En ouvrant le dernier roman de
Kamel Daoud,
Zabor ou les Psaumes, j'ignorais que je partais en voyage, initiatique parfois, mémorielle, souvent.
Je partais avec lui comme guide. Lui,
Zabor, ou Daoud. Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse.
Dès les premières pages, le décor est posé, les personnages aussi. Les héros de ce roman seront incontestablement, les mots.
Kamel Daoud a le don de nous surprendre à chaque fois, en posant des questions simples, pertinentes, presque évidentes mais que personne ne pose, du moins aussi clairement. « le premier mot du livre sacré est « Lis »- mais personne ne s'interroge sur le dernier… Je me demandais aussi pourquoi l'injonction était faite au lecteur, et pas à l'écrivant. Pourquoi le premier mot de l'ange n'était- il pas « Ecris ».
Mon accompagnateur,
Zabor, « Robinson arabe d'une ile sans langue », qui a le « don d'écrire pour faire reculer la mort », se révéla à lui-même en découvrant et maitrisant son prénom… . « Je venais de découvrir que l'écriture d'un prénom est une fenêtre mais ne faisait pas disparaitre le mur »…
Nommer
les choses, c'est les faire exister, mais aussi les perpétuer. de là, est née la passion de l'inventaire, pour contrer l'oubli et repousser la mort des hommes, des choses.. de l'univers en somme… « Je ne connaissais pas le mot « sommaire » mais je pense que c'est l'essence première de la langue, la comptabilité du possible ».
Une volonté d'inventorier
les choses qui se mua en mission secrète et devoir absolu.
« Je voulais tenter une sorte de rapport sur les nuances »
Cette phrase résume parfaitement à elle seule toute la poésie tapie, cachée, dans ce roman. Contre toute attente, Daoud nous livre ici, une écriture baignée de douceur, avec un amour sans fin aux mots. Et les mots, il y en a dans ce livre.
Zabor ou les psaumes, au-delà du récit de l'enfance et pérégrinations de ce prodige
Zabor, est une invitation au jeu. Jouez à compter, évaluer le nombre de mots différents dans les 330 pages que compte ce livre. Vous serez surpris de découvrir un éventail de descriptions, allant des iles désertes au Désert, en passant par l'océan, les collines, les montagnes…. Ce que
Zabor aspirait à faire, Daoud l'a fait.
Encore une fois grâce aux livres et par une ingénieuse ruse formelle, celle de donner un nom de livre qu'il a lu, à chaque cahier qu'il noircit, Daoud/
Zabor, rend hommage à ces ouvrages qui lui ont ouvert le monde. L'usage de l'italique permet d'en délimiter les territoires.
le voyage entrepris est alors merveilleux et infini.
Merveilleux, par les réminiscences livresques qu'il peut alors susciter dans chaque lecteur qui sommeille en nous. Merveilleux surtout, par les curiosités qu'il peut titiller, les découvertes qu'il peut provoquer.
Zabor ou les psaumes, un livre tiroir, une fenêtre sur lecteur, un oeil de boeuf sur son âme d'enfant.
Je me suis amusée alors à jouer avec lui. A le suivre au mot- pardonnez le jeu de mot, il était si facile. A le défier. D'abord faire un inventaire des livres qu'il cite. Ils ne sont pas là par hasard. Non, pas avec un auteur aussi chevronné, pour qui la précision fait office de religion. Je ne les citerai pas ici, à dessein, celui de vous laisser vous faire prendre au jeu à votre tour.
J'ai ensuite poussé le jeu plus loin, en lui répondant, ouvrage contre ouvrage, livre contre livre. Sa description mystique du désert, de la nuit, me replongea alors, dans
le petit prince de
Saint- Exupéry, ou encore, dans le somptueux, « Les mages » d'Ibrahim al Koni,
Il me rappela
Frison Roche dans «
Premier de cordée », «
Les fils de la médina » de
Naguib Mahfouz, tant le récit est parsemé, voir jalonné de récits religieux mais aussi ; ses recours très nombreux au Livre sacré.
Zabor, l'orphelin, me ramena aussi à l'autre orphelin de «
W ou le souvenir d'enfance » de
Georges Perec grand chantre de l'inventaire jusqu'à la litanie.
Il réussit aussi à m'arracher une larme, en me replongeant dans l'univers de
Mouloud Mammeri ou
Mouloud Feraoun, délicieuses et puissantes descriptions d'une société rurale, aux prises avec de lourdes coutumes et traditions.
Kamel Daoud réussit en fin de compte à me ramener à des lectures enfouies dans les profondes strates de ma mémoire. Il a été le temps de son livre, l'archéologue de mes lectures.
On l'aura compris,
Zabor ou les psaumes, est un objet ciselé, une dentelle finement détaillée. C'est une ode à la beauté des lettres et de leur envol dans la calligraphie arabe, ode à la beauté du geste du scribe maitrisant l'entrelacs et l'enlacement presque à l'infini. Une ode à la beauté des lieux, de la nature, du bestiaire. L'écriture devient alors le Calame de Daoud pour graver à jamais toute la beauté de son arrière-pays.
Daoud n'en oublie pas pour autant sa légendaire lucidité, devant certaines contradictions de notre société brillamment transposées dans celle de
Zabor. le roman se retrouve ainsi parsemé de réflexions à l'argumentaire parfaitement construit, donnant au lecteur matière à méditer et certainement à débattre.
L'humour n'est pas loin non plus ; on le devine dans certains passages jubilatoires, comme celui où il évoque El Hindi ou figues de barbarie : « il ne faut pas en manger beaucoup car cela remplit alors le ventre d'une pierre tombale et on meurt de constipation en accouchant d'une montagne »
Enfin, je ne pouvais passer à côté de ces mots, qui résument presque tout :
« Chercher les mots justes, écrire jusqu'à contraindre les objets à devenir consistants et les vies à avoir un sens est une magie douce, l'aboutissement de ma tendresse »
Je veux croire que le dernier livre de
Kamel Daoud est un écrin de tendresse. Une main de fer dans un gant de velours.
Il est temps pour moi de vous laisser embarquer avec
Kamel Daoud, à bord du vaisseau
Zabor ou les Psaumes. Laissez votre imagination s'envoler, goutez chaque mot, prenez votre temps ; car les mots sont éternels.
Imen Bessah Amrouche
Aout 2017