«
le nid du serpent » explore les bas-fonds. Les bas-fonds cubains. Là où l'errance et la pauvreté mènent irrésistiblement vers le sexe le plus dissolu, vers la violence, l'alcool, la malnutrition, la came, la débrouille, le tout sous surveillance des camarades du régime castriste.
Je ne connaissais de la littérature cubaine que
Zoé Valdès dont j'ai lu un bon nombre de livres, il me semble que
Pedro Juan Gutierrez est son pendant masculin. Donc plus trash, plus fort, plus sexuel, limite pornographique par moment. Plus viril. Âmes sensibles s'abstenir.
Si
Zoé Valdès nous dépeint la société cubaine avec moult détails, son architecture, ses voitures rutilantes et bringuebalantes, son ambiance nocturne, ses coutumes, Gutierrez nous plonge dans ses bas-fonds sans préambule, presque sans décor. Ou du moins uniquement l'envers du décor, très loin de la carte postale surannée d'un Cuba exotique et délicieusement figé des années 60, Cuba la plus grande île des Antilles, aux paysages paradisiaques, Cuba la sensuelle, Cuba lascive et langoureuse aux effluves de rhum et de cigares, se déhanchant au rythme d'une rumba ou d'un Cha cha cha. Non, là nous sommes dans la fange, directement. Sans manichéisme pour autant. Gutierrez ne fait pas dans le roman social, il ne dénonce pas, il raconte juste crûment les pulsions d'un pauvre hère dans le Cuba des années 60.
Comme enfermé dans une cage de misère, celle de sa condition sociale et de ses pensées, nous suivons Pedro Juan (l'auteur lui-même semble-t-il) dans ses déambulations, d'abord avant le service militaire vers ses quinze ans, puis pendant ce fameux service militaire cubain d'une durée de trois ans et enfin après, notre bonhomme devenu alors complètement déboussolé. Pedro Juan se décrit comme un « dépressif, suicidaire, furieux, fou, sado-queutard, alcoolique, agressif. Tout ça à la fois. Autodestructeur. Bien sûr, puisque le serpent avait incubé en moi depuis l'adolescence ». Pourtant son salut, étonnamment, passe par les livres et l'écriture. Nourri aux livres de
Truman Capote,
Faulkner,
Erskine Caldwell,
Jean-Paul Sartre,
Marguerite Duras,
Nietzsche, Wright Mills,
Sherwood Anderson,
Carson McCullers,
Hermann Hesse,
Dos Passos,
Hemingway. Que des écrivains tourmentés par leurs obsessions et leurs fantasmes.
De cette vie et de ses lectures, de ce nid de déchéance et de stupre, une écriture éclot, sans compromis, pas des plus plaisante mais authentique, vraie, crûe. Dérangeante car permettant de mettre en lumière ce qu'il y a de plus sombres dans l'homme, ses instincts les plus primaires. Nous sommes dans les pensées de cet adolescent rebelle, gênés, limite scandalisés, et pourtant ces pensées, se sont aussi les nôtres, ou cela a pu être les nôtres à un moment de notre vie, du moins les pensées les plus enfouies, les désirs les plus inavouables, c'est en cela qu'il nous dérange, ce sont nos fantasmes, nos désirs, nos pulsions, no instincts, qu'il nous laisse entrevoir et dans lesquelles il nous met la tête, nous qui rougissons, gênés en lisant certaines scènes hautes en couleurs.
Son amour pour la « baise » notamment est incontrôlable, jamais assouvi : « Plein de poils aux aisselles ! Noirs, denses ! Je l'ai attirée à moi pour la humer. Elle sentait fort. La sueur de négresse. J'ai passé la langue sur son dos. C'était salé. Transpiration. Pas de parfum, pas de déodorant. Primitif. La fatigue et la migraine se sont envolées d'un coup. J'ai cherché à l'enfiler à sec mais elle n'était pas pressée, elle. Elle m'a échappé en se tortillant comme un serpent.— D'abord, je te fais le massage. Rien ne presse. Il y a un temps pour tout. Elle a pris de la crème dans un pot et elle a commencé par les pieds. Ses mains étaient vigoureuses, aussi fortes que celles d'un homme ». Cette obsession sera présente tout au long du livre, avec des femmes de tout âge, de différentes conditions, des femmes laides et jolies, plates ou aux seins énormes, romantiques ou vulgaires. Mais derrière ces ébats, parfois hallucinés et hallucinants,
c'est toute la misère affective du narrateur que nous entrevoyons. le sexe semble alors être un puits sans fonds dans lequel tomber, un oeil cyclopéen auquel se confronter, dans lequel se perdre, pour pallier au manque d'amour. Un moyen aussi de s'évader, de fuir la misère, de se sentir viril, donc puissant et libre.
Il y a une poésie qui émane de toute cette noirceur, une poésie mélancolique, une poésie hypnotisante, une poésie qui nous encercle, nous enserre et nous étouffe, mais oui, une magnifique poésie. Epicée, sensorielle, charnelle. Un
Bukowski tropical qui ne laissera pas indifférent ! Vous aimerez ou vous détesterez.
Merci au Bison (@le_bison) pour cette découverte (et allez vite voir sa critique, il l'a écrite avec la voix de Gutierrez, ça vous donnera une très belle idée du style de l'auteur) !