On imagine souvent Montaigne enfermé dans la Tour de sa "Librairie" (sens ancien) méditant et écrivant l'oeuvre de sa vie : "les Essais". C'est oublier qu'il a beaucoup voyagé (à cheval forcément au XVIème siècle) pour des raisons personnelles, médicales et surtout politiques. Montaigne fut un homme engagé dans la vie publique de son temps : maire de Bordeaux, chargé de nombreuses missions diplomatiques en cette époque troublée de guerre de religions.Les voyages étaient longs, pénibles et propices pour Montaigne à la réflexion.
Il ne s'agit pas ici d'une interprétation des Essais mais plutôt de l'apport des voyages à sa réflexion. Homme de l'introspection, Montaigne part de l'individu pour accéder à l'universel. "Je suis homme et rien d'humain ne m'est étranger", célèbre phrase de Térence figure en bonne place sur les poutres de sa fameuse Tour et symbolise la pensée humaniste de Montaigne, son ouverture aux autres, sa lutte contre l'intolérance, sa compréhension humaine qui s'accroît au fil de la rédaction des Essais. Pour autant, Jean Lacouture ne transforme pas Montaigne en homme parfait. Il ne cache pas les aspects plus gênants de son oeuvre ou de sa personnalité. Les Essais sont en grande partie, pour les deux premiers livres tout au moins, un livre consacré à la guerre. Il ne condamne pas les massacres des guerres de religion, celui de la Saint Bathélémy en particulier, voire les juge inévitables même s'il est difficile de juger de notre époque l'enchevêtrement des hommes, familles, religions, leur mobilité (exemple d'Henri IV qui change de religion à de nombreuses reprises). Montaigne, homme d'ouverture, admirateur des auteurs anciens se montre en revanche peu sensible aux arts picturaux et à l'architecture lors de ses voyages en Allemagne et Italie. Que dire du piètre époux et père de famille qu'il fut (à sa décharge, il n'eut que des filles...) ? Mais nobody is perfect.
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Je n'ai jamais pu lire sérieusement "Les Essais", car je suis rebuté par l'écriture de Montaigne et par son manque apparent de cohérence et d'ordre. Je le regrette. C'est pourquoi, faute de lire l'oeuvre, j'ai voulu découvrir l'homme. Jean Lacouture, journaliste et écrivain toujours resté fidèle à ses origines bordelaises, était bien placé pour approcher la vie et la personnalité de Montaigne.
Cette biographie nous montre d'abord ses expériences de jeune homme dissipé et sensuel, puis sa légendaire amitié pour E. de la Boétie, la charge de magistrat qu'il assume à contrecoeur, enfin sa "retraite" précoce dans son manoir. Mais Montaigne a eu aussi un engagement dans la vie publique: maire de Bordeaux et fin négociateur, au coeur d'une période agitée et très dangereuse, il a dû prendre quelques risques (mesurés !). Ménageant à la fois la chèvre et le chou, il a parfois pris des positions qui nous semblent éthiquement discutables et, occasionnellement, il a même fui ses responsabilités. Jean Lacouture ne cherche pas à cacher ces "faiblesses", mais il les replace dans leur contexte et, d'une manière générale, il fait preuve d'indulgence.
La vérité, c'est que Montaigne était avant tout centré sur lui-même, individualiste, très peu enclin à être le martyr de causes (extrémistes) auxquelles il n'adhérait pas. Il a toujours gardé beaucoup de recul par rapport à la politique et à la guerre. Tout en étant conservateur et modéré, il exprimait aussi des idées progressistes, qui sont le témoignage d'un esprit ouvert mais qui avaient peu de poids dans son siècle brutal.
Grâce à cet ouvrage, on découvre une personnalité originale et complexe; on a aussi un aperçu (très partiel) sur sa pensée.
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Montaigne amoureux , c'est d'abord la tranquille affirmation d'une philosophie du plaisir dégagée de tous les principes chrétiens (sinon antiques) qui corsètent une société dans laquelle il vivait en notable, pratiquant les sacrements de l’Église. C'est aussi la pratique d'une dichotomie radicale entre la sexualité et les sentiments. C'est enfin la coexistence flegmatique entre une misogynie d'époque, très banale et donc surprenante chez un personnage aussi apte à se libérer de tous les autres préjugés ambiants, et un féminisme de principe aussi hardi que son mépris du racisme ou sa haine des châtiments corporels. Autant d'attitudes qui le situent en avance de plusieurs siècles sur son temps. (p.76).
La conscience de sa seigneurie et de son savoir élitiste, qui le guindait encore en 1572 se mue, vingt ans après, en sympathie citoyenne, en tolérance lucide. Il était renaissant, il s'est fait humaniste. (p.379).
Montaigne est assez grand pour n'être pas apprécié à la seule aune des pratiques et des mœurs de son temps. Quand on est capable à propos de la justice, de la tolérance, du racisme ou de la colonisation de précéder les mœurs et les idées de son temps de plusieurs siècles, on peut être estimé indépendamment des considérations d'époque ou de mode. (p.306).
L'extraordinaire liberté introspective qu'inventent les Essais est le fait d'un voyant qui a connu l’extrême douceur de l'endormissement, la poignante sérénité d'un au-delà d'où il a cru revenir. (p.173).
Comme le secrétaire florentin, le philosophe gascon peut bien admettre le crime comme "nécessaire" et "utile' , le "mal" comme source d'énergie politique. Mais la rude leçon du Prince, reprise chez lui, est insérée, modulée dans un ample discours pour la tolérance, contre la tyrannie et la cruauté. (p.231).
20 mai 1996 Olivier BARROT présente une biographie de MONTAIGNE, écrite par Jean LACOUTURE, aux éditions du Seuil : "MONTAIGNE A CHEVAL". Images d'archive INA