Mais quelle est donc la raison d'être de ce livre? Voilà pour moi toute la question. Peut-être faudrait-il commencer par un état des lieux. le contexte! dit-on en histoire, un peu comme les agents immobiliers vous serinent location, location, location. C'est vrai, le contexte, d'abord.
Le nigaud français, Audiard l'aurait appelé un "cave", a des envies d'extrême droite. Des envies honteuses, parce que Maurras, c'est le Mal, comme nous le rappellent heureusement M.
Bernard-Henri Lévy, Mme
Annie Ernaux, Mme
Fred Vargas ou Mme Nyssen, l'éditrice d'
Actes Sud, et ex-ministresse de Macron débarquée pour ses grandes libertés avec le fisc et l'urbanisme. Il est sevré depuis Mitterrand d'alternative au politiquement correct et à la pensée unique qui ont envahi les écrans sans partage, saturent les micros des radios d'État comme des radios faussement libres vivant des subventions, et surtout monopolisent le monde de l'édition. Eh oui, quelle langue voudriez-vous que parlât une édition soi-disant française détenue en réalité et en totalité par trois patrons de la haute finance internationale? Mais sa langue officielle, voyons, celle de la mondialisation néo-libérale : le politically-correct.
Le nigaud français n'en peut plus. Il étouffe. Il suffoque dans cette atmosphère irrespirable, et il est terriblement déçu par les nouveaux héros que nos fins stratèges de la métapolitique néo-droitière ont sélectionnés pour lui, ces YouTubeurs affligeants qui se déguisent en "gangsta pimps", en proxénètes tarés des ghettos de Los Angeles, ou en cowboys nains version Dallas, gonflés aux stéroïdes comme des bibendums, et dont le seul titre de gloire – très apprécié de ces abrutis – est de pouvoir massacrer des marcassins au pistolet-mitrailleur. le nigaud français se souvient vaguement d'une droite littéraire qui avait pour noms
Paul Morand,
Jacques Perret,
Roger Nimier,
Jean Dutourd ou Jean Cau. Mais on ne les trouve plus à la bibliothèque : ils ont été "désherbés" - un mot et une opération à l'initiative de ce grand humaniste, créature mitterrandienne et orchestrateur des tribunaux politiques au sein de l'Université de Lyon III, l'inénarrable
Jack Lang. Désherbés, comprendre: c'était de la mauvaise herbe.
Le nigaud français voudrait goûter à cette littérature interdite, mais il a peur. Que dira la belle-mère? C'est un argument à se fâcher en famille! Et si ses coordonnées bancaires étaient associées à l'achat sur Internet d'un livre de
Paul Morand? Ne risquerait-il pas de voir débarquer chez lui le GIGN à 6 heures du matin ? Comme dans un roman de Kafka? Car la France est kafkaïenne, mais chut, n'en disons rien, car ce serait assimilé à du conspirationnisme, or cela aussi, c'est interdit! Comment faire sans rien risquer? Alors il se tourne vers un ersatz, une pâle copie que
l'occupation des médias par des petits soldats politiques vous autorise à consommer à condition que vous n'alliez pas commettre le délit de vous procurer l'original. Il achète du Tesson. Personnellement, je préférais Romain Bouteille. Au moins, on pouvait faire jouer la consigne.
Sylvain Tesson, fils de
Philippe Tesson, c'est tout
Saint-Germain des Prés. Son ambigu papa était tout à la fois de gauche, de droite, mitterrandien, anti-mitterrandien, ami avec
Jack Lang et
Laurent Joffrin, mais écrivant pour
Valeurs Actuelles, soi-disant catholique mais bisexuel revendiqué et finalement incinéré, pour la liberté d'expression mais souhaitant avec une tonitruance bizarre la mort de Dieudonné M'Bala M'Bala – pour qui je n'ai aucune sympathie, et c'est peu dire, mais de là à appeler au meurtre, c'est une autre affaire. Bref, on voit bien que les étiquettes politiques ad usum cretinorum n'ont à
Saint-Germain des Prés aucune validité et que les connivences sont, comme on dit à présent, "transversales".
Sylvain Tesson imite
Jean Raspail, qui n'était pas un très bon auteur, lequel imitait
Saint-Loup, qui n'était pas un bon auteur non plus. On a bien le droit de détester, littérairement ou philosophiquement qui on veut, à commencer par Raspail ou
Saint-Loup. Il y a toutefois une chose qu'on ne peut leur retirer: ils étaient AUTHENTIQUES.
Saint-Loup, engagé sur le front de l'Est pour ses idées, avait joué sa peau. Raspail traquait son Graal: la Mémoire laissée par les derniers hommes avant la catastrophe de la modernité, cette Mémoire qu'il voulait recueillir comme Lancelot le sang du Christ pour la léguer à la postérité.
Et Tesson? M'est-il autorisé de dire comment je l'ai toujours vu? Comme cet Arthur Lempereur, milliardaire désoeuvré de trente ans campé par Belmondo dans Les Tribulations d'un Chinois en Chine de Philippe de Broca. Un aventurier de luxe qui a superficiellement emprunté au cadre raspailien, mais qui serait à Raspail ce qu'est le Canada Dry au
Jack Daniels. Ou bien, pour prendre une autre image, c'est pour le nigaud français une littérature de droite désamorcée, convenable, à risque zéro et qu'on lit un peu comme des adultes qui feraient semblant de tirer des bouffées de ces cigarettes en chocolat qui se vendaient sur les présentoirs des boulangeries de mon enfance. Car Tesson a bien pris garde de jouer sur la veine pour s'assurer un lectorat, mais il n'a pas perdu de vue le salutaire principe de
Shakespeare – ne pas se compromettre: "He who sups with the devil should have a long spoon". le prétexte du non-engagement, qui avait été conçu de façon toute différente par les trois hussards, a bon dos.
Alors, à quoi SERT ce livre qui dénonce
Sylvain Tesson comme un "fasciste"? Mon premier réflexe, dès sa parution, a été: "A augmenter les ventes par réaction (dans tous les sens du terme réaction)". C'est bien ce qui s'est produit: de
Valeurs Actuelles à
Jack Lang (oui!), nous avons assisté à une levée de boucliers contre la censure (!) d'un écrivain. Et tout le monde de publier virtuellement sur les réseaux sociaux un petit macaron préfabriqué: "JE SUIS TESSON", achat compris d'un de ses riches ouvrages à la clef (la résistance a un prix). Si j'étais conspirationniste, ce qu'à Dieu ne plaise, je pourrais imaginer que M. Krug est un idiot utile qui s'est fait manipuler dans un opération de com qui le dépasse complètement. Par exemple, le délire pourrait me suggérer qu'il a été publié au Seuil qui appartient au groupe Média-Participations, étiqueté catholique (postconciliaire) de droite (capitaliste), milieu dans lequel navigue depuis longtemps
Sylvain Tesson via les associations qu'il préside, comme Chemins d'Étoiles. Mais heureusement, je n'appartiens pas à cette catégorie de gens infréquentables, les vils conspirationnistes (les conspirations, ça n'existe pas!), et je conclus que tout cela n'est qu'un hasard, que tout n'est qu'illusion, concours de circonstances… Oui, certainement. Tout est factice. Et si les ventes de Tesson ont explosé grâce à ce livre absurde qui fait de lui un écrivain d'extrême droite, je ne peux que m'en réjouir pour cet aventurier du Boul' Mich' qu'on a injustement calomnié.