Lorsque l'inoubliable interprète du juge Roban d'Engrenages se livre à propos de la pratique du métier d'acteur et du rôle à jouer : un beau moment d'intelligence sensible.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/07/05/note-de-lecture-
le-juge-et-son-fantome-philippe-duclos/
Du 13 décembre 2005 au 12 octobre 2020, les huit saisons de la série « Engrenages », sur Canal+, auront sans doute constitué, en termes de réception en France, l'un des phénomènes majeurs de l'audiovisuel de ces dernières années. Recueillant à la fois dans l'ensemble les faveurs de la critique, du public et une réelle attention internationale, elle constituait un tournant subtilement novateur en mixant de manière plutôt fine des ingrédients bien connus des séries télévisées françaises jusque là, à savoir le police procedural de base (aux exemples innombrables, mais esthétiquement et politiquement fondés en l'espèce sur une lecture du contemporain plus proche de celle du célèbre « l'627 » de
Bertrand Tavernier que sur celle d'
Olivier Marchal – qui influencera en revanche, à peu près à la même époque, l'ambigu « Braquo ») et les démêlés des avocats avec les forces de l'ordre (dont « Avocats et associés » constituait le plus fringant exemple), mais en y adjoignant, dans la tentative de rendre compte avec le plus d'exactitude possible – tout en restant accessible au plus grand nombre – l'actuelle fabrique de la justice dans notre pays, le parquet (sous sa forme idéaliste avec le jeune Pierre Clément joué par Grégory Fitoussi – que l'on se réjouira aussi de retrouver quelques années plus tard en membre aguerri des forces spéciales françaises en Irak, dans « le Bureau des Légendes », mais ceci serait une autre histoire à part entière – et sous sa forme complaisante et corrompue avec le fort installé Édouard Machard joué par Dominique Daguier) et l'instruction judiciaire. Sorti par surprises des limbes scénaristiques, c'est pourtant bien le personnage du juge d'instruction François Roban, joué par
Philippe Duclos, qui fut et demeure l'une de ces créations fictionnelles qui font date, à plus d'un titre.
C'est grâce à
Yves Gourvil, à son magnifique «
Requiem des aberrations » et à ma collègue et amie Marianne, ardente instigatrice d'une soirée de lecture et de discussion consacrée, en juin 2016 à la librairie Charybde, à Moïse Chant-d'Amour, à Bankara et au narrateur, les personnages principaux imaginés par
Yves Gourvil, que j'avais eu la chance de côtoyer brièvement
Philippe Duclos, venu prêter main et voix forte, avec Lucia Bensasson, à son ami Yves pour porter le verbe en chair. C'est ainsi que j'avais pu toucher de l'oeil et de l'oreille, si l'on ose dire, le formidable professionnalisme, la profonde humilité et l'incessant questionnement théâtral qui taraudent presque au quotidien celui dont François Roban a été le fantôme pendant quinze ans, à moins que ce ne soit le contraire.
Entre les commentaires du script, à chaud et à froid, lors de sa découverte ou lors de son exécution, les réflexions sur le personnage et sur le jeu lui-même, mobilisant pour tirer son propre fil les actrices et acteurs (
Bette Davis,
Jean Gabin,
Gene Hackman, Marlon Brando,
Marilyn Monroe, Henry Fonda et
Al Pacino surtout), la mise en scène et la direction (
Alfred Hitchcock,
Lee Strasberg,
Philippe Garrel, Orson Welles,
Werner Herzog, ou
Antoine Vitez), la littérature (
Dostoïevski,
Shakespeare,
Henry Miller,
Tchékhov,
Charles Dickens, ou
Clarice Lispector) et même la philosophie (
Henri Bergson,
Descartes,
Nietzsche, Deleuze et
Guattari, de manière justement insistante,
Spinoza surtout, relu durant le tournage de la saison 3),
Philippe Duclos nous offre, avec ce «
le juge et son fantôme » publié aux éditions des Équateurs en mai 2021, une saisissante plongée dans le coeur pulsatile et encombrant du métier d'acteur, de la part d'obsession et de celle de détachement qui s'y livrent un combat éventuellement sans merci, des jeux qu'y trame l'intellect et des libérations qui peuvent s'y produire, et, en magnifique professeur de théâtre qu'il est aussi, il conduit cette offrande avec un beau mélange résolu d'humilité et de ferveur.
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