Trouve-t-on des textes passionnants et pas hors sujet dans ce recueil ? Assurément oui. Cela fait-il pour autant de «
La pensée des poètes » un ouvrage de part en part intéressant ? Assurément non et la faute en incombe entièrement à l'anthologue. Tout est ici bric-à-brac sans date avec le pire comme le meilleur. Les commentaires introductifs aux différents auteurs aussi ne tracent regrettablement aucun fil rouge permettant de comprendre les choix réalisés par
Gérard Macé. Ils sont de simples mixtes de repères biographiques indigents et de maladroites redites des textes qui suivent. Ils sont parfois même scandaleusement euphémisant (on s'en persuadera en ce qui concerne
Aimé Césaire en lisant le magnifique texte d'
André Breton « Un grand poète noir »), parfois ils sont carrément burlesques (on se reportera à l'introduction à Wystan H. Auden).
« Tout le monde pense, les poètes aussi. » Pour définir la soi-disant pensée des poètes, mieux vaudrait cependant repartir de
Platon. La pensée n'est rien d'autre que le discours avec soi-même, « le dialogue intérieur et silencieux de l'âme avec elle-même »* . Elle réclame de se questionner et de se répondre, de juger silencieusement, elle exige sérieuses mémoire et sensation. Cependant, « il n'arrive jamais que le même homme puisse exercer également sa mémoire, son imagination et sa réflexion en toutes sortes de matières »** . On ne peut vraiment réfléchir qu'à ce qui nous touche, et peut-être n'est-on touché que grâce à une prédisposition innée ou acquise.
Dans cette perspective, la réflexion poétique est définie infailliblement par le poète lui-même et pour le reste tout est pour lui naturellement plus incertain. « Ce qui sépare l'esthétique philosophique de la réflexion de l'artiste… » de
Paul Valéry ou « La fonction poétique » de
Pierre Reverdy, véritables cailloux dans la chaussure de l'anthologue, sont ainsi parfaitement à leur place dans ce recueil. Il en est sans doute de même avec l'indigeste « Crise de vers » de
Stéphane Mallarmé ou les allochtones « Remarques sur
la poésie » d'
Ossip Mandelstam. Tout ce qui également se rapporte à l'art en général comme le « Public moderne et la photographie » de
Charles Baudelaire, « les «Peintres cubistes » de
Guillaume Apollinaire, l'« Imagerie moderne » de
Robert Desnos, le « Phénix du masque » d'
André Breton ou bien le « Sentiment esthétique chez les Noirs africains » de
Michel Leiris ; tout ce qui a trait aussi au métier comme le « A qui j'obéis » de
Marina Tsvetaïeva, le «
Poésie involontaire et poésie intentionnelle » de
Paul Eluard, l' « Avenir
de la poésie » d'
Henri Michaux ou bien le «Des raisons d'écrire » de
Francis Ponge, tout est impeccable pensée.
Les pensées du poète en d'autres matières sont rarement la pensée du poète, à moins de croire naïvement comme semble le faire
Gérard Macé que le passage du vers à la prose réalise instantanément ce miracle. C'est même tout le contraire et le recueil constitue une sorte de magnifique sottisier où
Charles Baudelaire avec son absurde « Éloge du maquillage »,
Charles Gros avec sa simpliste théorie « Sur la classification des couleurs »,
Paul Claudel avec son très convenu « Question sociale et questions sociales », etc., ne sortent pas forcément grandis.
*
Platon, Sophiste.
**
Condillac