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EAN : 9782021523720
224 pages
Seuil (18/08/2023)
3.16/5   206 notes
Résumé :
Dans le Paris des Trente Glorieuses, Cécile Desprairies, alors enfant, assiste aux réunions des femmes de la famille organisées au domicile de Lucie, la mère de l’auteure, dans un immeuble haussmannien chic.

On parle chiffons et on s’échange les potins du jour. L’ambiance est joyeuse. Plus agitée, aussi, quand il s’agit d’évoquer, à mots voilés, le passé de la mère de l’auteure, ce grand amour qu’elle aurait connu, pendant la Seconde Guerre mondiale, ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (72) Voir plus Ajouter une critique
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sur 206 notes
Cécile Desprairies, née en 1957, philosophe, historienne et germaniste de formation, s'est beaucoup attachée à l'étude de l'Occupation allemande en France et sur la collaboration entre 1940 et 1944. Elle peut se prévaloir de plusieurs ouvrages traitant de ce même sujet. En lisant La Propagandiste, son premier roman, il me semble trouver les motifs de son inclination pour cette période, elle cherche la Vérité où s'entremêlent la Grande Histoire et l'histoire intime.

Comment classer ce témoignage qui place, dans les années soixante, une enfant – l'auteure – en présence d'un groupe de femmes dont sa mère, personnage centrale, qui échangent, entre elles, à mots couverts sur la période de la « guerre ». Pourquoi ces murmures ? Les sens en éveil, l'enfant emmagasine des dialogues énigmatiques entrecoupés de mots dont le sens lui échappe, jusqu'au jour où elle découvrira une carte d'identité, datée de 1943, de sa mère portant un nom allemand.

Tous ces mystères ne resteront pas sans conséquence, sciemment ou inconsciemment - l'auteure ne nous le dit pas - sur la vie de cette enfant qui deviendra une jeune étudiante brillante. En qualité de germaniste et historienne, munie des outils intellectuels nécessaires, ses recherches vont lui permettre de clarifier tous ses questionnements. Et c'est de cette atmosphère impénétrable qu'elle tirera ce récit lourd de révélations. A force de décrypter les images de cette Occupation Allemande, elle finira par décrypter la propre histoire de sa mère, collaboratrice zélée au service du nazisme.

Courageusement, l'auteure qui a pris soin de mûrir son projet, publie son premier « roman » qui peut être considéré comme un solde de tous comptes. La forme d'expression choisie s'apparente au langage parlé, loin d'un langage littéraire, ce qui donne le sentiment d'être la confidente de l'auteure. Les atrocités perpétrées au cours de la seconde guerre mondiale, conservent, aujourd'hui, un impact corrosif sur les consciences. Comprendre devient une nécessité si tant est que l'on puisse comprendre. Mais pour l'auteure, découvrir les raisons de ce gynécée où les conciliabules mystérieux n'ont cessé de l'interpeller depuis l'enfance, devient une nécessité absolue. le résultat n'est pas si évident à assumer. Comment justifier les choix de sa propre mère, Lucie, juste au moment où la France bascule entre la soumission, la collaboration ou la résistance. Il est difficile de laisser à distance les engagements d'une mère, partisane d'un investissement sans limite aux côtés d'Hitler, superficielle, arriviste, sans scrupule, qui cherche à profiter de toutes les occasions pour pénétrer le cercle des partisans du national-socialisme. En quelques mots, une mère qui abime la conscience de son enfant en projetant sur lui l'ombre d'un passé collaborationniste.

Dès les premières lignes, j'avoue avoir été enthousiasmée par l'humour caustique de l'auteure à l'égard de sa famille, et notamment, à l'égard des femmes qui, vivant dans le même immeuble, avaient pris pour habitude de se réunir chez Lucie pendant que la petite Cécile écoutait attentivement les potins tentant parfois de retenir un mot, de comprendre le sens de ces histoires : ces réunions que l'auteure nomme avec malice « le gynécée ».

« Eternelles insatisfaites, ces femmes se scrutaient comme des cocottes, traquant leurs plus petites imperfections. Elles n'avaient que leur corps et leur corps parlait pour elle ».
« le gynécée se donnait du « mon chou », « ma choute » ou « ma p'tite » mais ces femmes étaient entre elles plutôt « peau de vache » pour reprendre l'une de leurs expressions ».

Mais parfois, au détour d'une phrase ironique, un passage d'un cynisme effrayant me pétrifiait voire m'horrifiait !

« Les femmes évoquaient la « rafle-du-Vel'-d'Hiv' » sur le mode de la constatation, à la façon d'un épisode météorologique de type caniculaire. « Des juifs ont été amenés là en autobus » disaient-elles. C'était en juillet, il faisait une chaleur étouffante. Il y avait beaucoup de monde, on entendait du brouhaha à travers la verrière. Par un des interstices de l'enceinte, « un juif » avait tendu à ma grand-mère « une montre en or, en échange d'un verre d'eau ». Ma grand-mère avait pris la montre mais n'avait « pas donné le verre d'eau ». C'était dit sans émotion. Je me demandais si j'avais bien entendu. »

Véritable autopsie de son milieu familial, c'est une analyse sans concession de sa mère dont elle tente de sonder les abimes mais aussi les mécanismes qu'elle met en place pour prendre le pouvoir sur les membres de la famille pour tenter d'échapper à la période de l'épuration. Elle organise le sauvetage de la famille sans que personne ne bronche, ce qui m'a inspiré une chanson de Souchon :

« Passez notre passé à la machine
Faites le bouillir
Pour voir si les couleurs d'origine
Peuvent revenir
Est-ce qu'on peut ravoir à l'eau de javel
Des décisions
Le nazisme qu'on croyait éternel
Avant ? »

Tout le récit bénéficie d'un humour noir qui allège le récit et certainement le fardeau de l'auteure Mais malgré tout, au fur et à mesure, je me suis sentie saisie d'un malaise devant autant d'ignominies. Qu'est ce qui peut pousser tous les membres d'une même famille à devenir des monstres, incités par une force invisible, à ignorer que derrière toutes ces spoliations, ces enrichissements, se cache une réalité : il y avait des vies humaines qui étaient sacrifiées, des enfants arrachés à leurs mères, des êtres affamés, avilis, et pendant ce temps, toute cette famille menait grand train au rythme du nazisme.

Toutes ces révélations m'ont particulièrement secouée. J'avais hâte d'avoir terminé ce livre qui reste, néanmoins, un témoignage saisissant sur cette famille de collaborateurs. Aujourd'hui, consciente du contenu de ce livre, je le relirai avec plus de recul.

Je tiens à remercier les Editions du Seuil et l'équipe de Babelio pour m'avoir permis de lire cet ouvrage avant sa parution, le 18 août, raison pour laquelle, nous ne devions mettre nos critiques en ligne qu'à partir du 11 août. Je salue le courage de l'auteure de s'être ainsi exposée pour notre plus grand enrichissement sur la nature humaine.
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Historienne, Cécile Desprairies est devenue une spécialiste de la France occupée et collaborationniste. Auteur de nombreux ouvrages historiques sur le sujet, elle aborde pour la première fois le registre romanesque pour raconter l'histoire de sa mère, Française pro-nazie : un récit glaçant qui vient courageusement couronner une vie obsessionnellement consacrée au besoin de comprendre et, loin des discours familiaux, de replacer dans sa réalité concrète la terrible signification des mots « Occupation » et « collaboration ».


Au milieu des années 1960, la narratrice alors enfant assiste chaque matin, dans une ambiance de « gynécée », à de curieuses réunions dans le très chic appartement parisien de ses parents. Sous le patronage de sa mère, véritable « maîtresse de cérémonie », tante, grand-mère et cousine s'immergent avec nostalgie dans l'évocation à demi-mot d'un âge d'or perdu, « cette époque qui leur [a] été favorable », où « elles [ont] su se débrouiller », « une sorte de conte de fées » dont elles se félicitent de manière énigmatique de n'être « pas passées à côté. » Témoin muet d'un « spectacle en langue étrangère, sans sous-titres », la petite Cécile ne comprend pas et s'interroge, le mystère encore épaissi par les étranges marottes maternelles, comme celles de lui faire réciter, « comme une ritournelle », les verbes irréguliers allemands, ainsi que les villes et les fleuves d'outre-Rhin.


Soixante ans plus tard, l'enfant grandie dans les non-dits et un langage qu'il lui aura fallu apprendre à questionner, mettant au jour d'insondables précipices sous la prétendue innocuité des apparences, n'en finit pas d'entraîner toujours plus avant l'adulte qu'elle est devenue dans une insatiable quête de vérité. Ses parents désormais tous deux décédés – « j'ai poussé un discret soupir de soulagement. Enfin, une vie libre pouvait commencer » –, la voici donc qui, brisant le silence, poursuit son cheminement, à la fois personnel sous l'encombrant fardeau laissé en héritage par sa famille, et en faveur du devoir de mémoire avec ce rare et courageux témoignage, non pas du côté des victimes, mais de ceux qui ont profité de la situation en ralliant sans vergogne le camp de l'ignominie.


C'est dans un effroi sidéré que l'on découvre, par-delà les coupables agissements des membres de cette famille pendant la guerre et leur rebond en toute impunité après la Libération, la profondeur des convictions qui, leur vie durant, ne faibliront jamais, confinant même à une forme de folie dans le cas de Lucie, la mère de l'auteur. Jamais remise de la mort, en 1944, de son grand amour et premier mari, le jeune nazi Friedriech dont les travaux sur la biologie génétique faisaient un Mengele en puissance, cette femme farouchement antisémite et germaniste convaincue, si efficace dans sa participation « aux publications du Cahier jaune, réservé aux adultes, et à celles de la brochure Youpino, destinée aux enfants, tous édités par le Commissariat général aux questions juives » et aux campagnes de propagande nazie dans la France occupée qu'on la surnomma la « Leni Riefenstahl de l'affiche » et « la propagandiste », sut, avec son clan, jouer les caméléons quand le vent tourna, mais s'enferma alors, jusqu'à la fin de ses jours, dans l'antalgie d'un déni qui la fit, en privé, s'imaginer sa vie « als ob », « comme si » « ces salauds » n'avaient pas « condamné Pétain », « Laval » ou « assassiné Henriot ». Opportunément remariée à un haut fonctionnaire, pétainiste antisémite reconverti résistant au bon moment et profitant pleinement de l'euphorie des Trente Glorieuses, on la retrouve riche bourgeoise et mère de quatre enfants, pétrie de ressentiment envers ses contemporains dans ce qui devenu un culte à ses idoles nazies, ne vivant plus que de ses réminiscences heureuses de l'Occupation, entre appartements et meubles spoliés par les siens.


Décortiquant la psychologie complexe de sa mère pour un portrait vertigineux où opportunisme se conjugue avec aveuglement, Cécile Desprairies brise silence et tabous pour un récit aussi personnel et courageux qu'édifiant et nécessaire. « À [elle] de combler les blancs, donner du sens, lier les événements, au-delà de ce qui a été. C'est [s]on héritage, la part qui [lui] échoit, [elle] n'en aura pas d'autre. »

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Où débute la fiction, où s'arrête l'Histoire (avec une majuscule), voici la question que me pose ce livre apparenté à la « non fiction novel » anglo-saxonne.

La propagandiste c'est Lucie, midinette née après la guerre 14-18, dans une famille ayant ses racines en Afrique du nord et en Bourgogne. Scolarisée dans un lycée parisien, méprisée par certaines condisciples, filles de la bourgeoisie, parfois israélite, elle développe un sentiment anti sémite. Durant l'occupation, elle rencontre Friedrich, alsacien, biologiste acquis aux thèses racistes véhiculées par Joseph Mengele. Mariage, occupation place des Pyramides d'un appartement expurgé de son propriétaire juif, collaboration à Signal où son oncle Gaston, directeur à Paris Soir, l'a recommandée. le jeune couple et leur famille brillent à l'ambassade allemande et dans les hauts lieux germanophiles, mais il est invraisemblable que Friedrich aille à Meudon visiter Céline habitant 4 rue de la Girardon, dans le XVIII durant l'occupation comme le rappelle l'édition de ses manuscrits « perdus ».

Le débarquement allié incite Friedrich à retrouver précipitamment une virginité en contactant les américains, mais il meurt heurté par un camion de l'US Army. Lucie et ses proches filent en Bourgogne, disparaissent des radars avant de reparaitre petit à petit. Les biens juifs volés, cachés en Bourgogne, sont écoulés au fil des années, par des antiquaires et brocanteurs et Lucie épouse en seconde noces Charles (Pierre Desprairies) haut fonctionnaire dans le secteur énergétique.

Ainsi résumée, la première moitié de l'intrigue illustre la banalité du mal et rappelle des dizaines de témoignages de descendants de collabos tels que « Un héros » de Félicité Herzog, « Enfant de salaud » de Sorj Chalandon, les souvenirs de Frédéric Vitoux, les romans de Patrick Modiano, etc.

Mais « La propagandiste » se singularise dans sa seconde moitié en révélant une femme intrigante, qui, après la libération séduit un officier américain qui l'emmène outre atlantique où elle intègre Life, puis rentre après l'épuration, engendre 4 enfants, sans oublier Friedrich (c'est une veuve toujours inconsolable quatre décennies après) et prénomme son fils comme le défunt « Mon frère, premier-né, est prénommé Frédéric. Autant dire Friedrich Junior, ou Friedrich 2, comme le subjonctif du même numéro. Lucie l'habille parfois en Lederhose, la culotte de peau austro-bavaroise, et peigne ses cheveux blonds en arrière. Friedrich Junior est à la fois l'enfant rêvé et un rêve d'enfant, même si Lucie aurait tant aimé que le père fut éponyme. »

Lucie reste fidèle à l'idéologie nazie, conserve pieusement les livres du défunt et passe son temps, en famille, à évoquer le bon temps de l'occupation. « Elle sait sûrement qu'elle a tout perdu mais n'en accepte pas l'idée. Seul le déni lui reste. Se mentir rend les choses plus supportables. Il suffit de se répéter suffisamment longtemps un mensonge pour qu'il se mue en vérité. de toute façon, avec Hitler, c'était tout ou rien. Friedrich l'a écrit sur une carte : Mit Hitler - Allés oder Nichts. Ce sera donc tout, y compris la fausseté, les petits arrangements avec l'honnêteté, les écrans de fumée, la méchanceté parfois et quelques bonnes mises en scènes saupoudrées de propagande. Qui n'adhère pas à son système est à mettre aux encombrants. »

Ce déni pernicieux fait froid dans le dos et qu'une femme persévère ainsi dans ses errements juvéniles me stupéfie autant que les nostalgiques du communisme regrettant l'époque bénie de l'URSS et je suis abasourdi que les enfants de Charles et Lucie déterrent Friedrich et l'enterrent avec leurs parents « Ci-Gît Friedrich, Gauleiter de la Lotharingie, désormais enterré chez lui. Ci-Gît Lucie et Ci-Gît Charles. Autour de Lucie volettent quelques mânes, les « possédés du démon », comme elle aimait à le répéter, sortes d'anges gardiens du mal. Tous les grands-oncles, les vrais, les demis, les faux, les presque apparentés. Et ils rient bien. »

Ce témoignage, reçu à l'occasion d'une opération Masse Critique (merci au Seuil), est intéressant et tragique et se caractérise par la noirceur de tous les personnages et son écriture caustique. Il montre l'emprise d'un homme sur une adolescente, son embrigadement (comme dans les sectes), et son aveuglement définitif. Il montre que le nazisme n'est pas mort, comme le prouve, par exemple, la propagande actuelle pour l'euthanasie et l'eugénisme.

« Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance » tel se résume La propagandiste.
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Cécile Despariries raconte son enfance, qui, comme si elle-même n'existait pas, se résume finalement à essayer de comprendre les adultes : à six ans, j'assiste, dit-elle, à un spectacle qui se renouvelle chaque jour, sans rien y comprendre, un peu comme une langue étrangère, sans sous-titre et sans explications : la comedia del arte que mes tantes, ma grand-mère et ma mère, dans le rôle de cheftaine, « cerveau et bras armé » rejouent chaque jour.
La mère, Lucie, teinte en blonde comme une walkyrie, menteuse, voleuse, cynique, cupide, exploite les domestiques illettrées, fraude le fisc, s'en vante et mène à la baguette le « gynécée » qui l'entoure.
Une nazie même si le nazisme n'avait pas existé.
Sa fille, après avoir essayé de décrypter certains mots, comme par exemple le « camp de prisonniers » sous « L'Occupation », lieu de l'hôtel particulier appartenant à la famille, ou « morts-en-déportation », qu'elle décortique en «  Départs », « transport », mais vers où, se demande-t-elle ? et pourquoi morts ?
Questions sans réponse, qui pousseront la locutrice du roman à étudier l'histoire et l'holocauste en particulier.
Mais est-ce un roman, ou une biographie de sa mère, toute- puissante, dont elle découvre un jour qu'elle avait un passeport allemand ?
Et qu'elle avait vécu un grand amour avec Friedrich, nazi convaincu, « chercheur en biologie génétique, une spécialité prometteuse pour qui envisage la science sous un aspect racial, prêt à se lancer dans des expériences à la Mengele.
Amour fou de ces deux nazis convaincus, qui ne pensent pas une seconde aux êtres humains que sont les juifs. Pour lui, les expériences sur les souris, les juifs ou les rats, c'est un peu la même chose. « Élégants, actifs, fusionnels, ils ont les mêmes idées, les mêmes ambitions, les mêmes valeurs. Il suffit que l'un pense à quelque chose pour que l'autre le formule. ».
Dans la volonté de promouvoir le Reich, toute la famille coopère autour de Lucie, toutes et tous ont à y gagner, en occupant les immeubles et les châteaux dont les juifs ont été expropriés et massacrés, y compris la grand-mère.
Durant la rafle du Val d'Hiv, « Par un des interstices de l'enceinte, « un juif » avait tendu à ma grand-mère une montre en or, en échange d'un verre d'eau. Ma grand-mère avait pris la montre, mais n'avait  pas donné le verre d'eau ». C'était dit sans émotion. Je me demandais si j'avais bien entendu. »
Ils ont appartenu à un monde de riches, basé sur la spoliation, et cultivé des rapports avec les autres nazis français, dont « le docteur Destouches, plus connu sous son nom de plume, Céline. C'est un homme de terrain, avec lequel Friedrich et l'ensemble de la communauté scientifique partagent les mêmes convictions. Céline est médecin, hait les juifs et promène un mépris quasi universel sur tout et tout le monde. Il n'aime que les chats et sa femme. Ayant une vision biologique des choses, Louis-Ferdinand est obsédé par la race, la décadence. ».
La famille, sous la houlette musclée de Lucie, elle-même sous la coupe de Friedrich, membres actifs de la propagande pendant l'occupation, se fait plus discrète à la Libération, ment et s'achète une conduite « plus blanc que blanc », tout en continuant, jusqu'au dernier jour, à souhaiter une restauration fasciste et à déplorer les morts de Nuremberg et le sort des autres qui n'ont pas eu leur chance.
Déplorer, ou mépriser ou occulter.
Lucie, elle, se cache, part aux USA, revient, se marie avec un pétainiste convaincu, ce qui lui permet de changer de nom, met quatre enfant au monde, dont Cécile. Et continue à mentir.

L'intérêt du livre réside dans les détails que Cécile Desprairies énumère : les journaux, dont le Cahier jaune « couleur attribuée aux juifs depuis le Moyen Âge et par la propagande, la couleur de la rouelle comme celle de l'étoile distinctive. Ainsi le Cahier jaune, c'est un peu comme le Code noir, sous Louis XIV. Un Cahier jaune concernant les « jaunes », avec un « j » pour des juifs que l'on ne nomme même pas, de la même façon qu'il y a eu un Code noir concernant les Noirs. ».

Cependant, autant nous découvrons les pensées racistes des collabos, autant au niveau de l'histoire il est important de rappeler l'existence d'un Lebensborn en Picardie, par exemple, d'évoquer les rafles et les convois, de rappeler l'emprise de la croyance nazie, autant il m'a semblé tout de même un peu fort de parler de sa mère en n'en relevant pas un gramme d'humanité, insensible au doute et incroyablement arriviste. Pour solde de tout compte", selon l'expression de Martine @enjie77.
Un monstre, cette Lucie. Une phrase m'a choquée, bien qu'elle donne une idée exacte de ce qu'a pu être cette mère, qui affirme : «  Ce sont les plus bêtes qui ont été déportées. Quand on est un peu futée, il y a toujours moyen de passer entre les mailles du filet. »
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* FICTION OU REALITE ??? *

Cécile Desprairies est historienne et essayiste, autrice de plusieurs livres sur l'occupation allemande et le régime de Vichy. La propagandiste est son premier roman.

Roman ? Vraiment ?
Et c'est là que l'on doute. La propagandiste, c'est sa mère. Cette famille de collabo, la sienne. Cette histoire, son histoire ! A ceci près que les lieux, les noms ont été changés, et qu'il existe des éléments fictionnels totalement assumés par Cécile Desprairies. C'est en tout cas ce qu'elle dit lors de la présentation de son ouvrage à la librairie Mollat.
Par contre, pour nous, pauvres lecteurs, impossible de démêler le vrai du faux... et quelque part, tant mieux, cela nous permet d'espérer que la réalité est plus douce que la fiction.

La Propagandiste, c'est l'histoire d'une femme, Lucie. Jeune fille, elle va à l'école, et voit ses comparses, juives, bien plus riches qu'elle avoir ce qu'elle n'a pas. Elle en gardera un sentiment de rancoeur. Arrive la seconde guerre mondiale, elle rencontre Friedrich, l'amour de sa vie. Biologiste, raciste, eugéniste, antisémite, un nazi. Lucie embrassera la cause allemande, aidera à la propagande, créera des slogans,.. L'occupation de la France, c'est sa prospérité, le Reich de 1000 ans son idéal.
La guerre terminée, elle ne reniera pas ses convictions mais se débrouillera pour avoir son certificat Persil. Malgré la mort de Friedrich et un remariage, elle vivra dans l'ombre de son amour mais aussi dans ses pensées nauséabondes qu'elle ne reniera jamais. Toute sa vie, elle entretiendra avec nostalgie le souvenir de l'occupation, cette période heureuse de sa vie, de Philippe Henriot qu'elle tente d'apparier à sa famille, de Friedrich...

Nous plongeons donc dans la vie ordinaire d'une famille de collabos ordinaires, d'extrême droite, comme il en existe encore pas mal de nos jours.
J'ai rarement vu une mentalité aussi pourrie et j'espère pour l'autrice que sa mère avait aussi des qualités.



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critiques presse (1)
LeFigaro
06 octobre 2023
L’historienne utilise le roman pour raconter le passé de sa mère.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (93) Voir plus Ajouter une citation
Epuration judiciaire - page 104

Le clan est saisi d'effroi par les procès qui se poursuivent et les listes des condamnés lues dans le journal. Le premier fusillé, un ami journaliste, Georges Suarez, le 9 novembre 1944, les a sidérées. Puis, Jean Hérold-Paquis, exécuté le 11 octobre 1945. S'attaquer à des journalistes et à un type de trente-trois ans - sept ans de plus que Lucie - les salauds ! Et Jean Luchaire qui dirigeait la corporation de la presse. Personne ne savait exactement ce qu'elle recouvrait cette corporation mais il avait un beau carnet d'adresses. Un type un peu coureur mais si gentil. Fusillé le 22 février 1946. Sa fille doit être dans tous ses états. Les salauds ! Et maintenant Jean Mamy, journaliste et réalisateur, une relation de Zizi qui avait promis de la faire travailler. Que va-t-elle devenir ? "Jean Ma-my!" psalmodie Zizi, perdue, elle qui a toujours été entourée et choyée, dépendante des hommes et de l'argent. "Mais Lu-cie?"
............................................

Page 107

Heureusement, l'Espagne de Franco est un lieu d'accueil. Il paraît que Bonnard, l'ancien ministre de l'Education, organise même à Madrid des tournois de tennis avec ses compatriotes. Sacré Abel. "L'Abel et l'Abetz", comme les surnommait mon grand-oncle Raphaël. Où mène l'Instruction publique.
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Plus tard, quand, adulte et devenue historienne, je ferai mes recherches pour comprendre ce qu'il en a été, j'apprendrai que cet onde avait été une connaissance d'Otto Abetz, l'ambassadeur à Paris du Reich (prononcé par la tribu « Rèche »). Il était aussi un proche de Jean Luchaire, qui dirigeait la puissante Corporation nationale de la presse. Bien qu'il ait été au départ « socialiste », l'oncle journaliste, efficace et discret, avait contribué à influencer l'opinion publique française, en instillant les visées des nouveaux maîtres, dosant l'antisémitisme en fonction du support auquel il collaborait. De son « grand journal » aux hebdomadaires Gringoire et Je suis partout, en passant par la version française du magazine Signal, l'éventail était large. Mieux encore, il était devenu patron de presse. À la mi-juin 1940, dans un Paris occupé et désert, l'oncle avait saisi sa chance. Les « autorités allemandes » l'avaient nommé directeur de la rédaction du « grand journal », en remplacement de Lazareff, contraint à l'exil.
(…)
Le « grand journal » était resté populaire. Gaston n'avait pas oublié d'où il venait. De toute façon, dans le qualificatif « national-socialiste », il y avait bien le mot « socialiste », non ? En somme, lui, le fervent républicain, avait glissé. Après tout, Lavai lui aussi avait commencé à la SFIO.

Oui, grâce à ses réseaux, le grand journal avait réparu très vite. L'agence d'information était allemande, et alors ? Il y avait toujours moyen de s'entendre avec la censure. Si les autres journaux étaient vendus avec des « blancs », parfois même des articles vides au beau milieu de la page, ils n'avaient à s'en prendre qu'à eux-mêmes. Gaston avait tout déjoué. La censure. Le papier. La distribution.
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Leur correspondance amoureuse aussi est étonnante. Elle contient, côté Friedrich, rédigée à la façon du Sturm und Drang, ce mouvement allemand précurseur du romantisme, le compte rendu exalté de ses lectures mais aussi le récit des dernières expérimentations sur ses rongeurs.

Il a ses « cobayes du bas » (signe féminin), ses « cobayes du haut » (signe masculin) auxquels il applique des « tests de Zondek », par des injections d'urine. Friedrich n'est pas du genre à avoir des maîtresses. Ses maîtresses sont ses souris et il est davantage question d'euthanasie, de mitose et de méiose, de dissection et de follicule que de mots tendres, car le devoir appelle à une cause supérieure et Friedrich a la science romantique.

De toute façon, les souris, les juifs, les rats, c'est un peu la même chose à ses yeux, et il évoque avec une gourmandise effrayante les deux rongeuses jumelles dont il dispose en ce moment, prêtes pour l'expérimentation, la démonstration, et l'au-delà.
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Avec aisance, Lucie est ainsi passée du magazine nazi Signal au magazine américain Life. Elle s'y connaît en agitprop, alors poser façon New Look en Miss Dior n'est pas trop difficile. Lucie est en terrain connu. Elle a, en bonne propagandiste, étudié la concurrence. Le magazine nazi Signal qu'elle a fait sien, né en 1940, a été directement inspire du confrère américain Life, créé quatre ans plus tôt. On y repère le même cadrage de photos en pleine page, souvent en couleurs, la même typographie des légendes en police Futura - Lucie apprécie en connaisseuse la lisibilité des petites capitales grasses que son oncle Gaston lui a appris à reconnaître - et les mêmes reportages sensationnels, avec exploits sportifs, goût des cimes, approche dangereuse et même mort en direct, faits par des inconnus sur des inconnus qui deviennent « héros d'un jour ». L'esprit pionnier du magazine américain est le sien, à une idéologie près. Ces Américains sont tellement persuadés d'avoir raison. Laissons-les le croire.
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« Allons voir la brocanteuse. » Lucie et Mme Blau font comme si elles
ne se connaissaient pas, mais je sens bien que ce sont des connaissances
d’« autrefois ». La brocanteuse appartient à une famille de ferrailleurs
alsaciens, mais pas des « malgré-nous », disséminés dans les villages des
bords de la rivière voisine. Ce sont en quelque sorte les « nouveaux
ferrailleurs ». Avec sa démarche incertaine et sa voix pâteuse (blau ne
signifie-t-il pas en allemand « soûl »), la brocanteuse dispose d’un stock qui
paraît inépuisable. Ma mère est à son affaire, à l’aise dans les négociations.
Elle repart dans sa 2CV, fière de sa dernière acquisition, ses enfants à ses
basques. Mme Blau, elle, fourre les quelques billets dans sa poche-tablier et
boit au goulot du whisky derrière ses clients, la bouche sèche, en réprimant
la grimace des alcooliques.
Pour quelle raison est-elle si bien approvisionnée dans cette campagne
viticole caillouteuse ? Ces nombreuses petites lunettes d’ivoire de
l’Exposition universelle à Paris de 1900, montées en bijou, d’où viennent-
elles ? L’album de collection de cartes postales anciennes aux tendres
messages, à qui ? Ces plaques entières d’insignes de décorations civiles et
militaires de tous ordres, tirées de quelle enseigne ?
Beaucoup plus tard, je saurai que, à partir de 1942, dans le cadre de
l’Opération meubles (Möbel Aktion), des wagons entiers de biens volés aux
juifs ont été transportés de Paris en Allemagne, mais aussi dans la ville
voisine, et acheminés dans les grandes carrières des environs, pour y être
mis à l’abri. Deux décennies après, les biens ont été peu à peu extraits de
leurs cachettes puis écoulés auprès de marchands peu regardants sur leur
provenance. Qui les reconnaîtrait ici ? Qui viendrait les réclamer ? Ces
biens peuvent être vendus pour à peu près rien, puisqu’il n’y a pas eu de
frais lors de l’achat.
Lucie négocie d’autant plus âprement qu’elle sait pertinemment que
Blau n’ajoutera pas le prix de revient. Pourquoi cette Mme Blau serait-elle
la seule à en profiter ? Alors, on partage les bénéfices. Lucie a droit à sa
part de gâteau, elle peut bien recueillir les fruits de son travail. Si Blau a
tout ça, après tout, c’est grâce à elle. Vous êtes mon obligée ! Et c’est
comme si Mme Blau le savait.
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On dirait une satire à la sauce Ubu roi, voilà ce que provoque « La Propagandiste » le premier roman de Cécile Desprairies paru aux éditions du Seuil. Un livre qui nous projette dans une famille pro-nazie sous l'Occupation. Absence de morale, fanatisme, spoliation, Cécile Desprairies nous raconte en détails et avec humour comment une petite fille découvre le passé collaborationniste de sa mère, Lucie., héroïne française du Reich tant son dévouement s'avère total et comment la narratrice décide de s'emparer du récit familial une fois sa parentèle décédée. Cécile Desprairies nous dit que dans l'humour, il y a de la peur mais il y a aussi du courage puisque pour révéler un passé aussi glaçant et compromettant de manière romanesque sans ornement mais plutôt à la façon d'un voyage dans le temps, il en faut. C'est parti !
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