Car lorsque je parle d'amour, je le prends dans tous ses états. Celui qu'on va faire et celui qu'on a fait. Celui dont on se souvient et celui dont on rêve. L'idylle et la rupture. La passion furieuse comme les roucoulades de ceux qui ne cessèrent jamais de s'aimer d'amour tendre. Les noces de platine et celles de papier. L'amourette-déjeuner-de-soleil, le chagrin inconsolable. La joyeuse aventure d'une nuit, oubliée dès le lendemain. Enfin, sa variante la plus ambiguë, suraiguë, tendue, ce diamant du sentiment que le français a baptisé d'un terme aussi raffiné que lui : l'amitié amoureuse.
La confiance en l'autre et le goût du partage. Deux idéaux de plus en plus saccagés dans notre société envahie par le fascisme marchand et ses effrayantes métastases : l'individualisme égomaniaque présenté comme valeur absolue ; la vie conçue comme quête indéfinie de jouissances ultra-rapides et renouvelables à volonté ; le partenaire amoureux perçu comme simple objet de consommation.
Enfin la poubelle, à chaque ouverture, nous rappelle, avec son remugle, que notre propre formule biochimique est constamment menacée de décomposition ; et que l'ultime destinée de nos corps sera identiques à celle des épluchures, écorces, pépins, noyaux, boyaux, bouts de gras, coquilles qui y achèvent leur parcours au milieu des emballages-plastiques.
Mais, après tout, qui d'entre nous n'a un jour enfoncé ses dents dans un corps désiré, parfois jusqu'à le mordre ? Qui n'a murmuré alors, animé sans doutes par les mêmes pulsions d'ogre ou d'ogresse mal assoupies au tréfonds de son cerveau limbique : "Je te mangerais..." ?
En définitive, les chausseurs sont beaucoup mieux placés que les cuisiniers et les cuisinières pour éclairer ces mystères, eux qui assurent que, lorsqu'on a envie de souffrir, on trouve très facilement chaussure à son pied. Et que, de leur côté, nombre de chaussures s'entendent extrêmement bien elles-mêmes à dénicher des orteils à martyriser...
Entretien sur les origines et l'étymologie du mot ÉCRIRE entre Irène Frain, écrivaine, et Caroline Fourgeaud-Laville, hélléniste.