Pour le grand public,
Umberto Eco est et restera l'auteur du best seller « Au nom de la rose ». Il demeurera comme figé dans le temps par ce roman à l'intrigue médiévale devenu si encombrant pour sa carrière.
«
Pastiches et postiches » est l'un de ces petits livres plaisants à lire, constitué de diverses textes publiés à l'origine dans des revues allant des années 60 jusqu'au début des années 90, et qui s'avère être un trésor d'érudition pour tout lecteur qui se respecte.
Eco s'amuse du monde contemporain et plus particulièrement de l'univers des médias. Il imagine par exemple la découverte de l'Amérique par
Christophe Colomb retransmis par la radio et la télévision. C'est à ce genre d'anachronisme auquel il succombe à plusieurs reprises.
J'en retiens trois dans mes préférences :
« Nous sommes au regret de ne pouvoir publier votre ouvrage... » (rapports de lecture à l'éditeur)
Sur la Bible (l'ancien testament) : « Je dois dire que, quand j'ai commencé à lire le manuscrit, (…) j'ai été enthousiasmé. Il est plein d'action et on y trouve tout ce que le lecteur demande aujourd'hui à un livre d'évasion : du sexe (beaucoup), avec des adultères, de la sodomie, des meurtres, des incestes, des guerres, des massacres, et ainsi de suite. »,
l'Odyssée d'
Homère : « On y trouve des coups de théâtre, des géants avec un seul oeil au milieu du front, des cannibales, et même un peu de drogue, mais moins qu'il n'en faut pour encourir les rigueurs de la loi (...) »
Justine du marquis de
Sade : « Il me semble que ça suffit. Nous ne cherchions pas une oeuvre philosophique : le public d'aujourd'hui réclame du sexe, du sexe, et encore du sexe. »
La
critique de la raison pure de
Kant : « (…) l'éditeur allemand a dit que si nous le prenions, il faudrait nous engager à publier non seulement l'oeuvre précédente, qui est un gros morceau en deux volumes au moins, mais aussi celle que
Kant est en train d'écrire, dont je ne sais pas exactement si ça traite de l'art ou du jugement. »
Et bien d'autres encore.
Il est vrai qu'un nombre conséquent de grandes oeuvres
de la littérature n'auraient jamais pu être publier s'ils avaient été écrits à notre époque moderne.
« Nonita » est une parodie du
Lolita de
Nabokov. L'histoire d'un type ayant des penchants gérontophiles. « J'aimais, ami, lecteur, et avec toute la folie de mes ardentes années, j'aimais celles que tu appellerais sans doute, avec une nonchalance distraite, « les vieilles ». Je désirais des plus profonds replis de mes fibres imberbes ces créatures déjà marquées par les rigueurs d'un âge implacable, ployant sous le rythme fatal des quatre-vingts ans, affreusement minées par le fantôme désirable de la sénilité. »
« Phénoménologie de Mike Bongiorno », le Guy Lux italien selon les notes de bas de pages de l'auteur, est un autre des meilleurs textes du recueil. Ce qui me fait penser à ces
Michel Drucker, ces
Jean-Pierre Foucault, ces présentateurs télé toujours propres sur eux, toujours de bonne humeur, ayant une culture générale et un vocabulaire limité pour ne pas perturber le spectateur lambda. « Il n'a pas honte d'être ignorant et n'éprouve pas le besoin de s'instruire. Il reste en contact avec les sphères les plus vertigineuses du savoir et en ressort vierge et pur, renforçant chez autrui les tendances naturelles à l'apathie et à la paresse intellectuelles. Il prend le plus grand soin de ne pas impressionner le spectateur, en se montrant non seulement dans une totale ignorance des faits, mais encore fermement décidé à ne rien apprendre. »
Tout le reste n'est certes pas toujours du même acabit niveau qualitatif mais il me laisse malgré tout un très bon souvenir de lecture.