Si on commence à trucider des magistrats (presque en série), c'est que l'heure est grave, même à un endroit où règne une organisation appelée Mafia et où les excès de violence sont plus fréquents que chez nous - Grazie a Dio ! le ministre de la sécurité charge l'inspecteur Amerigo Rogas de mettre illico presto fin à ce carnage insolite, tout en spécifiant qu'il ne s'agit pas de se montrer trop pointilleux sur les méthodes employées, pourvu qu'à travers la magistrature le régime ne soit pas éclaboussé.
Les cinéphiles parmi vous ont probablement vu le film que le régisseur
Francesco Rossi a tiré de ce livre, sous le titre "Cadavres exquis", en 1976, avec Lino Ventura dans le rôle de l'inspecteur Rogas, avec à ses côtés Marcel Bozzuffi et étrangement l'acteur suédois Max von Sydow, immortel depuis sa performance dans "Le Septième sceau" d'
Ingmar Bergman.
Attention ! "
Le contexte" est beaucoup plus qu'un vulgaire polar, son auteur,
Leonardo Sciascia, beaucoup plus qu'un scribouillard de romans noirs et
le contexte se réfère à la période qualifiée de "les années de plomb". Trois raisons donc de ne pas vous contenter uniquement du film, malgré la prestation admirable de Lino Ventura.
Car :
1) Cet ouvrage est avant tout une analyse des moeurs politiques et par extension une étude de société.
2) L'auteur,
Leonardo Sciascia (1921-1989), était un essayiste, écrivain, journaliste et homme politique d'origine sicilienne.
3) Les années de plomb désignent la période de violence, après 1968, provenant des groupes d'extrême gauche et droite, surtout en Allemagne avec la Fraction armée rouge ("Rote Armee Fraktion" ou RAF) ou le groupe Baader-Meinhof et en Italie les Brigades rouges ("Brigate Rosse") avec comme point culminant l'enlèvement et l'assassinat d'Aldo Moro, ancien Premier ministre et président du parti Démocratie chrétienne, en 1978.
Ce qui ne veut pas dire qu'on a à faire à un essai rasoir, puisque après tout, en très peu de temps, un procureur et 4 juges sont brutalement abattus d'un coup de revolver en plein coeur et qu'Amerigo Rogas mène bel et bien son enquête, quand bien même selon sa façon personnelle, assurément peu orthodoxe.
Notre inspecteur est persuadé que cette mini-hécatombe porte le signe de la vengeance et se met à éplucher les dossiers du tribunal pour trouver la personne qui pourrait avoir des motifs pour se venger contre ces magistrats. Lorsqu'un 6ème magistrat est assassiné à Rome cependant, en haut-lieu on le rappelle à l'ordre, lui faisant comprendre qu'il perd son temps et qu'il ferait mieux de concentrer ses recherches sur les groupes d'extrême gauche.
Qui a raison ? À vous de le découvrir, chers amis lecteurs, en lisant ce bref roman de Leonardo Scascia, de seulement 133 pages.
Leonardo Sciascia est un homme pour qui j'ai eu beaucoup de respect. Lorsqu'il était membre du Parlement européen (de1979 à 1983), j'ai eu la bonne chance d'avoir 3 ou 4 "bavardages" avec lui et j'ai été impressionné par sa vaste culture : surtout sa connaissance de la littérature classique française était particulièrement étendue. Aussi dans "
Le contexte", il ne peut s'empêcher de se référer à
Montaigne, Pascal et
Stendhal. Poète à ses heures, dans cet ouvrage vous trouverez également un poème de lui de 4 pages. Tel que j'ai pu l'observer, c'était un homme ouvert, pondéré et d'un calme qui faisait penser au flegme britannique. Un Méridional qui choisissait ces mots avec soin, sans gestuelle. Je dois admettre que j'utilisais plus mes mains pour m'expliquer que ce grand Sicilien.
Toute sa vie, il a été fort préoccupé des moeurs politiques et de la violence dans son pays et son île. Pas étonnant, dès lors, qu'il ait siégé dans la commission d'enquête parlementaire sur l'assassinat d'Aldo Moro. Ses inquiétudes se retrouvent aussi reflétées dans beaucoup de ses oeuvres. Cela est notamment le cas de "Actes relatifs à la mort de
Raymond Roussel", "À chacun son dû" et bien sûr "
L'Affaire Moro".
Comme grand admirateur de la littérature française, il a insisté pour que sur son tombeau soit gravée une phrase de Villiers de l'Isle-Adam : "Nous nous souviendrons de cette planète".