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EAN : 9782070421596
376 pages
Gallimard (30/05/2002)
3.29/5   209 notes
Résumé :
L'espoir est une denrée qu'Annie Ernaux délivre avec la plus rigoureuse parcimonie. Dans "Se perdre," journal intime où "Passion simple" (1992) prit sa source, elle se montre particulièrement avare. On pense à certains maîtres japonais, tel Kawabata, sorciers du genre : neige et ciel de cendre. Mais Annie Ernaux y apporte sa révolte : elle griffe la neige. Et laisse quelques lambeaux de chair collés au métal froid des lignes. Car jamais on ne saurait parler de chale... >Voir plus
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La Feuille Volante n°1078 – Octobre 2016
Se perdreAnnie Ernaux – Gallimard.

Depuis que je connais Annie Ernaux (par la seule lecture de ses textes, cela va sans dire, mais puisqu'elle a fait de sa vie la nourriture de ses romans e que j'en suis le lecteur attentif, je peux parler d'une véritable fréquentation quasi-personnelle), il me semble que le sexe et la recherche du plaisir ont tenu une grande place dans sa vie. D'emblée, elle nous parle de S. 35 ans, un homme marié, Russe, vaguement diplomate, apparatchik et peut-être membre du KGB, dont elle fut très éprise au point de ne rien écrire de création littéraire pendant tout le temps qu'a duré leur relation en pointillés à cause de la présence épisodique de l'épouse de S., hors mis la rédaction de son journal intime. C'est en effet à partir de ce document qu'elle va refaire le chemin à l'envers. Nous somme en 1988, elle a 48 Ans, elle est apparemment déjà divorcée, femme de Lettres, libre et mère de deux enfants. Sa rencontre avec S. est le prélude à une liaison torride pour elle mais qui est vécue par lui comme une passade sans lendemain et alors qu'elle recherche avec lui une véritable perfection dans la répétition de l'acte charnel, lui au contraire ne recherche que la jouissance, ne pense qu'à la baiser, elle, la femme de lettres, célèbre de surcroît … et à boire de la vodka ou du whisky ! C'est une situation d'autant plus cruelle pour elle qu'il ne l'aime pas et elle le sait (« je suis une parenthèse érotique dans sa vie, rien de plus »), qu'il la délaisse volontiers mais qu'elle l'attend quand même. Il semble apprécier seulement d être l'amant d'une femme plus vieille que lui, peut-être d'une Française, expérimentée dans l'art de faire l'amour et, qui plus est, est connue. A l'évidence et quelles que soient les marques de passion qu'elle pourra lui témoigner, il ne quittera pas sa femme pour elle, la préférant comme maîtresse que comme future épouse. Il me semble aussi qu'il y a aussi une ambiguïté dans l'attachement qu'elle a pour lui. Elle avoue que certes elle en est amoureuse mais corrige aussitôt cet aveu en ajoutant qu'elle est surtout fascinée par « l'âme russe », par l'URSS, comme elle l'est par la littérature slave, mais redoute d'être enceinte de lui. Elle souhaite aussi, parce que « la sexualité a toujours été une angoisse dans (sa) vie », maintenir seule cette liaison, « à bout de bras » avec cet homme, même si elle l'épuise, même si leur rupture est de plus en plus prévisible.

Elle nous confie, presque au jour le jour et sans omettre aucun détail ni aucune précision (le langage cru ne me gêne pas), ce qui pourrait être érotique mais qui à la longue devient lassant, ce besoin d'amour, cette passion qu'elle ressent pour lui cette histoire d'amours clandestines et qui lui rappelle ses précédentes liaisons. C'est un peu comme si S. rachetait par sa seule présence, même épisodique, toutes ses anciennes expériences décevantes, et ce malgré l'attente qu'il impose à Annie, le désir qu'il fait naître chez elle, malgré sa passion dévorante. L'attente chez elle est dévastatrice et s'apparente à la mort, pire peut-être, elle ne peut vivre sans écrire et cette espérance de lui annihile toute possibilité créatrice qui est le propre d'un écrivain. Est-ce que cette liaison avec un homme plus jeune qu'elle, signifie, même inconsciemment pour elle la peur de vieillir ? le temps qui passe, elle le voit pourtant dans son corps qui s'enlaidit et dans cette assemblée de femmes qu'est ce colloque d'auteures dont beaucoup sont plus jeunes (et plus belles) qu'elle, dont elle est jalouse et craint qu'il ne les croise et ainsi ne l'oublie pour l'un d'entre elles. Avec le temps sa confiance en lui s'émousse même au point qu'elle craint d'avoir une remplaçante ou pire, que S. à cause des frasques et des infidélités qu'elle lui prête ne lui transmette le sida. Quant au temps qu'elle passe avec lui, il file plus vite et, de ce fait, leurs rencontres, même passionnées, sont génératrices d'absence d'autant plus que, elle le sait, leurs rêves et leurs désirs sont différents et que la rupture laisse planer sur eux son ombre. Elle finit par se faire une raison, avec lui elle a perdu son temps.

J'en reviens au phénomène de l'écriture, ce besoin de confier au papier ses moindres sentiments, ses envies les plus intimes, ses expériences et ses fantasmes les plus débridés. L'auteure l'a fait en tenant un journal intime et c'est sans doute là une libération, une manière d'exorciser ses tourments en les nommant. Mettre des mots sur ses maux est une activité plutôt saine et libératrice. Annie Ernaux est une femme de Lettres qui a délibérément choisi de faire des moindres événements de sa vie la nourriture de sa démarche d'écrivain en refusant la fiction. Soit ! Dès lors un auteur peut tout dire de lui-même et bien peu s'en sont privé, racontant leur histoire qui parfois a été passionnante. Il n'y a pas en ce domaine d'interdit à part ceux qu'on s'impose à soi-même et apparemment elle ne s'en impose pas et se lâche dans la confidence. Je ne suis pas sûr pour autant que l'intérêt du lecteur soit au rendez-vous.

Je n'ai pas retrouvé ici, à cause dans doute du parti-pris de l'auteur d'adopter la forme d'un éphéméride, le style fluide que j'apprécie tant chez Annie Ernaux. En outre, l'aspect répétitif du thème choisi m'a, je l'avoue, un peu lassé, de même d'ailleurs que la fréquente allusion aux rêves. Bref, cette histoire d'une femme follement amoureuse d'un homme qui ne l'aime pas, qui n'est finalement qu'un amant parmi tant d'autres et qui va s'éclipser de sa vie sur la pointe des pieds, ne m'a que très modérément intéressé.

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Journal intime d'Annie Ernaux lors de sa liaison avec un diplomate. Mort, écriture et sexe fusionnent. Un ressenti très bien traduit par une écriture juste et précise.
C'est très bien écrit mais impudique et dérangeant. Un journal intime est fait pour soi pour exprimer des sentiments, des émotions, des réflexions hors du regard des autres. Je comprends sa nécessité vitale d'écrire ce jorunal, mais les liaisons d'Annie Ernaux ne nous regardent pas. Son rôle d'écrivain était de transposer cette histoire dans un roman fictif afin de préserver son intimité et de ne pas nous rendre indiscrets et voyeurs.
J'ai été plusieurs fois tentée de ne pas continuer à lire cette "nappe de souffrance égocentrique" comme elle dit elle même.
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En 2001, Annie Ernaux décide de publier les pages de son journal intime concernant sa passion avec S., attaché culturel de l'ambassade d'URSS. Cette liaison, elle l'a décrite dans un ouvrage publié presque dix ans plus tôt, "Passion simple". On est frappé par la différence de ton, l'absence de distance qui caractérise forcément les écrits contemporains des faits relatés. Cette perte du sens commun décrite, disséquée, analysée dans "Passion simple" nous est ici livrée brute, sans le regard un peu extérieur qu'offre le temps qui passe. Malheureusement, la sauce ne prend pas. Les chroniques intimes sont faites pour le rester et on finit par s'ennuyer. D'autant que tout cela s'étale sur plus de 370 pages. Le ton est souvent cru, explicite. Ce n'est pas la première fois que cela m'apparaît mais ici, c'est encore plus marqué: lorsqu'elle parle de sexe, Annie Ernaux a tendance à perdre le côté neutre, blanc qui caractérise son écriture. Elle est dans l'exhibition, comme si elle avait quelque chose à prouver. Elle se complaît manifestement dans l'utilisation de tournures salaces, de termes vulgaires ou inutilement explicites. Qu'on me comprenne bien, je ne joue pas l'oie blanche ou le Père la Morale, je constate juste une différence de traitement marquée dans les descriptions liées à la sexualité. Je ne suis pas sûr qu'il y ait vraiment un intérêt à savoir qu'elle l'a sucé dans le hall ou qu'enfin il l'a sodomisée.
Bref, un avis plus mitigé que d'habitude pour ce bouquin d'une auteure qui reste, malgré tout, parmi mes préférées.
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En 1988, Annie Ernaux part en voyage en Russie soviétique. le dernier jour de la tournée, à Leningrad, elle a commencé une liaison avec un diplomate russe, en poste à Paris et marié. Il avait 35 ans ; elle, 48. Leur liaison se poursuivit à Paris. Se perdre est le journal original et inaltéré qu'Ernaux a écrit pendant leurs 18 mois ensemble.
Cette affaire a produit non pas un mais deux livres, l'autre étant Passion Simple. Comme Anna Karénine et Madame Bovary, la liaison d'Ernaux doit être comptée comme l'une des grandes liaisons de la littérature. Sa subversion n'est pas simplement la subversion du genre - une femme écrivant sa propre histoire de passion, (historiquement domaine réservé aux hommes), c'est aussi l'absence totale de honte, une des qualités qui distingue les écrits d'Ernaux.
La romance était motivée, de la part d'Ernaux, par une poursuite de la perfection; tout au long, elle a cherché à recréer - pour la dernière fois - la première nuit à Leningrad encore et encore. Pour le Russe, Ernaux était un écrivain célèbre et le meilleur 'affaire' sexuelle de sa vie. Il lui était interdit de le contacter à l'ambassade et Se perdre a été écrit pendant les journées en attendant qu'il l'appelle. Souvent, le silence du diplomate ets interpreté comme ka fin de son histoire. "Ça y est", écrit-elle souvent, "c'est fini". Une terreur constante d'être larguée détruit Ernaux tous les jours.
Elle est à genoux dès la première page, en proie à une luxure qu'elle veut cultiver. Vous vous sentez comme si son coeur était entre vos mains. Elle va à des événements sociaux ennuyeux; elle assiste à des projections de films à l'ambassade ; elle part à l'étranger pour des voyages de presse. Elle le désire partout : à toute heure de la journée, dans tous les pays qu'elle visite. Elle s'achète de nouveaux vêtements; elle fait des courses pour lui ("Je suis à la fois mère et putain"). Elle a des rêves sexuels vifs. Mais au fond de sa tête, il y a toujours l'anticipation de l'appel téléphonique.
le Russe n'a aucune présence physique à Paris, sauf lorsqu'il est dans le lit d'Ernaux. C'est un homme dont toute la personnalité pourrait se résumer ainsi : « Il baise. Il boit de la vodka. Il parle de Staline. Quand il s'habille, il énumère, vêtement par vêtement, les noms de toutes les marques qu'il porte. Donc pas vraiment communiste alors ! Sa présence est plus psychologique, ressentie abondamment à l'évocation du mot « appel ».
Simple Passion était un mémoire intelligemment conçu; Se perdre est une grande partie de sa vie et la version la plus intéressante de l'affaire. Ernaux veut que ce soit une histoire d'amour depuis le début, mais ce n'est pas le cas. Au lieu de cela, c'est une étude d'une femme à son apogée. À l'avenir. Je soupçonne que le livre deviendra une sorte de totem pour les amoureux : un manuel pour les aider à trouver leur centre quand, comme Ernaux, ils sont éperdus d'amour.
Tous ses livres ont la qualité de sauver de l'oubli de frêles détails humains. Ensemble, ils racontent, par fragments, l'histoire d'une femme du XXe siècle qui a vécu pleinement, a recherché la douleur et le bonheur de manière égale, puis a consigné ses découvertes sincèrement sur papier.
Sa vie est notre héritage.
Lien : http://holophernes.over-blog..
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« Suis-je amoureux ? Oui, puisque j'attends. », Roland Barthes
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Annie attend. Elle est dans le manque, la dépendance et c'est pour quoi elle écrit. Elle écrit pour revivre le moment vécu et « redoubler la jouissance des rencontres », mais surtout pour supporter l'attente, pour supporter l'absence de l'autre. Grâce à ce journal, elle arrive à verbaliser ses émotions et crier, en silence, sa déception, sa douleur, sa rage.
C'est à travers une écriture simple, concise, sans effet littéraire qu'Ernaux nous raconte sa passion pour un diplomate russe, marié, avec qui elle entretiendra une relation secrète d'à peu près un an. Elle parle d'un « bonheur douloureux », d'une passion-obsession dans laquelle elle se perd de jour en jour. le rythme de ses phrases est saccadé, comme une respiration haletante et l'on ressent parfaitement son trouble par le biais de son écriture orale et authentique. Ses expressions sont coupées, incomplètes et illustrent son mal tout comme la noirceur des mots qu'elle choisit pour traduire la puissance de cet amour destructeur. L'écriture a un aspect salvateur pour elle et remplace ses idées noires, morbides : « J'écris à la place de l'amour, pour remplir cette place vide, et au-dessus de la mort. » Elle tente, en écrivant, de se comprendre ; ses questionnements sont nombreux et rendent le rôle de ce journal thérapeutique – une manière d'exorciser ses tourments en les racontant.
Ernaux est une écrivaine à la recherche de la perfection, de l'absolu, de la beauté et de l'esthétique. La sincérité est ce qu'il y a de plus touchant dans son Oeuvre. Elle avait d'abord écrit un roman : "Passion simple", dans lequel elle raconte son idylle avec le diplomate russe mais elle a trouvé le roman un peu loin de vérité, embelli, moins cru, d'où sa décision de publier Se perdre où elle nous dit tout. Elle a décidé de faire entièrement confiance à son lecteur en lui confiant ses secrets, ses peines, ses envies les plus intimes, en détail, sans peur du jugement.
• « Je me suis aperçue qu'il y avait dans ces pages une "vérité" autre que celle contenue dans Passion simple. Quelque chose de cru et de noir, sans salut, quelque chose de l'oblation. »
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Citations et extraits (70) Voir plus Ajouter une citation
Maintenant je le cherche uniquement pour l’amour, c’est-à-dire ce qui ressemble le plus à l’écriture, pour la perte de moi-même, l’expérience du vide comblé.
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La seule façon de finir sans trop souffrir, faire de l’adieu une cérémonie.
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Tout est difficile. Me dire, il est insignifiant intellectuellement,
personnalité conformiste, etc ... ne sert à rien
puisque ce n'est pas pour cela que je suis attachée à lui,
mais par ce lien de peau indéfinissable,
dont le manque est à crever.
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Je n'ai jamais rien su de ses activités qui, officiellement, étaient d'ordre culturel. Je m'étonne aujourd'hui de ne pas lui avoir posé plus de questions. Je ne saurai jamais non plus ce que j'ai été pour lui. Son désir de moi est la seule chose dont je sois assurée. C'était, dans tous les sens du terme, l'amant de l'ombre.
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Lundi 3
 
Hier soir, il a appelé, je dormais, il voulait venir. Je ne pouvais pas (Eric présent). Nuit agitée, que faire de ce désir, et encore aujourd'hui, où je ne le verrai pas. Je pleure de désir, de cette faim absolue que j'ai de lui. Il représente la part de moi-même la plus « parvenue », la plus adolescente aussi. Peu intellectuel, aimant les grosses voitures, la musique en roulant, « paraître », il est « cet homme de ma jeunesse », blond et un peu rustre (ses mains, ses ongles carrés) qui me comble de plaisir et auquel je n'ai plus envie de reprocher son absence d'intellectualité. Il faudrait tout de même que je dorme vraiment, je suis aux limites de l'épuisement, incapable de faire quoi que ce soit. Le deuil et l'amour sont pour moi une seule et même chose dans ma tête, mon corps.
Chanson d'Édith Piaf, « Mon Dieu, laissez-le-moi, encore un peu, un jour, deux jours, un mois... le temps de s'adorer et de souffrir... » Plus je vais, plus je me donne à l'amour. La maladie et la mort de ma mère m'ont révélé la force du besoin de l'autre. Je m'amuse de l'entendre. S., me répondre, quand je lui dis « je t'aime » : « Merci ! » Pas loin de « Merci, il n'y a pas de quoi ! » En effet. Et il dit : « Tu verras ma femme », avec bonheur, fierté. Moi, je suis l'écrivain, la pute, l'étrangère, la femme libre aussi. Je ne suis pas le « bien » qu'on possède et qu'on exhibe, qui console. Je ne sais pas consoler.
 
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Vidéo de Annie Ernaux
En 2011, Annie Ernaux a fait don au département des Manuscrits de la BnF de tous les brouillons, notes préparatoires et copies corrigées de ses livres publiés depuis "Une femme" (1988). Une décennie et un prix Nobel de littérature plus tard, elle évoque pour "Chroniques", le magazine de la BnF, la relation qu'elle entretient avec les traces de son travail.
Retrouvez le dernier numéro de "Chroniques" en ligne : https://www.bnf.fr/fr/chroniques-le-magazine-de-la-bnf
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