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Robert Amutio (Traducteur)
EAN : 9782267018189
180 pages
Christian Bourgois Editeur (09/03/2006)
3.97/5   101 notes
Résumé :
Roberto Bolaño a écrit un étrange roman noir qui mêle art, histoire et horreur. Un jeune homme, séduisant et mystérieusement lointain, se présente dans un atelier d'écriture que suit le narrateur dans une ville provinciale du Chili. Le coup d'État de Pinochet donne l'occasion à cet étrange artiste de mettre en pratique sa conception radicale de l'art de la cruauté, en assassinant quelques femmes de sa connaissance dans des circonstances que le lecteur, comme le narr... >Voir plus
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Lu en v.o. ESTRELLA DISTANTE.


Je m'imagine Bolano raconter de vive voix les histoires qu'il ecrit. Je le verrais bien assis a la place Djemaa-el-Fnaa de Marrakech et autour de lui un demi-cercle de badauds buvant ses paroles pendant des heures. Je dis bien des heures parce que l'art de Bolano est centrifuge: a l'histoire centrale se rajoutent sans arret d'autres qui prennent l'air de nous en eloigner et en fait l'epaississent. Je le verrais bien raconter Etoile distante face a la mine effaree, rebutee, degoutee parfois, mais toujours fascinee de ses auditeurs. Ce sont les mines que je faisais surement moi- meme pendant ma lecture.


Etoile distante c'est l'histoire de la traque d'un poete avantgardiste qui s'avere etre un poete demoniaque, carrement meurtrier. Il torture et assassine, photographie ses assassinats et publie cette documentation qui est pour lui l'aboutissement de son art. Un alter-ego de l'auteur (nomme Arturo Belano) est prie de participer a sa traque. Lui aussi est poete, et il a connu le poete assassin dans sa jeunesse, alors qu'ils participaient tous les deux aux ateliers de poesie de deux professeurs de literature d'une universite de province chilienne. Ce sera l'occasion pour Bolano d'inserer par-ci par-la des chapitres traitant du devenir de ces droles de profs a l'avenement de la dictature Pinochetienne au Chili. L'un d'eux, juif russe émigré en Amerique finit ses jours comme un mythique revolutionnaire combattant les armes a la main en differents exils. L'autre connaitra un temps d'heureux exil en France et mourra assassine par un groupe de neo-nazis espagnols. Une autre digression traite d'un autre jeune poete, un homosexuel qui perd ses deux bras dans un accident, emigre en Europe ou il connaitra succes et reconnaissance avant de mourir du sida. Bolano s'etend aussi beaucoup sur son alter-ego, le suivant dans ses differentes terres d'exil (le Mexique et l'Espagne) et surtout dans ses differentes quetes de moyens d'expression (c'est presque autobiographique).


On l'aura compris, Bolano explore les relations litterature/politique, les relations literature/action, les relations literature/mal. de l'esthetique de l'action jusqu'a l'esthetique du mal. Mail il n'est jamais peremptoire, categorique. Il inocule des pensees vaporeuses, sybillines, et c'est au lecteur de se faire sa propre idee, de juger s'il le faut. Les personnages qu'il dessine sont toujours un peu doubles. C'est du moins comme ca que je les ai sentis. En explorant les repercussions qu'un regime dictatorial a sur la vie et la pensee de differents citoyens – ici de jeunes poetes – Bolano ouvre une porte a la subjectivite. Sinon subjectivite du vecu, du moins subjectivite du ressenti, et avec le temps subjectivite de la memoire. Et il laisse au lecteur le soin – ou la possibilite – d'y meler sa propre subjectivite, faconnee par d'autres temps, d'autres lieux, d'autres experiences.


Je reviens a l'image du Bolano conteur. Parce que c'est un grand conteur. J'ai ete (moi aussi, moi entre de nombreux autres, vu que Bolano a, après sa prematuree mort, un auditoire grandissant) happe par son talent, fascine tout le long de ma lecture, meme quand elle a failli me faire vomir. Je conseille donc ce livre, en particulier a ceux qui ne savent pas encore qu'ils seront fans de Bolano.
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Lu en V.O. : «Estrella Distante».

«Quelle est l'étoile qui tombe sans que personne la regarde? "(William Faulkner)*
*cité par Roberto Bolaño en exergue à ÉTOILE DISTANTE

Pourquoi aussitôt avoir terminé son recueil «La Littérature Nazie en Amérique», publié en 1996, Roberto Bolaño revient sur l'un des récits y figurant, «Ramirez Hoffman, l'Infâme», le «recycle» en quelque sorte, transformant une petite nouvelle d'environ un vingtaine de pages en une novella indépendante de cent cinquante pages?

Il y a une intertextualité omniprésente et assumée dans l'univers quelquefois saturé de références littéraires de l'auteur chilien, se traduisant dans la plupart de ses écrits par un nombre considérable d'allusions à d'autres oeuvres, à d'autres auteurs ou courants artistiques, réels ou fictifs. À mesure que l'on se familiarise avec l'univers particulier de Bolaño, l'on découvre qu'il semble avoir aussi cultivé une sorte d'«intra-textualité», des personnages et/ou évènements présents dans certains de ses textes se retrouvant par moment reflétés, «greffés» ou bien «migrant» vers d'autres récits parfaitement distincts, dans un jeu de références interne quelquefois explicite, d'autres implicite. Les traces peuvent alors se diluer plus ou moins au gré des changements de patronymes, d'amalgames ou d'inversions de registres entre invention et réalité factuelle (ce qui paraît d'emblée fiction a pourtant bien eu lieu, ce qui est présenté comme ayant existé ne le fut jamais!), ou enfin entre le parcours de ses personnages et des éléments provenant directement de l'histoire personnelle de l'auteur.
L'on pourrait citer comme des illustrations exemplaires et abouties de cette démarche «intra-textuelle», la novella «Amulet» par rapport à un épisode du roman «Détectives Sauvages», dont elle avait été exfoliée pour en devenir une extrapolation autonome, à côté de cette «Étoile Distante» qui résulterait donc plutôt d'un exercice de réécriture et d'agrandissement d'un des récits courts de «La Littérature Nazie en Amérique».
C'est ainsi que dès l'avant-propos, Bolaño évoque qu'au fur et à mesure de la rédaction du livre, il éprouvait le sentiment de plus en plus vif de réincarner une sorte de «fantasme de Pierre Ménard» (personnage célèbre d'une nouvelle fantastique de Borges, qui aurait réussi le pari fou de «réécrire» mot pour mot une nouvelle version du Quichotte !), du fait notamment de se voir souvent en train de «valider des paragraphes déjà écrits»!!

Dans ÉTOILE DISTANTE, le Carlos Ramirez Hoffman de «La Littérature Nazie en Amérique» devient Carlos Wieder. Bolaño quant à lui, n'en est désormais plus explicitement le narrateur, préférant cette fois-ci se démultiplier dans les jeux de miroir qu'il s'amusait à créer. Il se glisse ici sous la peau d'un double fictionnel Arturo B. («B» comme… !), «un ami», note-t-il dans sa courte préface, qui lui avait au départ raconté l'histoire de Carlos Wieder et, ayant trouvé en fin de compte sa première version dans « La Littérature Nazie en Amérique» trop «schématique», lui aurait «dicté» cette nouvelle mouture à partir de ses «rêves et cauchemars» (!). Probablement aussi, sous celle d'un autre personnage de la novella, le poète Juan Stein, à l'atelier d'écriture duquel le narrateur aurait fait la connaissance de Carlos Wieder, et qui, comme l'auteur, avait été emprisonné peu après le coup d'État chilien de 1973, puis passé dans la clandestinité, erré et baroudé en Amérique Latine, y compris, pendant un moment, comme Bolaño, auprès du poète Roque Dalton et du Front Farabundo Martí salvadorien.

L'«étoile distante», c'est tout d'abord une certaine représentation de la nation chilienne, cet idéal qu'une grande partie de la jeunesse de l'époque voit disparaître dans les ténèbres où le pays vient de plonger en ce 11 septembre 1973, saccagé et expulsé par l'irruption brutale de la dictature militaire, c'est la disparition soudaine et inexpliquée de proches et amis, c'est l'éloignement de la patrie et l'exil forcé.

Carlos Wieder, apprenti-poète fréquentant les mêmes ateliers d'écriture que le narrateur, plus qu'un poète qu'on aurait pu taxer de «maudit», serait bien davantage un «artisan» du mal érigé en modèle esthétique. Élevant la destruction et le meurtre au rang de manifestations artistiques de la nature ultime de la création, le fondement jusque-là caché de son «art» allait pouvoir s'épanouir complètement sous l'égide des temps nouveaux. Poète de la concrétude, amateur des performances extrêmes dans la lignée des «actionnistes» viennois, les Muses qu'il aimait invoquer s'appelaient «Mégère» ou «Alecto» - «la Haine», «l'Implacable»-, son chant célébrait avant tout la victoire de Thanatos plutôt que celle d'un Apollon ou d'un Dionysos... Si Carlos Wieder avait laissé un écrit sur l'origine de sa poièsis, il aurait pu l'intituler, en paraphrasant De Quincey : « de l'assassinat considéré comme un des beaux-arts »… Viva la muerte ! Son heure de gloire sonnera durant les années de plomb, puis sa trace se perdra avec le temps: le Chili finira par l'oublier.

L' «étoile distante», c'est en même temps l'étoile qui figure dans le drapeau chilien et que Wieder, militaire et aviateur, dessinait dans les cieux du Chili avant d'écrire, toujours en lettres de fumée : « LA MUERTE ES CHILE».

L'histoire et l'oeuvre de Roberto Bolaño, on le sait, ont été profondément marquées par la violence avec laquelle l'espoir incarné au Chili par l'élection d'Allende fut balayé par la furie destructrice du coup d'État militaire de 1973. Dix-sept ans de dictature militaire sous le commandement suprême du Général Pinochet. Environ un million de chiliens expulsés ou exilés, des milliers de morts et disparus. L'on estime à 40 000 le nombre de victimes de la torture. Un procès du régime qui en définitive n'aura jamais lieu en interne (seulement à l'étranger, notamment en Espagne et en France, à titre toutefois «symbolique»). Une première grande loi d'amnistie envers les atteintes aux droits de l'homme, par contre, promulguée dès 1978 au Chili (la dernière et ultime loi de ce type, conduisant à tourner définitivement la page de cet épisode funeste de l'histoire du pays, verra le jour en 2015). Arrêté en 1998 à Londres, où il était venu passer des examens médicaux, Augusto Pinochet, «sénateur à vie» qui, de ce fait, et malgré les centaines de plaintes pour violation des droits de l'homme déposées contre lui, va bénéficier d'un recours considéré comme recevable, finira par rentrer tranquillement au bercail après un court imbroglio diplomatique aussi retentissant que stérile. Au Chili, le vieux "chupacabra" fait toujours l'objet d'une immunité qui le protégera contre toute procédure pénale, jusqu'à sa levée, enfin, en 2000, qui n'aboutira pourtant à aucune condamnation de fait. Il finira ses jours paisiblement chez lui à 91 ans, en 2006 - carajo! - trois ans après Roberto Bolaño, mort lui en 2003, à l'âge de 50 ans...

Voilà qui pourrait bien constituer la genèse et l'un des moteurs principaux ayant alimenté à la fois les choix de vie personnels de l'auteur, son rapport ambigu avec son pays d'origine, ainsi que l'émergence de sa voix littéraire originale, empreinte d'une beauté aussi sauvage qu'éloquente: leitmotiv obsédant de l'irruption du mal qui traverse la totalité de son oeuvre, sous-jacent aux images saisissantes «de bruit et de fureur» qui la hantent, à la sidération provoquée par la volonté de destruction qui peut à tout moment s'emparer des hommes, dont elle témoigne inlassablement, à l'horreur et à l'aberration de la «chosification» des êtres qu'elle ne cesse de décliner sous ses différents visages monstrueux…

Resterait néanmoins la question posée au tout début de ce billet, à savoir pourquoi Bolaño l'aurait écrite deux fois, pourquoi a-t-il réécrit cette histoire ?? Au-delà de toute spéculation qu'on pourrait continuer à échafauder autour de l'obsession du motif central (à laquelle, après tout, aucun bon écrivain n'échapperait, n'est-ce pas: ne dit-on pas que les grands auteurs semblent écrire toujours le même livre?), j'ai eu tout de même le sentiment que dans cette réécriture de l'ÉTOILE DISTANTE ce qui change vraiment et se rajouterait à l'histoire du départ, ce qui est accentué ici, étoffé, élargi, ne relèverait pas tant du domaine des ténèbres, mais plutôt de celui de la lumière justement, de celle qui insiste toujours à scintiller, celle qui paraissait s'être éloignée, mais qui ne s'était pas tout à fait éteinte, refaisant soudain surface pour rallumer l'espoir. Ainsi par exemple le personnage, tout à fait inédit pour le coup, de cet adolescent amputé des deux bras, décidant de prendre sa revanche sur tous les malheurs qui s'étaient abattus sur lui et qui connaîtra par la suite une destinée absolument poignante et fabuleuse. Ou les développements plus importants dans cette réécriture autour de tous ceux qui, à leurs risques et dans l'indifférence générale, continuèrent à chercher l'ombre des disparus, les moindres traces des victimes du régime, ainsi que de leurs bourreaux qu'ils n'auront de cesse à vouloir cerner et traquer, tels par exemple les personnages de Bibiano O'Ryan qui fait, lui aussi, penser à un dédoublement de Bolaño, sorte de moi-idéal qui n'aurait pas pris la porte, le chemin de l'exil et du rejet de son pays d'origine, ou encore l'énigmatique Abel Romero, déjà présent dans la première version, avatar de l'ange exterminateur, messager discret et taiseux de la troisième Muse infernale, délaissée par Carlos Wieder, Tisiphone la «Vengeresse» …

L'"étoile distante", c'est donc aussi celle qui est visible au fond de la nuit noire, c'est le témoin vivant de la chute, mais aussi de la permanence de l'étincelle qui résistera sous la chape des ténèbres qui cherchent à nous ensevelir.

Enfin, et pour terminer (je le jure !), l'"étoile distante" (mais cela, bien sûr, n'engage que moi), c'est Roberto Bolaño lui-même, astre filant, trop tôt disparu du ciel de la littérature latino-américaine contemporaine. Sa lumière continue d'inspirer de nombreux auteurs dans le continent, mais à mon sens n'a pas encore trouvé d'équivalent…
Qu'écriait Bolaño sur le monde d'aujourd'hui, si la mort ne nous l'avait pas ravi aussi brutalement? Sa voix nous manque...
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« Quand il survola le Centre de la Peña le bruit qu'il fit ressemblait à celui d'une machine à laver déglinguée. D'où je me trouvais je pus apercevoir le visage du pilote, et pendant quelques instants je crus qu'il agitait la main et nous saluait. Ensuite il releva le nez de l'avion, prit de l'altitude et se retrouva au-dessus du centre de Concepción. Et c'est là, à cette hauteur-là, qu'il commença à écrire un poème dans le ciel. »

Ce court roman est issu d'une bouture de « La Littérature nazie en Amérique », livre dans lequel on fait la connaissance d'un personnage similaire. Il s'y appelle Ramirez Hoffman. Ici il portera d'abord le nom d'Alberto Ruiz-Tagle, puis celui de Carlos Wieder.

N'imaginez-pas une sorte de Saint-Exupéry chilien car l'homme se révèle être parfaitement dangereux, au-delà de son charme et de ses performances poétiques en plein ciel. Il fait partie de ces officiers qui sous la dictature ont torturé et tué. C'est même un tueur en série, qui trouve un terrain particulièrement favorable à ses exactions. Il s'est évanoui dans l'air mais est-il réellement mort ? C'est une sorte d'enquête que nous allons suivre, du Chili à la France et l'Espagne, des années 1970 aux années 1990.

Comme souvent chez Bolaño, les narrations sont savamment imbriquées les unes dans les autres. le narrateur cède la place à des interlocuteurs divers, du passé ou du présent, mais le tout reste d'une grande clarté. Toute sa thématique est bien là : jeunes poètes à l'avenir incertain, violences, cruauté irrémédiable du monde...

Plus j'avance dans la lecture de son oeuvre, plus il m'impressionne.
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Chili, 1973 : le coup d'Etat de Pinochet fait basculer le pays dans la dictature. Au sein d'un groupe de jeunes poètes, évolue l'étrange Alberto Ruiz Tagler qui veut révolutionner la poésie chilienne et qui le fera d'une manière telle qu'il en viendra à incarner le mal absolu. La pseudo enquête (on n'est pas vraiment dans un polar) que constitue le roman nous mène sur ses traces jusqu'aux années 90.

On pense à Borges et plus généralement aux auteurs latino-américains du « boom » dans les années 60-70 (Cortazar, Garcia Marquez, Vargas Llosa, Rulfo…) dont Bolano est un héritier : la réalité sociale, historique ou quotidienne est appréhendée à travers des récits teintés d'une étrangeté onirique, le tout dans un style très direct, très lisible (c'est le « réel-merveilleux » ou « réalisme-magique ») qui rend la lecture très fluide, agréable (en dépit d'une histoire ici tragique).

C'est un livre court, puissant et intriguant, très bien écrit (et sans doute bien traduit) qui me donne envie de découvrir d'autre oeuvres de Bolano (2666 et Les détectives sauvages sont dans ma pile, mais ils font 1000 et 900 pages : j'hésite !)
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Lire "Etoile distante" est comme se pencher au dessus d'un trou noir qui ne se referme pas. «La mort est mon coeur» écrit Carlos Wieder aux commandes de son avion dans le ciel du Chili.


Sous le régime d'Allende, dans les ateliers de poésie de Juan Stein et de Diego Soto au Chili, le narrateur rencontre Alberto Ruiz Tagler, poète autodidacte, charmeur élégant, détaché et incertain. le style de Ruiz Tagler séduit les poétesses de ces ateliers, autant qu'il irrite le narrateur et son ami Bibiano, tout en étant le centre de leurs conversations.

En 1973, Pinochet est au pouvoir et Ruiz Tagler a maintenant l'identité de Carlos Wieder. Il est l'incarnation de l'audace et de la confiance en soi pour ceux qu'il fascine, il est l'incarnation du mal pour le mal, la rage pure et inutile, assassin en série, artiste utilisant les photos de ses meurtres pour une exposition (dont Bolaño ne mentionne que les effets sur ses spectateurs), officier du régime et pilote poète écrivant dans le ciel ses vers macabres.

«Quand il revint à Punta Arenas, Wieder déclara que le plus grand danger avait été le silence. Devant la stupeur feinte ou réelle des journalistes, il expliqua que le silence était les vagues du Cap Horn lançant leurs langues vers le ventre de l'avion, des vagues semblables à de monstrueuses baleines melvilliennes ou pareilles a des mains coupées qui essayèrent de le toucher pendant tout le trajet, mais silencieuses, bâillonnées, comme si à ces latitudes la son avait été l'apanage des hommes. le silence est pareil à la lèpre, déclara Wieder, le silence est pareil au communisme, le silence est pareil à un écran blanc qu'il faut noircir.»

Bien qu'il nous tienne à distance du mal en nous laissant imaginer le pire, Roberto Bolaño, autour du destin du Chili et des sympathies néo-nazies du régime Pinochet, ouvre ici un abime - la fascination pour le mal, et l'alliance fatale du mal et de l'art.

«Le mal froid est comme l'ombre de l'humanité et nous accompagnera toujours.» (Roberto Bolaño)
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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
Il était une fois un enfant pauvre du Chili... L'enfant s'appelle Lorenzo, je crois, je ne suis pas sûr, et j'ai oublié son nom, mais beaucoup de gens doivent s'en souvenir, et il aimait jouer et grimper aux arbres et aux pylônes de haute tension. Un jour, il grimpa à l'un de ces pylônes et reçut une décharge si forte qu'il perdit ses deux bras. On dut les lui amputer presque jusqu'au niveau des épaules. Lorenzo donc grandit non seulement au Chili et sans bras, ce qui en soi rendait sa situation assez critique, mais en plus dans le Chili de Pinochet, ce qui rendait n'importe quelle situation désespérée, mais ce n'était pas tout, car il découvrit rapidement qu'il était homosexuel, ce qui transformait la situation désespérée en inconcevable et indescriptible.
Avec toutes ces prédispositions, rien d'étonnant à ce que Lorenzo devint artiste. (Qu'est-ce qu'il aurait pu faire d'autre?)
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Le jour où on ne le vit plus déambuler dans les rues de Concepción, ses livres sous les bras, toujours mis avec soin (au contraire de Stein qui s’habillait comme un clochard), sur le chemin de la faculté de médecine ou en train de faire la queue devant un théâtre ou un cinéma, quand il s’évanouit dans l’air enfin, personne ne le regretta. Pas mal de gens se seraient même réjouis de sa mort. Non pour des raisons strictement politiques (Soto était un sympathisant du parti socialiste, mais seulement cela, un sympathisant, même pas un électeur fidèle, je dirais que c’était un gauchiste pessimiste), mais pour des raisons d’ordre esthétique, pour le plaisir de voir mort quelqu’un de plus intelligent et de plus cultivé que soi, et à qui manque la finesse sociale de le cacher. Écrire ceci maintenant peut passer pour un mensonge. Mais c’était ainsi, les ennemis de Soto auraient été capables de lui pardonner même ses mots les plus acerbes ; ce qu’ils ne pardonnèrent jamais, ce fut son indifférence. Son indifférence et son intelligence.
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La première fois que j’ai vu Carlos Wieder ce devait être en 1971 ou peut-être en 1972, du temps où Salvador Allende était président du Chili.
À cette époque-là il se faisait appeler Alberto Ruiz-Tagle et fréquentait parfois l’atelier de poésie de Juan Stein, à Concepción, la capitale du Sud, comme on dit. Je ne peux pas dire que je le connaissais bien. Je le voyais une ou deux fois par semaine, quand il venait à l’atelier. Il ne parlait pas énormément. Moi oui. La plupart de ceux qui venaient parlaient beaucoup : pas seulement de poésie, mais de politique, de voyages (et personne n’imaginait en ce temps-là ce qu’ils seraient plus tard), de peinture, d’architecture, de photographie, de révolution et de lutte armée ; cette lutte armée qui devait nous amener des temps nouveaux et une vie nouvelle, mais qui, pour la plupart d’entre nous, était une sorte de rêve ou, plus exactement, une sorte de clé qui nous ouvrirait la porte des rêves, les seuls qui justifiaient la peine de vivre.
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Bref, comme dit Bibiano en citant Parra, ainsi passe la gloire du monde, sans gloire, sans monde, sans un misérable sandwich à la mortadelle.
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"Le silence est pareil à la lèpre", déclara Wieder, "le silence est pareil au communisme, le silence est pareil à un écran blanc qu'il faut noircir. Si tu le noircis, plus rien de mal ne peut t'arriver. Si tu n'as pas peur, rien de mal ne peut t'arriver." D'après Bibiano, c'était la description d'un ange. Un ange cruellement humain, demandai-je ? Non, espèce de con, répondit Bibiano, l'ange de notre malheur.
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