Trois voies pour connaître le monde: la science, la littérature et le sexe. Un medium commun entre elles : le regard.
A travers le trio complexe que forment un père, son fils et la femme de ce dernier,
Moravia jette les lignes de son récit, comme autant de hameçons...
Pêche inventive, complexe, intelligente et déroutante.
Le Narrateur, Dodo, professeur de littérature française sans grand renom, a un surnom ridicule, enfantin et régressif. Il est l'époux de la belle Silvia qui l'aime mais étrangement le quitte "pour réfléchir ». Tous deux vivent dans l'appartement du père de Dodo, émérite professeur de physique à la faculté, un vieux Don Juan provisoirement hors de course - encore que...- des suites d'un accident de voiture.
Entre le vieil homme, guetté par l'âge et l'impotence - à ne pas confondre avec l'impuissance- et l'homme jeune, empêtré dans son passé de rebelle et refusant honneurs et possessions matérielles, se joue une rivalité qui a le sexe pour emblème, pour terrain. le sexe, le désir et la transgression. Silvia est en effet l'enjeu de cette lutte mortifère.
Le vieil homme est un scientifique, son fils un littéraire : chacun a sa grille pour analyser le conflit immémorial entre père et fils, dans le tissu compliqué des relations humaines.
Etrangement, avant même de centrer son inquiétude sur ce problème intime et douloureux, c'est la catastrophe nucléaire qui obsède le narrateur : il voit des champignons atomiques s'ouvrir comme de monstrueux parachutes au-dessus de la coupole de Saint-Pierre de Rome.
Sa grille de linguiste – et le désordre amoureux qu'il est en train de vivre - lui font bientôt voir une parenté étroite entre « fission » et « fente ».. La catastrophe nucléaire redoutée serait apparentée à celle qui menace son couple : la curiosité scientifique pousse à intervenir, pour la briser, dans la matière même et la créativité littéraire offre ses points de vue voyeuristes sur ce « coquillage pâle et rose », pour en surprendre les secrets, en déchiffrer les oracles…
J'ai lu avec fascination ce récit limpide, mais ô combien complexe, pimenté de quelques scènes d'un érotisme raffiné- on convoque Mallarmé,
Baudelaire,
Proust,
Hérodote, ou les peintres
De La Renaissance italienne- les scènes les plus crues sont toujours entrevues par l'entrebâillement d'une porte, dans le secret d'une bibliothèque, d'un bureau ou d'un cabinet particulier.. faisant du lecteur- ou de la lectrice- un(e) scopophile consentant(e) – le mot voyeur est trop vulgaire pour une quête aussi exigeante de la vérité.
La fin m'a surprise : une sorte de retour à la case départ inattendu- et pourtant tout le parcours intellectuel et érotique des protagonistes a profondément modifié la donne. Même si le mystère des décisions humaines reste entier.
Il faut réfléchir davantage, semble nous dire
Moravia. Pas question de vous délivrer un prêt-à-penser des relations homme-femme ou des modes de règlement du conflit oedipien…Débrouillez-vous avec les outils à votre disposition : lisez, parlez, écoutez, mais surtout regardez, de tous vos yeux, regardez…