Lu un peu par hasard, sans réelle passion du sujet, mais ayant toutefois lu déjà l'un ou l'autre livre ou articles ou autres sur ce(s) thèmes. Par ailleurs, je suis et reste un psychologue clinicien.
On (enfin l'auteur) commence par un peu d'historique évidemment, l'évolution du sens des termes génie, folie...
Je cite : "Ce long développement d'idées souvent controversées m'a semblé nécessaire pour faire comprendre cette articulation du génie et de la folie qui empruntera souvent le chemin de la dépression et de la maladie maniaco-dépressive."
Un passage de l'Antiquité (
Aristote,
Platon...), aux temps de la Renaissance, des Lumières, à
Freud et la
psychanalyse, la psychiatrie, l'hérédité... de la place aussi de l'art au fil du temps passant, de l'art comparé aux autres "formes" de génie, ou plutôt de l'artiste en art plutôt que de l'artiste en d'autres matières (grands scientifiques, voyageurs, hommes politiques..) ou la différence entre artiste et homme d'exception... Evocation de la sempiternelle différence-débat entre l'inné, spontané, fulgurant et le maîtrisé, oeuvré, travaillé, peaufiné, perfectionné, "artisanal" si je peux moi le dire ainsi. Voilà, en gros.
Important à entendre, il semble établi pour l'auteur que les évolutions diverses, la clinique, la thérapeutique, la
psychanalyse, la médicalisation ont finalement abouti à une mise d'accent aujourd'hui sur la grande fréquence des troubles bipolaires de l'humeur (ex maniaco-dépression) chez les personnages d'exception ou leur famille proche. On sort de la psychose qui la ou les masquait, les progrès auraient enfin atteint et défini une symptomatologie et une étiquette qui tienne la route (ce n'est pas mon point de vue et au moment où j'écris ceci, je ne vois pas très bien où cela nous mène et d'où (me) vient l'impression de certitude de l'auteur...)
L'auteur finit son introduction en disant que certes l'idée a fait son chemin mais qu'elle ne s'éloigne pas de l'observation d'
Aristote (pour qui tous les mélancoliques seraient des êtres d'exception). Que du contraire, elle s'en serait rapprochée...
Remarque sur la méthode : Généraliser (banaliser?) : " ... notre pratique quotidienne qui nous rappelle, s'il le fallait, que les êtres d'exception sont avant tout des êtres humains."
« ... s'en tenir aux seules concordances descriptives suffisamment cohérentes pour devenir faits d'observation."
Dommage : Quelques incohérences, le début réel de
Proust suite à la mort du père 1903 ou de la mère 1905... En moins de deux pages la contradiction apparaît.
Dommage : Pas mal de redites, impression qu' à l'instar de beaucoup des êtres d'exception ou artistes dont il parle, l'auteur a écrit son livre très vite, spontanément, sans trop réfléchir, le laissant avec une structure pauvre, pas mal de redites, sans vrai fil conducteur, on ne sent pas qu'il cerne un sujet. Ensemble pas super cohérent d'anecdotes, et plein de citations d'auteurs sur des auteurs ; comment ne pas s'embourber dans des clichés qu'on déclare vouloir éviter... Pas super réussi.
De l'utilisation de l'art...
Utilisation de l'art en psychopathologie et psychiatrie pour comprendre les fondements de l'acte créateur et les liens avec les processus pathologiques ou utilisation de l'art comme thérapeutique.
Intéressant les différentes expressions et facilité d'expression de la folie dans les différents arts ou la différence entre les arts notamment dans les pathologies attenantes ou familiales également.
"... encore une fois, on ne peut que remarquer de grandes différences entre les frères et soeurs de génie en littérature d'une part, et en peinture ou en musique d'autre part. S'il est fréquent que la gloire du grand créateur étouffe celle de la fratrie, l'éclipse est radicale et souvent très lourdement pathologique dans le monde de la littérature ; elle n'est qu'un effacement discret ou une gloire subalterne en musique et en peinture. Faudrait-il convenir que le génie est d'une nature différente lorsque l'on touche à la nature des mots, au verbe ou au sens ?"
Dans la musique, de vraie famille entière de grands artistes qui cohabitent favorablement, au contraire des familles en littérature où les cas d'artistes multiples seraient plus rares ou au contraire, pour qu'un advienne au sommet, il doit marcher sur des proches qui s'enfoncent alors d'autant... Ce(ux) que l'auteur appelle ici "les déchets du génie"...
Auteur qui (se) pose une question tout aussi intéressante : faut-il soigner les génies ? Là aussi la réponse n'est pas unanime et n'est pas si simple. Entre les pour "Bataille, Rachmaninov, Styron... et les contre : Breton, Dubuffet, Ste-Beuve...
« ... cette remarque de Kretschmer apparaît criante de vérité : "Si nous ôtions de la constitution de l'homme de génie ce facteur héréditaire psychopathologique, ferment de l'inquiétude démoniaque et de la tension psychique, il ne resterait plus qu'un homme normalement doué." »
Voilà voilà... Finalement tout ça pour arriver à cette définition-ci :
"Le génie se dessine maintenant mieux à nos yeux. Il se définit d'abord par une oeuvre innovante, transgressante, en rupture avec le contexte social qui l'a engendré, et par une continuité dans l'oeuvre, qu'il soit peintre, musicien, écrivain, inventeur, politique, mystique... le génie est durablement reconnu de tous pour sa portée universelle, ou du moins pour sa contribution à l'héritage de l'humanité."
Encore un mot sur la méthode : "Si j'ai longtemps développé l'idée d'une psychopathologie fréquemment associée au génie et à la création - c'était l'objet de ce ivre -, c'est aussi pour tenter de dégager des tendances de ce caractère selon le type sensoriel et la forme de pensée. »
Hélas la chute...
Sur la fin l'auteur nous sert (de) son "facteur humain" qui finalement expliquerait tout, qui n'explique rien. On est tous des êtres humains, il y a quelque chose en l'humain d'extraordinaire qui le distingue du reste de la création, et les génies auraient la capacité à être et utiliser ça, mais sont comme vous, comme nous, et vous et nous comme eux. Des humains...
Tout ça pour ça j'ai envie de dire. Certes, qui peut être en désaccord (complet) avec un terme aussi vague, dommage pour la clarification et tout le travail fait avant, tout est dans tout, pour certains plus que d'autres et l'eau ça mouille. Ah oui, et un final avec l'utilisation du chaman, ça marche bien aussi ça, parler d'esprit chamanique. Mouais mouais, un peu de mystique ça fait tjs bien...
Conclusion : Déçu. Ne vous ruez pas sur ce livre. Enfin faites ce que vous voulez, faites comme si j'avais rien dit.
Je vais terminer cette critique spontanée et donc géniale (ou euh folle) par :
A noter toutefois, l'assez conséquente bibliographie, en tous sens, vous trouverez sans doute largement de quoi approfondir l'un ou l'autre coup de coeur ou quelque(s) curiosité(s).
Le glossaire ne contient pas les termes facteur humain ou même chamanisme alors que ces concepts deviennent très importants dans la logique de l'auteur, chapeautent ses thèses diront-nous, et ne pas les retrouver dans le glossaire alors qu'il est là aussi assez volumineux... c'est... mouais).
Allez, point positif : L'index des noms propres. Au vu du « name dropping » foisonnant, évidemment nécessaire au propos, il est de très bon ton.