Paru lors de la rentrée littéraire de septembre 2019, La Clé USB ouvre un nouveau cycle romanesque dans l’œuvre de Jean-Philippe Toussaint. Voilà en tout cas un livre qui se joue des genres et dévoile d’autres facettes du talent de l’auteur : s’il débute comme un roman policier avec un fonctionnaire de la Commission européenne qui mène l’enquête sur une fraude aux bitcoins, c’est finalement un événement bien plus intime qui clôt le récit. Pour dire le monde contemporain, l’auteur de La Vérité sur Marie choisit une fois de plus de développer les aspects les plus banals de l’existence, en tout cas à première vue.
Le narrateur du livre travaille à la Commission européenne. Il dirige une unité de prospective. La prospective est cette activité peu connue du grand public qui a pour sujet d’étude l’avenir. Il ne s’agit pas de prévoir l’avenir, mais de le préparer, selon la formule de Gaston Berger. L’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons en faire, dit Henri Bergson. Pour préparer mon livre, j’ai rencontré un certain nombre de personnes qui travaillent sur ces questions à la Commission européenne. L’une d’elle, spécialisée dans les questions de cybersécurité, m’a parlé de l’ordinateur quantique et de la blockchain. À l’époque, je n’étais pas encore familiarisé avec ces notions. Quand j’ai entendu parler de cybercriminalité, mon oreille s’est dressée, il me semblait qu’il y avait là un fort potentiel romanesque. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à creuser et j’ai commencé à me renseigner et à étudier plus précisément la question.
Une part importante de mon projet était de situer le roman à Bruxelles, dans le milieu de la Commission européenne. C’est un univers mal connu, souvent décrié, critiqué, fantasmé. Mais il faut bien reconnaître que, vu de l’extérieur, c’est un sujet qui peut sembler assez froid. Le milieu de la Commission européenne n’invite pas immédiatement à l’intrigue romanesque. Pour rendre mon roman captivant, il me fallait introduire de la fiction et du suspense. Je devais trouver des éléments qui pourraient faire vivre l’intrigue. Dans le roman, le narrateur va tomber par hasard sur une clé USB qui ne lui est pas destinée. Il va examiner son contenu et découvrir des documents qui vont l’amener à soupçonner l’existence d’une porte dérobée (une backdoor) dans une machine fabriquée en Chine.
Avec ce livre, j’entreprends un nouveau cycle romanesque. Comme il m’importe, à chaque fois que je commence un livre, d’être à la fois fidèle à ce que j’ai écrit dans le passé, mais également de me renouveler, je me suis efforcé, dans ce roman, de proposer quelque chose de nouveau. Dans La Clé USB, j’embrasse un univers beaucoup plus large que dans mon premier roman, La Salle de bain, où je me contentais, en quelque sorte, de l’horizon de ma baignoire. Très clairement, dans ce livre, j’essaie de porter un large regard englobant sur le monde au début du XXIe siècle. Je situe l’action du roman en 2016, qui me semble être une date charnière, à la fois pour le monde, avec le référendum sur le Brexit, mais aussi pour le narrateur, dans sa vie privée.
Cela fait plus de cinq ans, depuis que j’ai achevé le cycle de Marie, que je n’avais plus écrit de roman à proprement parler. Pendant cette période, il m’est arrivé d’écrire d’autres livres, comme Made in China, auquel vous faites allusion avec la réflexion sur le hasard. Pendant ce temps, je prenais des notes pour le roman à venir. J’avais dans mon ordinateur un dossier intitulé « 100 éléments romanesques », où je consignais des idées, des morceaux de phrases, des bribes, des fragments qui me venaient à l’esprit. Par la suite, je n’ai bien sûr pas utilisé la totalité de ces 100 éléments romanesques pour l’écriture de La Clé USB, mais il m’arrivait de piocher ici et là. Un jour, j’avais noté l’agacement que me causaient les cintres antivols qu’on trouve parfois dans les armoires hôtels. Je pressentais qu’il y avait là une possibilité romanesque. Dans La Clé USB, quand le narrateur se fait voler son ordinateur en Chine, il va passer sa colère sur ces cintres antivols. Sa rage, d’abord maîtrisée, va se déchaîner contre ces cintres sans crochet qui sont la négation même du principe du cintre ! Même si cela ne s’est pas fait en temps réel, je vois là une micro incursion du fortuit, d’une impression ressentie dans la vie réelle que j’ai introduite dans la trame romanesque du livre en cours.
Je crois que ce livre est à la fois le plus romanesque de mes livres (vous avez raison de dire qu’il se rapproche d’un roman d’espionnage, des techniques du roman policier), et le plus autobiographique. Il y a ce double mouvement dans le roman, d’abord un mouvement qui s’éloigne de ma vie personnelle et qui va explorer des territoires vraiment romanesques, et en même temps un mouvement qui revient vers moi-même et ma vie privée. Dans mon travail littéraire, je crois que n’avais jamais été aussi ouvertement romancier, je n’avais jamais construit à ce point une fiction.
J’ai toujours considéré mon travail littéraire comme une recherche. Tout en poursuivant mon chemin, je m’efforce de me renouveler à chaque fois et de proposer toujours quelque chose d’inédit.
Oui, je suis attentif à l’actualité littéraire, je lis régulièrement les livres des Éditions de Minuit. Cette année, j’ai lu avec beaucoup de plaisir La Vérité sur Dix petits nègres, de Pierre Bayard et Pas dupe, d’Yves Ravey. Parmi les livres de la rentrée, j’ai déjà lu Propriété privée, de Julia Deck et Rétine, le premier roman de Théo Casciani. Je lirai sûrement Mon ancêtre Poisson de Christine Montalbetti, Amazonia de Patrick Deville et Extérieur monde d’Olivier Rolin. Je lirai aussi sans doute Le Cœur de l’Angleterre, le dernier livre de Jonathan Coe. Et je lirai Icebergs de Tanguy Viel qui paraîtra en octobre.
Crime et châtiment de Fiodor Dostoïevski.
Le Quatuor d’Alexandrie de Lawrence Durrell.
L’œuvre de Samuel Beckett.
À la recherche du temps perdu de Marcel Proust.
Détrompez-vous, je l’ai lu.
J’ai, dans ma bibliothèque, L’homme qui savait la langue des serpents, d’Andrus Kivirähk. C’est un best-seller en Estonie, on me l’a offert un jour à la fin d’un voyage à Tallinn. A priori, ce n’est pas vraiment ma tasse de thé, un roman plein de sortilèges et de salamandres. Je l’ai ouvert dans l’avion pour voir de quoi il s’agissait, et j’ai commencé à le lire, j’ai continué tout au long du voyage. Le plus surprenant, c’est que je l’ai terminé à mon retour à Bruxelles. C’est sans doute le livre le plus improbable que j’aie jamais lu.
J’ai écrit dans un de mes livres que, si l`on peut être péremptoire dans l`admiration, il faut rester modeste dans le dénigrement.
Plusieurs phrases de Beckett me viennent à l’esprit. Par exemple, dans Molloy : « Et il vous a dit pourquoi, dis-je, flairant la flatterie dont j’étais assez friand. »
Une biographie de Paul Valéry, Valéry, tenter de vivre, par Benoît Peeters.
Découvrez La Clé USB de Jean-Philippe Toussaint aux Editions de Minuit :
Philippe de la librairie le Divan partage ses lectures de la Rentrée littéraire 2023 "Une rentrée littéraire sans Jean-Philippe Toussaint c'est moins bien, donc là on en a deux, c'est formidable." Notre mot sur "L'Échiquier" de Jean-Philippe Toussaint ----- https://bit.ly/3MrAIZy #coupsdecoeurduDivan #PhilippeDivan #lechiquier #jeanphilippetoussaint #leseditionsdeminuit #booktok #litteraturefrancaise #litteraturetraduite #ebook #livrenumerique Tous nos conseils de lecture ICI : https://www.librairie-ledivan.com/ Suivez le Divan sur les réseaux sociaux : Facebook : https://www.facebook.com/divanlibrairie/ Twitter : https://twitter.com/divanlibrairie Instagram : https://www.instagram.com/librairieledivan
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