sujet sera récurrent dans les romans de Lucas.
Le narrateur de la deuxième partie quant à lui, colmatera les zones d'ombre, il suggérera, dévoilera ce que Romain n'a pu nous dire mais dont il observait les conséquences bien malgré lui.
Quelle audace dans la construction de ce roman. le titre à double significations, ( il faudra attendre la deuxième partie pour comprendre ), les personnages d'une justesse de ton et d'une rare complexité, si réels, si crédibles, l'écriture évidemment, dont j'oublie de vanter les mérites, à croire que je finis par m'habituer à ce haut degré de qualité chez cet auteur, font que ce roman est probablement selon moi, le plus abouti parmi tous ceux que j'ai lus
De Luca.
Aussi, dans la dernière partie, lorsque le surnaturel semble s'inviter dans le roman, je le déplore, haut et fort:
- Noooon ! pas ça s'il te plaît Luca, pas ça. Je suis si ancrée dans le marasme de ses vies, si touchée par leur crédibilité que j'ai du mal accepté l'irrationnel.
Puis je cède, de toute façon c'est Luca le patron, j'accepte comme Romain, à défaut de comprendre. Je « fais avec ».
Il faudra attendre l'épilogue pour que ce roman inachevé nous emmène bien loin de ce qu'on aurait pu présumer, une fin, il y en aura une, et quelle fin !
Si j'ai très rapidement pensé à Isabelle Adjani et Souchon dans L'été meurtrier, j'étais à 10 000 lieux d'imaginer un final aussi ancré que moi dans la réalité.
Merci pour cette audace, c'est bon purée ! L'audace paye toujours.
( Relecture du poème d'
Aragon, Prose du bonheur et d'
Elsa tiré du recueil «
le roman inachevé » )
Merci pour cet hommage aussi.