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EAN : 9782070438525
608 pages
Gallimard (22/03/2012)
4.25/5   6 notes
Résumé :
L'écriture du journal intime est la saisie d'un état à une époque de la vie.
Elle offre à son auteur un suspens dans le flux de l'existence, le point à partir duquel il peut conquérir une distance vis-à-vis de celle-ci, et un point de vue sur le passage du temps qui n'a pas de forme. L'écriture intime est rendue possible par les mutations sociales et philosophiques que connaît le XVIIIe siècle, et particulièrement par le développement d'un espace privé séparé... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Indiscrétions de diaristes célèbres.

Révélation ! je ne m'attendais pas à éprouver tant de plaisir et de curiosité. J'avais tendance à penser que les journaux intimes étaient réservés aux fins connaisseurs de l'oeuvre de tel ou tel auteur. En réalité, peut-être que ces passages de journaux sont plus immédiatement accessibles que des romans. Pourquoi ? La permanence des sentiments et questionnements humains d'un siècle à l'autre.

Michel Braud, le collectionneur de ces fragments de journaux d'hommes et femmes de lettres français du XIXème siècle, spécialiste de cette forme très particulière d'écriture, à la fois très répandue, et par essence pudique et discrète, nous invite à penser le journal intime comme “la saisie d'un état à une époque de la vie”, cette écriture “offre à son auteur un suspens dans le flux de l'existence, le point à partir duquel il peut conquérir une distance vis-à-vis de celle-ci” et appréhender l'inexorabilité du passage du temps. D'ailleurs pour Eugène Delacroix, les jours “que ce papier ne mentionnent point sont comme s'ils n'avaient pas été” et reprenant, trente ans plus tard, son journal abandonné, de conclure “il me semble que ces brimborions écrits à la volée, sont tout ce qui me reste de ma vie”. L'un des leitmotiv est la lutte contre l'oubli, le diariste agit en conservateur du musée de ses souvenirs, Benjamin Constant écrit “ce journal peut me servir, non pas à me redonner des sensations passées, mais à me rappeler que j'ai éprouvé ces sensations”, Pierre Louÿs consigne également à propos de son premier cahier qu'il “a tant de plaisir à feuilleter déjà, pour penser un peu en arrière et revivre ma vie passée.”

“Je suis seul, près de mon feu, retenu dans ma chambre” Maine de Biran. le diariste écrit depuis “un espace protégé” nous dit encore Michel Braud dans sa préface, ainsi il “perçoit l'activité du monde sans y participer”. L'humain fait l'expérience de sa solitude profonde face au monde, en allant puiser en lui et en décidant de s'appesantir sur les évènements de sa vie, ainsi Delacroix regrette qu'aucun ami, aucune maîtresse ne puisse prendre pour eux “une partie du poids” de son existence, tout en concédant qu'eux aussi “ont leur manteau de plomb à trainer” ; on ne peut tout attendre d'autrui et “le monde ! on lui demande toujours plus qu'il ne saurait donner” regrette Barbey d'Aurevilly, préférant à son tour rester à l'écart “moi j'aime bien m'entourer d'une robe de chambre et passer la soirée dans la solitude de mon appartement en désordre.”

Néanmoins, il ne s'agit point de dire que le journal est coupé de la vie, au contraire : pour Stendhal, on “ne doit faire un journal qu'autant que cela peut aider à vivre la vie “da grande””. le commerce entre la vie et l'écrit se doit d'être d'intérêt réciproque. Cependant, le journal n'est pas le reflet exhaustif de la vie, l'écrivain reste le filtre, et maitrise le niveau de confidence qu'il s'autorise, tel un éclusier de la confession, ainsi Barbey d'Aurevilly note, pour se défendre d'un long silence “n'ai pas oublié de noter ces jours-ci, mais n'ai pas voulu les noter”…nuance.

Sans surprise les soucis existentiels ne sont pas étrangers aux écrivains. Stendhal morigène contre sa maladresse et sa dispersion, Maine de Biran contre sa timidité, Delacroix aimerait être plus cavalier avec les femmes, Alfred de Vigny mieux doté, constatant que “naître sans fortune est le plus grand des maux” ajoutant “on ne s'en tire jamais dans cette société basée sur l'or.”

Mais c'est dans l'introspection que l'empathie est la plus forte, la dramaturge Marie Lenéru se met en garde ‘il n'y a qu'un fléau : le découragement”, l'écrivain Léon Bloy constate “ce qu'il y a de plus lourd en l'homme c'est son coeur” et l'écrivaine Marie d'Agoult, amie de Sand et compagne de Franz Liszt, note “aujourd'hui, je me sens écrasée par l'ennui de vivre. Ne savoir ni les causes ni les fins de son être”. 
Ce constat fait, le langage atteint ses limites… on ne peut pas s'extraire du carcan des mots pour exprimer quelque chose d'encore plus profond. Reste aussi que certaines douleurs sont intraduisibles, Alphonse Allais, dont la maladie est le matériau premier de son journal, prévient “la torture…pas de mots pour rendre ça, il faut des cris.” A moins de tourner sur elle-même, la complainte de l'âme, une fois exulté, n'a plus sens. Dès lors, l'écrivain retourne à la vie, sinon soulagé, du moins lassé d'être las, à la manière de Barbey d'Aurevilly “quand je serai las de me regarder, je fermerai ce livre et tout sera dit.”

Certains poussent pourtant plus loin le jugement sur eux-mêmes, à l'image d'Henri-Frédéric Amiel qui laisse de douloureuses considérations sur son “instinct timoré” qui aime assez le “trop tard” qui le licencie de trancher et d'entrer en action. Il regrette sa “défiance” et sa “paresse” et surtout sa timidité qui passe pour de l'orgueil. 
Cette introspection ne doit pas tourner au masochisme, risque souligné par le poète parnassien et 1er Prix Nobel de Littérature, Sully Prudhomme “par instants, je descends dans cette partie de mon âme où sont les ruines, et je me rends volontairement malheureux”, Prudhomme s'interroge “n'est-ce pas assez d'avoir vécu les jours ? Faut-il s'imposer la torture d'en ressouffrir les douleurs ou d'en ressentir les joies mortes avec l'impuissance de les ressusciter ?” ajoutant qu'il y “a dans les souvenirs une odeur de tombe.”

Pourtant revisiter ses souvenirs et ses douleurs semble prendre tout son sens lorsqu'on écrit non plus pour soi, mais pour l'autre, ainsi Jules Michelet veut dédier son journal à la femme qui partage sa vie, chronique des souffrances de sa maîtresse “en relisant après moi ce journal, elle y verra la continuité bien rare d'un amour toujours inquiet, d'une vie suspendue à sa vie.”

Henriette Dessaulles raconte ses premiers badinages avec celui qui deviendra son époux, Edmond de Goncourt pleure la mort prématurée de son frère Jules et Geneviève Bréton écrit dans la tourmente de la guerre franco-prussienne qui lui vole son jeune fiancé après des adieux déchirants et pleins de promesses, ce dernier la quittant en lui disant “vous verrez quelle belle vie je vais vous faire, de quelle félicité je payerai chaque larme”, celle qui laissa partir “plus que sa vie” écrit “Ô Patrie, Ô France Républicaine, faut-il t'aimer pour te prêter mon cher Trésor ?”.

Le temps passant, le diariste se redécouvre, après quelques années en relisant les pages de son Journal, ou plutôt découvre celui qu'il fut mais qu'il n'est désormais plus tout à fait, Amiel d'ailleurs se tutoie parfois dans son journal et note “ces pages m'étonnent presque comme si elles étaient d'un autre”, Pierre Louÿs annote son journal des années plus tard et s'amuse de lui-même “tu es terriblement hyperbolique, mon petit P.L, et c'est insupportable.”

Quoiqu'il en soit c'est la sincérité du diariste qui compte, Marie Bashkirtseff le souligne “mon plus grand soin est de m'exprimer aussi exactement que possible” et d'ajouter “je ne me fais pas illusion sur mon style et mon orthographe.”

Les anecdotes ne sont pas en reste : Restif de la Bretonne et son gendre démoniaque, Germaine de Necker pas emballée par les pas de danses du Baron de Staël, son futur époux qui n'arrive pas à la cheville de son papa Necker, le célèbre ministre de Louis XVI. Benjamin Constant lui est “las de l'homme-femme” qu'est justement Madame de Staël, il peste contre cette impétueuse et égoïste maîtresse, il aimerait se libérer de sa “main de fer qui l'enchaîne depuis dix ans”. Stendhal en villégiature en Italie, se prend pour Cosette et maudit son père, ce “vilain”, “scélérat”, “execrable père” qui ne lui accorde pas le haut niveau de rente que son oisiveté exige. George Sand se lamante sur l'indélicate indifférence de son amant, Alfred de Musset, vraisemblablement déjà passé à autre chose. Pierre Loti se désole d'être élu à l'Académie Française “ce cénacle de vieillards”. de son côté, Jules Renard peste contre la calomnie dont est victime Emile Zola et s'en prend à Maurice Barrès, qu'il juge bon écrivain mais “Barrès parlant de patrie, qu'il confond avec sa section électorale, et l'armée dont il n'est pas !” ce qui n'est pas sans rappeler certaines attitudes de nos contemporains d'extrême-droite.

Le rapport avec les oeuvres n'est pas immédiatement évident, certains écrivains se frottent à l'écriture, cherchent leur style ou nourrissent des projets éditoriaux mais il est beaucoup question de la vie privée et quotidienne. Néanmoins, chaque diariste a son rapport particulier à l'écriture : Jules Barbey d'Aurevilly écrit pour être lu et sera même le premier diariste publié de son vivant même si l'on sent que l'exercice le gonfle passablement d'où une écriture assez télégraphique par moments, la peintre Marie Bashkirtseff veut aussi laisser publier son journal, Alfred de Vigny ou Maurice de Guérin donnent à leurs écrits des tournures poétiques, George Sand s'essaye au dialogue intérieur en s'inventant un interlocuteur quant Eugène Delacroix, peintre de son état, tient un journal très décousu.

L'écrivain suisse Henri-Frédéric Amiel, dont le journal dépasse les 17 000 pages, pose dans son propre journal un regard sur Maurice de Guérin, dont les extraits nous sont présentés quelques pages auparavant : “Quant au Journal, il contient des paysages délicieux, mais, ceci mis à part, il ne donne nul idée précise de la culture, des études, des idées et de la portée de l'homme qui l'a écrit.” Pour Amiel, le Journal doit mettre en avant une “individualité distincte” et “reconstruire un homme dans sa différence spécifique” . Pour autant, difficile de ne pas admettre la permanence et l'universalité des questionnements qui traversent ces pages, et nous travaillent encore aujourd'hui. Lorsque l'homme sonde sa propre âme, à la lumière de la bougie, la plume d'oie à la main ou bien devant son ordinateur, son smartphone à portée de main, les espérances, angoisses et émotions sont strictement semblables.

A l'heure des romans d'autofiction où les oeuvres d'Ernaux, Juliet, Guibert, Sarraute ou de Duras peuvent être lues comme de longs journaux, les écrivains publient en masse leurs journaux de leur vivant (souvent expurgés, comme le sulfureux journal de Julien Green) et où les états d'âme peuvent alimenter une chronique de blog en ligne, documentée par des vidéos et photos qui figent le souvenir de manière plus objective que la mémoire, que reste-t-il du journal intime ? Finalement, que faisons nous ici-même sinon le journal intime de nos lectures… alors quel rapport entretenir au journal intime ? Que peut-on en tirer ? A quel prix ?

Une anthologie travaillée, une tâche assez considérable pour sélectionner les petits bijoux qui nous sont donné à lire, très accessible, mélangeant les têtes d'affiches, Stendhal, Loti, Sand ou Renard avec des auteurs plus méconnus ou oubliés, un livre-refuge pour des confessions de chevet.

Qu'en pensez-vous ?
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Lire les journaux des grands auteurs, c'est entrer dans leur intimité, dans leur monde. Est-ce du voyeurisme pour autant ? Ce recueil n'invite pas à cela. Pourquoi ? me demanderez-vous. Tout bonnement parce que ces textes étaient déjà souvent faits pour être lus ou publiés du vivant de leurs auteurs.

Certaines de ces confessions n'apportent pas énormément d'enrichissement – pour ne pas dire qu'on se demande bien ce qu'elles font là (non, je ne l'ai pas dit !) - comme par exemple le fait que le samedi 21 juin 1788, la mère de Lucile Desmoulins ait offert à cette dernière un ver à soie (mouais, hein ? Ah, quand je le disais !). Cependant, d'autres permettent un éclairage sur la vie ou l'oeuvre d'un écrivain. C'est ainsi que l'on apprend la relation très difficile entre Nicolas Rétif de la Bretonne et son gendre, qu'il surnommait « le Monstre » (à juste titre d'ailleurs puisque ce dernier, de son petit nom, Charles-Marie Augé, fera subir à son épouse, Agnès Rétif, les derniers outrages). On participe à la tristesse de George Sand lors de sa rupture avec Musset : « Tu ne m'aimes plus, tu ne m'aimes plus, c'est bien aisé à voir. J'étais bien malade hier soir quand tu es parti. Tu le voyais bien, tu es parti cependant. Tu as bien fait, tu étais fatigué. Mais aujourd'hui pas un mot, tu n'as pas seulement envoyé savoir de mes nouvelles, je t'ai espéré et attendu minute par minute depuis onze heures du matin jusqu'à minuit (…). 22 et 23 novembre 1834» Enfin, certains textes ne sont pas des confessions. le journal de Jules et Edmond de Goncourt apporte une foule de renseignements sur la vie de l'époque, point sur leurs auteurs. Fausse pudeur ou réelle volonté d'exploiter un genre à des fins détournées ?

On partage, par bribes des petits moments, des grands événements, la tristesse ou la joie de ces Grands qui, finalement, restent des êtres humains avec des sentiments et des émotions.
Lien : http://www.lydiabonnaventure..
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critiques presse (1)
Telerama
13 juin 2012
De Nicolas Restif de La Bretonne à Léon Bloy, le panorama est vaste pour évoquer ce « baromètre de l'âme » qui connut sa grande époque au xixe siècle.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Alphonse Daudet
La Doulou
1887-1895

(Suite de notes non datées portant sur sa maladie, prises au cours des douze dernières années de sa vie)

(…) Un domestique est entré, a posé un livre ou je ne sais quoi sur la table. J'ai relevé la tête, et, à partir de ce moment, j'ai perdu toute notion pendant deux ou trois minutes. Je devais avoir l'air bien stupide, car le domestique m'a expliqué, devant l'interrogation de ma face, ce qu'il était venu faire. Je n'ai pas compris ses paroles et ne me les rappelle plus. (...)
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Pierre Loti
11 octobre 1886

(…) Nous passons la soirée à plier des lettres de faire-part de notre mariage.
Et j'ai hâte de partir parce qu'elle m'attend, elle, la pauvre que j'ai aimée si fort il y aura tantôt quatre ans. Quelque démon l'a remise encore sur ma route. Elle m'a demandé encore une nuit. J'avais dit non mais son regard m'a fait mal. Et puis elle m'a rappelé que, par grâce, elle m'avait accordé « encore une nuit » elle aussi, trois jours avant son mariage... Alors j'ai dit oui... La nuit est fiévreuse, presque pénible... Elle m'aime comme je l'aimais, elle souffre comme j'ai souffert. Et les mêmes caresses désespérées que je lui avais faites jadis, elle me les rend aujourd'hui. Je me suis bien vengé d'elle. (…)
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Jules Renard
17 mars 1890

Je passe un bien vilain moment. Tous les livres me dégoûtent. Je ne fais rien. Je m'aperçois plus que jamais que je ne sers à rien. Je sens que je n'arriverai à rien, et ces lignes que j'écris me paraissent puériles, ridicules, et même, et surtout, absolument inutiles. Comment sortir de là ? J'ai une ressource : l'hypocrisie. Je reste enfermé des heures, et on croit que je travaille (…)
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Jules Renard
29 décembre 1888

Que de gens ont voulu se suicider, et se sont contentés de déchirer leur photographie ! (...)
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