AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782221221501
176 pages
Robert Laffont (13/09/2018)
3.67/5   26 notes
Résumé :
Publiés « à chaud » entre août 1914 et août 1918, les textes réunis ici – articles, manifestes et reportages inédits en français sur sa propre expérience des combats et sur le bouleversement de l’Europe ravagée par le conflit – montrent l’évolution de Stefan Zweig à un moment clé de l’histoire et de sa vie. On y découvre que ses positions pendant la Grande Guerre sont mouvantes, complexes, sinon contradictoires : elles ont changé l’homme et transformé l’artiste, lui... >Voir plus
Que lire après Seuls les vivants créent le mondeVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
3,67

sur 26 notes
5
4 avis
4
4 avis
3
2 avis
2
0 avis
1
0 avis
C'est un merveilleux petit livre, assez méconnu, de ce formidable auteur.
Merveilleux, car on voit, au fil des années de guerre, le caractère de Zweig changer.
.
Je crois que c'est pendant la guerre de 14-18 que l'auteur a affermi ses convictions.
Ce livre est une chronique de la première guerre mondiale, qui paraît au fil des événements, dans les journaux.. Son originalité tient dans le coeur particulièrement sensible, et l'empathie de Stefan Zweig.
L'auteur est réformé, et observe « avec son coeur », l'évolution des opérations.
.
En effet, en 1914-1915, en bon nationaliste autrichien, mais qui aime malgré tout ses amis étrangers, il leur dit « adieu avec regret », mais, en même temps, il admire les mortiers de son pays.
.
Puis, peu-à-peu, il doute de l'intérêt de la guerre, prend pitié des Belges et des Polonais, car il a vu sur place, il est parti en Pologne pour le compte de l'Etat.
.
Enfin, le livre-témoignage d'Henri Barbusse paru pendant la guerre, « Le Feu », qui relate pendant deux ans les espoirs et la misère des camarades « poilus » de son escouade, le fait craquer. Mais laissons la plume de Stefan Zweig courir sur ces lignes :
.
«  C'est fini. les deux derniers hommes de cette escouade qui en comptait dix-sept rôdent sur le champ de bataille que les obus ont pilonné à mort. Ils cherchent les camarades qui, une heure auparavant, jouaient aux cartes avec eux, et trouvent des corps en lambeaux à la place des seuls frères qu'ils ont aimés, avec lesquels, deux années durant, comme les muscles et la peau, ils n'ont fait qu'un. »
.
Pendant plusieurs pages, il fait ainsi l'éloge du livre d'Henri Barbusse.
Il est bouleversé et, profondément choqué par les décideurs hypocrites qui « ne mettraient pas un talon dans les tranchées », veut créer un grand mouvement pacifiste mondial, et lancer par une chronique anaphorique un appel solennel en été 1918  :
« Nous sommes des défaitistes : c'est-à-dire... » ...sept fois, sept raisons, sept explications différentes anti-orgueil, anti-frontières, anti-honneurs.
.
Ce livre est bouleversant, pas au début, mais petit-à-petit, car on suit l'évolution de la pensée de l'auteur au fil de ces quatre ans de guerre, qu'il trouve justifiée, puis il doute, et enfin ses convictions pacifistes s'affirment.
.
Il parle de « Cette boucherie sur ordonnance » , et ça me rappelle Louis-Ferdinand Céline ;
Il fait l'éloge de : « Le Feu », et ça m'évoque « Les Croix de Bois » ;
Plusieurs fois, il insiste sur l'hypocrisie des puissants qui, opportunistes, retournent leur veste, et je pense à Talleyrand et … Jacques Dutronc  ;
Il souligne la différence capitale entre opinion du peuple sur laquelle jouent les politiques, et conviction d'un homme, et ça me rappelle Socrate et le Mythe de la Caverne dans « La République » ; les apparences ne sont pas la réalité ;
Zweig a peut-être influencé les socialistes qui ont renversé Guillaume II pour arrêter la guerre, car il pense comme Rousseau qu'un homme vaut plus que des idées ; et me revoilà devant « Mein Kampf », quand Hitler s'excitait de ce que les Allemands n'aient pas été jusqu'au bout de la guerre, et je peux même l'imaginer :
.
« Ach so ! Zes Gons de Deutsche Zozialistes  !
Ils ont Kapitulé !
Mais je me vengerai ! »
.
Tout ça est loin d'être risible, la vengeance est un terrible défaut humain, et quand ce salopard a fait éclater la deuxième guerre mondiale, je comprends le dépit du pacifiste Stefan : ses nerfs ont craqué :
« ça ne s'arrêtera donc jamais ? » a-t-il sans doute pensé.
.
Tu aurais dû attendre un peu, Stefan, au lieu de partir en 1942, et tu aurais vieilli dans la paix, car, si l'on exclut le drame de l'ex-Yougoslavie, ça fait enfin 75 ans que l'Europe est en paix !
.
Le dernier mot est pour l'auteur :
« La justice, l'égalité, le droit à l'autodétermination des individus et des peuples, la fin de la violence, la concorde éternelle ; toutes ces grandes idées, aucun de ces morts ne les apportera par son sacrifice. Seuls les vivants créent le monde. »
Commenter  J’apprécie          348
Ce recueil de textes inédits couvrant la période de la première guerre mondiale est doublement intéressant pour faire plus ample connaissance avec Stefan Zweig. Appréhender l'évolution de son style et de ses opinions, l'évolution de l'homme et de l'écrivain.

Le style journalistique enflammé du témoin des premiers jours de la mobilisation devient très vite plus emphatique, grandiloquent puis dramatique – comment ne le serait-il pas ? - au constat des horreurs de la guerre, pour sombrer finalement dans l'exaspération face à l'impuissance générale à enrayer la machine infernale de la guerre, broyeuse d'humanité, à mettre un terme à l'inimaginable.

Pour ce qui est des opinions, la tentation patriotique de 1914 verse rapidement dans le pacifisme, bien avant la fin de la guerre, dès que Stefan Zweig se sera rendu compte par lui-même de quelle façon l'esprit fleur au fusil de 1914 s'est transformé en une boucherie épouvantable. Allant jusqu'à faire l'éloge du défaitisme, à renoncer à toute victoire tant que ce ne serait pas celle de la fraternité entre les peuples.

A la lecture des ouvrages que Stefan Zweig publie après la première guerre mondiale, on peut être parfois blasé de la grandiloquence redondante de son style. On ne s'émeut toutefois pas de cette emphase lorsqu'il rend hommage dans un chapitre de cet ouvrage à Henri Barbusse, lequel a publié le Feu - journal d'une escouade, avant même la fin de la guerre. Cet ouvrage a fait partie, avec Les croix de bois de Roland Dorgelès, de ceux qui ont forgé ma fascination d'horreur à l'égard de celle qu'on appelle la Grande guerre. Et Stefan Zweig de répéter en leitmotiv l'expression de Henri Barbusse qui coupe court à toute dissertation sur la description de l'horreur :" On ne peut pas se figurer!" Expression qui a imposé le silence à nombre de rescapés du massacre organisé, lesquels se sont très vite rendus compte qu'ils ne parviendrait jamais à faire comprendre ce qu'ils avaient vécu, à ceux de l'arrière, à ceux qui ne l'avaient pas vécu justement.

A l'occasion d'un séjour qu'il fait en Galicie, dans laquelle il avait été envoyé en mission en 1915 lorsque cette région avait été reprise aux Russes, Zweig s'était ému du sort réservé à ses coreligionnaires juifs. Sans imaginer que vingt ans plus tard il serait lui-même l'objet de persécution du fait de sa religion.

Autant d'événements qui ont forgé le pacifisme de l'homme et la volonté farouche de l'écrivain de le faire savoir et gagner ainsi à sa cause tous ceux qui auront de l'influence en ce monde.

Recueil de textes édifiant pour comprendre le personnage, l'auteur, l'argumentation de sa pensée d'humaniste fervent qu'il est devenu, et mesurer son désespoir quand il voit l'Allemagne se fourvoyer à nouveau dans la tragédie à partir de 1933. Désespoir qui le conduira au geste fatal que l'on sait en 1942.
Commenter  J’apprécie          301
Je n'oublie pas, le monde d'hier : Souvenirs d'un européen ce texte mélancolie d'un monde perdue, celui d'un aristocrate européen navigant au gré de ses amis d'un pays à l'autre, de ses amis, Romain Roland, Paul Valéry, Émile Verhaeren et ceux qui gravitent ses inspirations artistiques, Stefan Zweig, oeuvre à sa manière à l'Europe, ce livre paru en 1943, texte autobiographique, semble être son testament littéraire. Cet auteur Autrichien est apparu un jour dans ma bibliothèque avec Lettre d'une inconnue aux éditions Stock, La Cosmopolite, une préface d'Elsa Zylberstein, une traduction par Alzir et Olivier Bournac, révisée par Françoise Toraille, le format du roman , broché de couleur rose, un bandeau incrusté virtuel, avec une photo de Stefan Zweig, regard fixe derrière ses petites lunettes ovales, tête de cotée, sa moustache, sa raie relevant un front assez haut et ce sourire discret, comme peut l'être cet homme, avec entre ses doigts un cigare allumé, cette image souligne avec grâce le dandysme autrichien qu'il fût pour devenir un ardent défenseur de la paix, et d'une Europe unie. Ce roman ouvrira tel un sésame, la porte de son oeuvre, que j'accueillis avec beaucoup de bonheur et de joie pour petit à petit m'enivrer de sa prose, avec, Vingt-quatre heures d'une vie d'une femme, Amok, La peur, Clarissa, le voyage dans le passé, La pitié dangereuse (ou l'impatience du coeur), Trois maitres, Emile Verhaeren, Les prodiges de la vie, Ivresse da la métamorphose, le joueur d'échecs, Légende d'une vie, Un soupçon légitime, La confusion des sentiments, le désarroi des sentiments, Volpone, tous ces titres furent des lectures enrichissantes et passionnantes, alors lorsque je découvre sur l'étale d'une librairie de Strasbourg, un livre de Stefan Zweig, inédit, mon coeur s'emballe comme un enfant devant les cadeaux de Noëls, découvrant le quatrième de couverture de ces textes publiés « à chaud » entre août 1914 et août 1918, réunis dans ce livre Seuls les vivants créent le monde, nous découvrons le chemin traversé et l'évolution des idées de cet auteur autrichien face au destin tragique qui emporte l'Europe dans une tragédie meurtrière inhumaine, en main je garde cet inédit pour le payer et le lire.
Cette édition établie et présentée par Bertrand Dermoncourt, avec une introduction, Stefan Zweig et la guerre de 1914-1918, le combat inachevé d'un Européen, regroupe sous la traduction de l'allemand par David Sanson, des articles de presse, des reportages, des manifestes publiés dans le quotidien viennois Neue Freie Presse, la Berliner Tageblatt, le journal de front, kriegszeitung der 4. armee traduction, celui plus pacifique Friedens-Warte. Blätter für zwischenstaatliche Organisation, le journal, Donauland et enfin la revue, Das Forum.
Le premier récit, Retour en Autriche, 1er août 1914, est surprenant, pour celui qui connait Stefan Zweig, c'est une forme de délire nationaliste, de la puissance germanique, comme une effervescence communicative, chacun est pris d'une exaltation enivrante, fiévreuse, c'est une contagion, les personnes sont comme électrifiés par le même engouement, ce retour en Autriche pour Stefan Zweig est un spectacle, Vienne est « une ville à la gaieté Proverbiale gagnée », Stefan Zweig écrira de cette Vienne magique.
« Jamais elle ne m'a semblé plus digne d'amour, et je suis heureux d'avoir pu, en cette heure précisément, la retrouver. »
Le deuxième article, Un mot de l'Allemagne, Vienne, 18 août 1914, poursuit la suite du premier, comme un écho à la joie, c'est l'union germanique, cette force froide cette puissante d'organisation, ce berceau philosophe, ce pays frère qu'il faut soutenir, Stefan Zweig continue cette propagande allemande, tel un pantin articulé happé par une ferveur solidaire et patriotique universelle.
« La préoccupation allemande doit aujourd'hui ne faire qu'une avec la nôtre, sa joie avec notre joie, et chaque combattant sous ses couleurs doit être l'un des nôtres. »
Ce troisième article, le monde sans sommeil, Vienne, 18 août 1914, d'une écriture à l'accent lyrique des émotions évaporantes se diffusant au coeur changeant de notre écrivain autrichien de plus en plus réaliste du monde d'aujourd'hui, proche de l'agonie étouffant. Il a la lucidité, glaciale de ce virage sanglant dut à quelque hommes.
« Les prophètes, les vrais comme les faux ont de nouveau du pouvoir sur la foule qui écoute et écoute encore, déambule fébrilement et repose fébrilement, jour et nuit, les longs jours et les interminables nuits de ce temps qui mérite qu'on le vive en éveil. »
Stefan Zweig sait que la guerre aspire tous les hommes, comme l'homme peut être dans la faiblesse d'un masse pantomime d'une verve sophisme.
Cette lettre, Aux amis de l'étranger, 19 septembre 1914, coule l'antagonisme de Stefan Zweig, la force de la pluralité des langues et le nationaliste, ce prisonnier du sang, ce prisonnier de la terre allemande, comme un happement de la meute de la langue germanique, Stefan Zweig est sensible à cette communauté allemande, à ces inconnus, à cette nouvelle famille, appartenant à une consanguinité de la langue, de la terre…Au-delà de la vérité prime la passion, prime l'universalité de sa race, tous actes personnels, toutes justices personnelles est submergée dans ce déferlement de masse, ce nationaliste germanique, rendant l'amitié des peuples impossibles, pour avoir pour adage, cette fausse idée. « le silence est le garant de notre amitié ! »
Pourquoi la Belgique, pourquoi pas la Pologne ? Une question aux pays neutres, Vienne, 4 avril 1915, débute comme un préambule de plaidoyer face à l'indifférence et aux manoeuvres politiques, avec un lyrisme Zweiguin immuable. Stefan Zweig reste dans la mesure germanique qu'il est de l'Autriche, la langue allemande, comme un défenseur de l'Allemagne agressant le Belgique que tous soutiennent au contraire de la Pologne soumise à la guerre qui oppose trois pays Russie, Allemagne et de l'Autriche. Puis la question juive se pose, déjà Stefan Zweig souligne cette communauté, l'une dissoute dans la masse des pays de l'ouest, comme la France, l'Allemagne, l'Autriche et l'Angleterre, l'autre plutôt formant un peuple, celle de la communauté en Galicie, entre la Russie et la Pologne. Stefan Zweig démontre avec beaucoup de minutie, la notion de pitié, de l'antagoniste des français face aux belges, la France terre d'accueil des polonais, cette pitié n'est pas une arme politique, la pitié ne doit pas être détournée, il n'y a qu'une souffrance, celle de l'humanité. Stefan Zweig désire une pitié universelle, pour une compassion de tous les peuples, certes cet humanisme, d'un lyrisme certain, s'aveugle de son Allemagne, devenant son avocat sanguin, mais c'est un homme de paix, ancré dans le plus profond de son être.
« L'empathie doit être aujourd'hui aussi infinie que la souffrance qui en est l'objet, étrangère à toute frontière et déployée sans limites, cette heure ne doit pas seulement être celle de la haine, mais celle aussi d'une bonté démesurée, pour l'éternité. »
Convalescence de la Galicie, Vienne, 31 août 1915, Stefan Zweig, toujours mélancolique, aime cette Galicie reconquis.
« …il y a une chose que j'ai ressentie plus que toute volonté de renaître dans ce pays reconquis : la confiance et la volonté de renaître. »
Il relate la vie de ce passé, tiraillé avec la guerre germano-russe, se lamente des stigmates infligés à ce pays de souffrance. « Effroyables aussi, les balafres sanglantes que la guerre o infligées à ce Job d'entre les peuples. » Il y a encore beaucoup de lyrisme et de bonté dans l'écriture de Zweig, beaucoup d'aphorismes, il chante avec beaucoup de symbole le tumulte de cette région, les images sont ambiguës, « la fleur cruciforme de la guerre », la nature devient l'arme de paix, « la terre absorbe toutes les irrégularités, détruisant la destruction. », la nature dessine la vie, « le destin de l'histoire sont ici submergés par les blés, par le pain qui mûrit. » Beaucoup de poésie dans ce texte, comme l'espoir qui s'en évapore, c'est comme « ses colombes amoureuses », que Zweig aperçoit sur un toit, et cette beauté d'après-guerre sonnant une résurrection, « la première neige de la résurrection. ». Ce qui est puissant, c'est l'énergie pour mettre fin à cette guerre, plus forte que cette guerre dévorante, elle est vectorielle de la vie, ce texte est un absolu lyrisme Zweiguin.
Les jours de l'offensive allemande en Galicie, Stuttgart, 1er octobre 1915, est comme la plupart des textes précédents, d'un lyrisme immuable à Stefan Zweig et cette émulsion allemande face au tyran Russe, Vienne devient « que fulgurance et incandescence. », lorsque Lemberg tombe aux mains des allemands, Stefan Zweig est mandaté par les archives impériales et royales de la guerre, en Galicie, son regard est celui de l'allemand de langue, germanique de la terre, il semble être l'acteur divin de cet événement considérable, il est dans cette destiné des émotions sans fin.
Le Feu, Vienne, 8 juillet 1917, Stefan Zweig est sous le charme du roman, le Feu d'Henri Barbusse, le comparant à Nana d'Émile Zola, par sa force, son succès mondial, et devient cette conscience française de l'époque, comme un instantané de l'humeur de l'époque, percevant l'idéologie, ce côté pacifique, encore étudié de nos jours comme peut l'être Rousseau avec le Contrat social et tant d'autres. Puis au fil du texte, Stefan Zweig entre en profondeur dans ce roman explorant telle une caméra les poilus, cette vision abrupte aux mots d'un patois parisiens d'une vérité pure. Cette étude du roman est une perle, elle est celle d'un Autrichien au coeur serré de son Allemagne, et de sa passion la littérature, disséquant le message des 17 âmes de cette prose argotique, voix diffuse de ses camarades, il sait déjà la portée de ce livre dans l'avenir, de cette guerre lâche, les mots restent, la mémoire est là, se figeant dans le temps, ne pas oublier. Je vous laisse juge de cette analyse sincère et remplit d'espoir, précurseur de la portée de ce roman documentaire.
Chez les insouciants, Vienne, 26 février 1918, c'est une petite satire, au leitmotiv de Dante, Paradiso, XXIX, 91, « On ne songe point combien il en coûta de sang. », cet adage épousant à merveille la philosophie de ses personnes que Stefan Zweig nomme Les insouciants. Leur lieu de débauche, souvent, Saint-Moritz, d'un paysage presque éternel et pure, au contraire de ces personnes venant perturber cette béatitude de la nature. Ils sont sans patrie, venant de partout, ils ne pensent qu'à eux, et sans le vouloir Stefan Zweig est mélancolique du passé.
« Et on se souvient combien le monde d'avant était beau, lorsque sa jeunesse était encore joyeuse ! »
Mais l'antagoniste entre la guerre et cette joie de vivre, entre la vie et l'humanité, les uns vivent, s'amusent, les autres compatissent encore et encore, c'est pour ces insouciants la vie à défaut d'être des humanistes.
Eloge du défaitisme, Leipzig, juillet-août 1918, la communauté semble être pour Stefan Zweig la seule arme contre la guerre qui détruit tout. Et encore et encore Stefan Zweig attaque le rôle de la politique, étant plutôt un vecteur à la guerre, un catalyseur, une arme, la politique divise, égare la communauté. Ce texte est une transition pour Stefan Zweig, adoptant l'émotion de la paix, comme certain de ses camarades, son ami français, Romain Roland. La communauté est une force, cette masse indivisible contre ce nationaliste de fierté, le défaitiste pour Stefan Zweig est le seul moyen pour une paix communautaire, être unis pour une paix universelle, Stefan Zweig veut réunir, unir, fraterniser, seul la paix est importante, la fierté, l'orgueil doivent être proscrit, le nationalisme de fierté pour un vainqueur sous le poids des morts qui s'entassent sans fin.
La Suisse, auxiliaire de l'Europe, Vienne, septembre 1918, il y a une genèse de ce texte lors d'un bref opuscule, le coeur de l'Europe, paru le 23 septembre 1917, puis édité en 1918. Cet hommage au peuple Suisse, ce pays sous la pitié au contraire des autres dans la souffrance, est une preuve de l'humanité des hommes, à travers ce pays, fondateur de la Croix Rouge, un demi-siècle plus tôt, distribuant gratuitement le courrier de guerre, Stefan Zweig veut comme Romain Rolland avec son manifeste Au-dessus de la mêlée, publié en 1914, montrer la valeur des peuples dans l'entraide, cette intercommunion.
« Au-dessus de la mêlée, on a pu sentir la force supranationale de la justice et de l'humanité. »
J'aime la finalité du drapeau de la Suisse sous les mots de Stefan Zweig, « une croix blanche sur fond rouge – n'ont autant symbolisé la paix au milieu du sang »
L'opportunisme, ennemi mondial, Berlin, octobre, 1918, est un texte comme cet article sur l'éloge du défaitisme, les valeurs fortes de l'humanité résident dans ses propres valeurs, ses convictions encrées au sein même de son coeur, Stefan Zweig par ses mots, d'un humaniste de plus en plus sure de lui, désire plus que tout un monde meilleur, et la politique comme depuis tous ses articles, est une forme de maladie humaine, la politique transpire l'opinion et seulement l'opinion, cette variable indécise, changeante selon le discours, reste une variable influençable, au contraire de la conviction.
« La migration de masse ne profite pas aux idées : elle les nivelle et les avilit. »
L'opportuniste pour Stefan Zweig est la pire des choses pour les êtres humains, et j'aime cet adage ;
« Mieux vaut des opposants face à nous que des traîtres parmi nous. »
La dévaluation des idées, Berlin, octobre 1918, ce texte débute par une devise de Jean-Jacques Rousseau « le sang d'un seul homme est d'un plus grand prix que la liberté du genre humain. », c'est une réponse au texte d'Alfred H. Fried, le méridien de la raison parue initialement, en octobre 1918 à Berlin. Stefan Zweig désire sacrifier les idées au profit de la vie humaine, c'est la primauté de la vie humaine !
Ces textes montrent l'évolution des idées de Stefan Zweig, de la fièvre nationaliste, cette effervescence humaine de masse puis petit à petit cette envie de fraternité, comme ses amis européens, cette paix universelle.
Commenter  J’apprécie          62
Jolie initiative que ce recueil rassemblant des articles publiés par Stefan Zweig pendant la première guerre mondiale: réactions à chaud d'un citoyen engagé que l'on voit évoluer. D'abord d'un patriotisme enflammé puis, Zweig prend conscience au fil de ses missions sur le front et de ses échanges avec son ami Romain Rolland, de l'inanité et la barbarie de la guerre, qu'il achève sur un cri pacifiste à "dévaluer les idées" mortifères pour "réévaluer l'homme".

On y retrouve le Zweig du "Monde d'hier", certes toujours privilégié dans sa bulle aristocratique mais cependant profondément connecté à son époque et résolument humaniste, passant d'un idéalisme partagé en 1914 à la souffrance à la fin de la guerre face à ses idéaux perdus, souffrance qui ne le quittera plus.
Commenter  J’apprécie          190
Quelle surprise de lire des textes de Stefan Zweig où il se laisse emporter par le chant des sirènes du nationalisme, du patriotisme, de la force, de la suprématie du peuple Allemand (dont l'Autrichien qu'il est se sent si proche) !

Il rédige même un texte où il s'excuse auprès de ses amis (belges, français, anglais) de devoir les quitter (au moins pour un temps, qu'il estime long) pour l'impérieuse nécessité de sa communauté austro-germanique, mettant au 2nd plan sa personne et ses petites pensées personnelles.

Mais chassez le naturel, il revient au galop.
Et son ami Romain Rolland l'a sûrement beaucoup aidé.

Ce bel humaniste (l'image que j'avais de lui) comprend l'absurdité de la prépondérance des idées face aux vies.
Il vilipende les opinions, les convictions, les politiques, les opportunistes et les insouciants.
Milite pour la dévaluation des idées, pour le dépassement des langues et des frontières au profit de la ré-évaluation de l'humain.

Quant à son texte sur la Suisse (polyglotte, fédérale mais unie dans sa neutralité et oeuvrant pour l'assistance à tous les camps - La Croix Rouge), il est superbe.

Même s'il vilipende Davos et Saint-Moritz, où les insouciants continuent à s'amuser aux sports d'hiver et aux festivités oisives pendant cette guerre de 14-18

Il croit en un monde uni et son suicide en 1942, même teinté de maladie de sa compagne, est aussi un constat d'échec face l'agonie du monde.

Ouf !
Mon image du personnage en ressort grandie !
Car quoi de plus glorieux et respectable que de reconnaître ses erreurs.
Je garde donc ce totem ;-)

Bonne lecture !

Sur ceux, le titre de Brassens "Mourir pour des idées" s'impose.
Commenter  J’apprécie          50

Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
« Guerre à la guerre ! », tel est le cri qui retentit depuis les rangs français sur le champ de cadavres, comme les trombones du Jugement dernier.
Et c’est pour eux une consolation, une infinie consolation, que tous, sauveurs anonymes, puissent préserver l’avenir tout entier de la guerre, que cet exemple refroidisse définitivement toutes les générations futures. Mais elle ne calme cette idole que pour une seconde. Car qui, se demandent-ils, décrira à l’humanité cette souffrance incommensurable qu’a été la nôtre, qui donc le pourra ? Nul poète ne peut l’imaginer de chez lui, et les correspondants de guerre, les touristes des tranchées, eux aussi n’ont vu qu’une partie seulement de leur souffrance sans éprouver le plus effrayant : la contrainte, la durée, l’infinitude. Qui sait, qui connaît le destin du poilu ? « Nous ! Nous seuls ! répondent les voix. Nous ! Nous seuls qui l’avons vécu ! » Mais les réserves d’un autre leur tombent sur le cœur comme un coup de marteau : « Nous non plus, nous non plus ! s’écrie-t-il. Nous oublierons, nous. Nous en avons trop vu. On n’est pas fabriqué pour contenir ça. Nous aussi, nous aussi nous oublierons notre propre misère. »
Cette pensée, la plus terrible de ce terrible livre, court à travers lui comme un incendie. « Oui, nous oublierons ! crie l’un. Quand j’sui’ été en permission, j’ai vu qu’j’avais oublié bien des choses de ma vie d’avant. Y a des lettres de moi que j’ai relues comme si c’était un livre que j’ouvrais. Et pourtant, malgré ça j’ai oublié aussi ma souffrance de la guerre. » Et un autre : « Et chaque chose qu’on a vue était trop. On n’est pas fabriqué pour contenir ça. On oublie les veilles sans bornes, le supplice de la privation, il ne reste plus que les lieux et les noms, comme dans un communiqué. » Ô porosité du sentiment, ô versatilité du souvenir, ô lassitude de la pensée ! Comme ceux qui doutent peuvent se blâmer eux-mêmes. « On est des machines à oublier. Les hommes, c’est des choses qui pensent un peu, et qui, surtout, oublient. »

(Le feu)
Commenter  J’apprécie          50
C'est fini. les deux derniers hommes de cette escouade qui en comptait dix-sept rôdent sur le champ de bataille que les obus ont pilonné à mort. Ils cherchent les camarades qui, une heure auparavant, jouaient aux cartes avec eux, et trouvent des corps en lambeaux à la place des seuls frères qu'ils ont aimés, avec lesquels, deux années durant, comme les muscles et la peau, ils n'ont fait qu'un.

NDL : pendant plusieurs pages, Stefan Zweig fait ainsi l'éloge du livre d'Henri Barbusse.
Commenter  J’apprécie          120
De l'esclavage, la violence a lentement gagné le capitalisme et lorsque le capitalisme sera détruit elle se sauvera sous une autre forme: on ne détruit que les formes et non les états de fait, seules les lois se réalisent et non les idées. Aucune idée n'est une vérité absolue, chaque individu, en revanche, est une vérité toute entière. C'est cela, et rien que cela, qu'il me semble important d'enfoncer dans la conscience de notre humanité troublée, afin de promouvoir une réévaluation du sentiment de notre humanité : la dévaluation des idées, la valorisation de l'individu.
Commenter  J’apprécie          100
19 septembre 1914.
Adieu, mes chers amis, compagnons de tant d'heures fraternelles en France, en Belgique, et jusqu'en Angleterre, il nous faut prendre congé pour longtemps. Aucune des paroles, des lettres, des salutations que je pourrais à présent vous adresser dans vos villes désormais ennemies ne vous parviendrait ; et si elles vous trouvaient, aucune ne pourrait atteindre votre cœur.
Commenter  J’apprécie          130
Montrons-le ouvertement : notre idéal est le contraire du vôtre ! Nous sommes vos ennemis et vous êtes les nôtres ! L’étiquette dont nos détracteurs et nos héros nationaux nous affublent est pour nous une distinction et un honneur ! Ce qui est sacré à vos yeux, le sacrifice de l’homme, nous semble lamentable ; ce qui est sacré à nos yeux, la liberté de l’individu, est pour vous un crime ! Nous sommes des défaitistes : c’est-à-dire que nous ne voulons ni victoire, ni défaite, nous sommes les ennemis de la victoire et les amis de l’abdication. Nous sommes des défaitistes : c’est-à-dire que nous voyons davantage de grandeur dans la compassion et la réconciliation que dans le combat acharné ! Nous sommes des défaitistes : c’est-à-dire que nous aimons l’homme, le fils éternel de Dieu, davantage que les identités terrestres des États. Nous sommes des défaitistes : c’est-à-dire que nous n’avons nullement honte d’être les plus faibles dans le combat et d’avoir les canons les plus courts ; que nous ne cherchons pas la justice entre les fils de fer ni notre joie dans la mise en pièces de régiments ennemis. Nous sommes des défaitistes : c’est-à-dire qu’aucun renoncement, qu’il s’agisse de fierté, d’argent, d’honneur, de terre, ne nous semble vain si c’est pour que le sang sacré des hommes cesse d’être versé et que l’Europe puisse être délivrée de son supplice. Nous sommes des défaitistes : c’est-à-dire que la politique n’est pas pour nous la première, mais la dernière des priorités, que la souffrance des hommes a plus d’importance que l’essor commercial des nations et que les froids monuments de la gloire. Nous sommes des défaitistes : c’est-à-dire que vos jours de gloire sont pour nous la gangrène de l’histoire humaine.

(Éloge du défaitisme)
Commenter  J’apprécie          20

Videos de Stefan Zweig (66) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Stefan Zweig
Stefan Zweig, auteur à succès, se voulait citoyen d'un monde qu'unifiait une communauté de culture et de civilisation. Il n'a pas survécu à l'effondrement de ce «monde d'hier» qu'incarnait la Vienne impériale de sa jeunesse.
Stefan Zweig et tous les grands auteurs sont sur www.lire.fr
autres livres classés : littérature autrichienneVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (78) Voir plus



Quiz Voir plus

Le joueur d'échec de Zweig

Quel est le nom du champion du monde d'échecs ?

Santovik
Czentovick
Czentovic
Zenovic

9 questions
1881 lecteurs ont répondu
Thème : Le Joueur d'échecs de Stefan ZweigCréer un quiz sur ce livre

{* *}