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EAN : 9782070228775
182 pages
Gallimard (22/01/1981)
4.05/5   241 notes
Résumé :
Le Mont Analogue, "roman d'aventures alpines, non euclidiennes et symboliquement authentique," est la relation fantaisiste, mais pleine de sens, d'une expédition vers une montagne rendue invisible par la courbure de l'espace. Son ascension permet d'accéder aux plus hauts secrets spirituels.
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« Le Mont Analogue » est un court roman mythique et inachevé publié en 1952, après la mort précoce de son auteur fauché par la tuberculose en 1944.

« Les Monts Analogues de René Daumal » est ce qu'on appelle communément un « beau livre » qui propose une superbe ré-édition du roman de Daumal, enrichie de photos, de croquis, de textes inédits, d'entretiens, de commentaires ainsi que d'une préface et d'un épilogue rédigés par Patti Smith.

Cet ouvrage très riche permet d'appréhender le parcours pour le moins original d'un auteur méconnu, mystique et lumineux. Si le halo mystérieux qui entoure depuis sa parution « Le Mont Analogue » reste intact, tout l'intérêt du livre est de revenir sur les nombreuses influences qui ont marqué l'oeuvre trop brève de Daumal ainsi que sur son étonnant succès de l'autre côté de l'Atlantique.

On comprend en lisant la préface de Patti Smith, la fascination exercée par Daumal sur la contre-culture américaine des « radical sixties ». On saisit également ce que la postérité du « Mont Analogue » doit au succès de sa traduction en américain, prenant la forme d'ouvrages aux couvertures déjantées d'inspiration hindoues qui évoquent davantage un album de George Harrison que l'oeuvre d'un poète-montagnard français né en 1908.

Lorsque Patti Smith mentionne dans sa préface tout l'intérêt que Daumal portait à l'oeuvre d'Arthur Rimbaud, j'ai aussitôt songé aux quelques lignes que l'on trouve au dos de l'album « Desire » de Bob Dylan, l'icône absolue de la contre-culture, dont Patti Smith est l'une des plus ferventes admiratrices.

« Where do I begin … On the heels of Rimbaud moving like a dancing bullet thru the secret streets of a hot New Jersey night filled with venom and wonder. »
« Là où tout a commencé … Sur les talons de Rimbaud déambulant tel une balle dansant à travers les rues secrètes d'une nuit moite du New Jersey emplie de venin et de merveilles ».

De Rimbaud à Dylan en passant par Patti Smith et René Daumal, j'ai compris que l'ouvrage dirigé par Boris Bergmann tissait une toile étrange, s'étalant sur plus d'un siècle, qui débute dans les Ardennes (région de naissance de Rimbaud et de Daumal) à la fin du XIXème siècle pour s'achever sur la côte Est des Etats-Unis à la fin des années 70, lorsque l'adaptation cinématographique obscure du « Mont Analogue » devient un film culte à New York, portée par l'adoration que lui vouent John Lennon et Yoko Ono.

Le parcours de Daumal s'inscrit dans cette toile poétique, qui embrasse les poètes maudits (le bel Arthur), les princes de l'absurde (Alfred Jarry) ainsi que ses acolytes lycéens de Reims, Roger Gilbert-Lecomte, Roger Vaillant et Robert Meyrat avec qui Daumal formera le « Grand Jeu » afin de retrouver « la simplicité de l'enfance et ses possibilités de connaissance intuitive et spontanée » par des pratiques de recherches extrasensorielles, mêlant exploration de textes mystiques et usage de drogues aussi variées que dangereuses qui lui endommageront à tout jamais les poumons.

La vie et l'oeuvre de Daumal tirent ainsi un fil étonnant qui, de la thèse de l'unité transcendantale de toutes les religions de René Guénon aux délires syncrétiques de Gurdjieff trouve sa cohérence dans la quête sincère qui habitait l'auteur du « Mont Analogue ». Il semble que l'hindouisme ait néanmoins tenu une place centrale dans la mystique « daumalienne » notamment inspirée par la lecture assidue des Upanishads ainsi que de la Bhagavad Gîta. Daumal avait appris le sanskrit très jeune, traduit une partie des oeuvres citées et même élaboré une grammaire sanskrite qui fait encore référence et qu'il prêtera à Simone Weil, sa camarade de khâgne à Henri IV.

C'est finalement tout le mérite des « Monts Analogue de René Daumal » : partir d'un court roman inachevé, « un roman d'aventures alpines, non euclidiennes et symboliquement authentiques », pour approfondir la quête mystique de son auteur et parcourir plus d'un siècle d'une recherche de liberté poétique, qui traversera l'Atlantique en quittant les Ardennes d'Arthur Rimbaud pour atteindre la côte Est de Bob Dylan.
Cette poursuite impossible d'un idéal mystique et poétique est sans doute l'une des clés d'interprétation du « Mont Analogue », cette montagne cachée qui unit la Terre au Ciel, dont le roman à la pureté de cristal de René Daumal nous conte l'improbable quête…
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Voilà un de ces sommets qu'on ne peut jamais parcourir jusqu'au bout. René Daumal, commençant la rédaction de le Mont analogue en 1939, apprit la même année qu'il était condamné par la tuberculose. Il mourut en effet peu de temps après, en 1944, et laissa un roman inachevé, dans l'élan d'une phrase suspendue par une virgule. Il ne manquait, vraisemblablement, plus que deux chapitres.


Comme l'indique le sous-titre de l'ouvrage, l'expédition vers le Mont analogue est un « roman d'aventures alpines non-euclidiennes ». La troupe qui s'embarque pour l'ascension de cet étrange massif illustre en effet les étrangetés permises par la théorie récente de la relativité restreinte :


«Vous savez […] qu'un corps quelconque exerce une action répulsive […] sur les rayons lumineux qui passent près de lui. le fait, prévu théoriquement par Einstein, a été vérifié par les astronomes Eddington et Crommelin, le 30 mai 1919, à l'occasion d'une éclipse de soleil; ils ont constaté qu'une étoile pourrait encore être visible alors qu'elle se trouve déjà, par rapport à nous, derrière le disque solaire. Cette déviation, sans doute, est minime, mais n'existerait-il pas des substances encore inconnues —inconnues, d'ailleurs, pour cette raison même, capables de créer autour d'elles une courbure de l'espace beaucoup plus forte? Cela doit être car c'est la seule explication possible de l'ignorance où l'humanité est restée jusqu'à présent de l'existence du Mont Analogue.»


On ne reviendra pas sur la facilité avec laquelle la troupe embarquée pour l'exploration du Mont Analogue parvient à braver cette difficulté : après tout, nous sommes aux premiers temps de la physique quantique et ses promesses permettent un enthousiasme qui pourrait expliquer comment notre groupe d'aventuriers réussit à découvrir le territoire sur lequel se situe le Mont Analogue. C'est comme lorsque du verre entre en résonance sous l'effet d'une certaine fréquence d'onde : ainsi, si chaque membre du groupe s'aligne sur une même fréquence, fonde sa cohésion dans la réalisation d'un objectif précis, le groupe réalisera le bond quantique que de moins tenaces ne réussirent pas à accomplir.


La découverte de l'île mystérieuse et de ses habitants constitue la première étape d'une expérience d'abolition de soi et de mise au rebut des attributs rassurants de ce qu'on croit être une identité. René Daumal cherche à confronter ses personnages au dépouillement de soi afin qu'ils escaladent, proche du néant et de l'absolu, le mont le plus élevé qu'il existe sur Terre. Nous n'en saurons pas davantage, mais j'imagine que le récit aurait pu se poursuivre avec le dénuement progressif, voire la disparition successive, de tous les compagnons d'aventure encore trop immatures pour réaliser l'oeuvre d'ascension spirituelle demandée par le Mont analogue. Rien de bien original ici, et René Daumal se montre très suggestif, déambulant avec ses gros souliers dans le magasin de porcelaine du roman. Il est bien meilleur dans ses essais et à ce titre-là, l'annexe du Traité d'alpinisme analogique résume de façon plus poétique et plus condensée ce Mont analogue. Il se suffit d'ailleurs à lui seul pour nous réconforter de l'inachèvement du roman.
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Par les effets conjugués de la courbure de l'espace-temps et de la belle critique récente de mon ami babeliote Isidoreinthedark, le Mont Analogue m'est réapparu.
En effet, au début des années 60, alors que nous étions encore des lycéens boutonneux, mes camarades et moi partagions le goût pour des écrivains et poètes libertaires ou loufoques, tels Vian, Queneau, Ionesco, mais aussi Prévert, Desnos, etc…Il y avait aussi Daumal et le mythique Mont Analogue, mais je n'avais pas lu le livre en ce temps là.

Maintenant, c'est chose faite et ce fut un régal.
Le Mont Analogue, ce « roman d'aventures alpines, non-euclidiennes et symboliquement authentique » est un récit alerte, plein de fantaisie, d'humour, malicieusement pseudo-scientifique, mais aussi une sorte de quête initiatique, de dépouillement du superflu.

Tout part d'un article écrit par le narrateur, Théodore, qui, passant en revue les différentes mythologies, évoquait le passage à la « normalité » de ces montagnes mythiques, Mont Olympe, Mont Sinaï, etc…et avançait son hypothèse de l'existence, unique géographiquement, d'une montagne symbolique, le Mont Analogue, « dont le sommet est inaccessible et la base accessible ». Cette élucubration va l'amener à être contacté par un savant extravagant, le Père Sogol, un ancien moine devenu inventeur, et ce dernier va lui affirmer sa conviction que le Mont Analogue existe.
Une expédition va alors se monter. le Père Sogol va expliquer aux candidats au départ ses arguments en faveur l'existence du Mont Analogue fondés sur la courbure de l'espace-temps (la théorie de la Relativité Générale d'Einstein date de quelques dizaines d'années!), sa localisation probable et le moyen d'arriver à sa base.
Dès lors, c'est le roman d'aventures qui commence, agrémenté d'histoires pittoresques et loufoques, mais derrière lesquelles se dessinent à la fois une quête du dépouillement de soi et aussi une authentique fable écologique, mettant en avant la nature comme un tout, et la nécessité absolue du respect du vivant.

Mais malheureusement pour nous, le récit, qui devait comporter 7 chapitres, s'arrête au milieu d'une phrase du cinquième, car René Daumal ne le terminera jamais, emporté par la tuberculose à 36 ans.
A nous lecteurs frustrés d'imaginer la fin, ou peut-être l'absence de fin, de cette quête de l'inaccessible, ou de l'invisible, de l'au-delà, de l'infini.

Et tout cela écrit dans un style impeccable, d'une incroyable fraîcheur.
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« le Mont Analogue », si l'on en croit son sous-titre est un « roman d'aventures alpines, non euclidiennes et symboliquement authentiques ». Il s'agit surtout un roman inachevé que René Daumal composa entre 1936 et sa mort de la tuberculose en 1944 ; et qui se termine en cours de chapitre V par : « Or ces guêpes, en butinant les fleurs, assuraient leur fécondation. Sans elles, une quantité de plantes qui jouent un grand rôle dans la fixation des terrains mouvants, »…
Les cinq chapitres qui composent l'ouvrage, leurs titres et le mini résumés qu'ils comportent font immanquablement penser à Jules Verne :
I. Qui est le chapitre de la rencontre
II. Qui est celui des suppositions
III. Qui est celui de la traversée
IV. Où l'on arrive, et où le problème de la monnaie se pose en termes précis
V. Qui est celui de l'installation du premier camp

Un récit de voyage, récit initiatique, conte philosophique…comme on voudra, mais surtout un récit issu de l'imagination débordante de son auteur, un temps proche des surréalistes : la base du Mont Analogue, une montagne qui gagne le ciel et relie la terre à l'au-delà, n'est elle pas découverte bien dissimulée et inaccessible à la vue du fait d'une courbure de l'espace ?

L'expédition montée pour vaincre le Mont Analogue arrivera-t-elle à destination. Nous ne le saurons jamais… Peut-être est-elle encore en route ? A-t-elle atteint l'au delà ? … Nous entrons en pataphysique…

Un ouvrage bien singulier qui n'a pas manqué de me rappeler « La découverte australe » de Restif de la Bretonne.
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René Daumal (1908-1944) est un poète, critique, essayiste, indianiste, écrivain et dramaturge français. Très tôt engagé dans des expériences littéraires novatrices, René Daumal crée avec trois amis, à Reims, un groupe inspiré d'Alfred Jarry, Arthur Rimbaud et des surréalistes. Bons élèves au lycée, ils cherchent comme Rimbaud « le dérèglement de tous les sens » (drogue, roulette russe…), dans un esprit de découverte. A 17 ans, Daumal connaît une expérience qu'il qualifiera de « déterminante » et lui donne la « certitude de l'existence d'autre chose, d'un au-delà, d'un autre monde ou d'une autre sorte de connaissance » en s'intoxiquant au tétrachlorométhane dont il se sert pour tuer les coléoptères qu'il collectionne et il a l'intuition qu'il pourra rencontrer un autre monde en se plongeant volontairement dans des intoxications proches d'états comateux ressemblant à ce que certains appelleront plus tard expériences de mort imminente.
Son oeuvre assez importante est surtout constituée d'essais et de correspondances, en grande partie posthume comme ce roman, le Mont Analogue publié en 1952, au sous-titre improbable Roman d'aventures alpines, non euclidiennes et symboliquement authentiques mais qui en donne le ton.
J'avoue être tombé des nues en apprenant l'histoire de ce livre qui m'était complètement inconnu car à mon plus grand étonnement il circulait beaucoup dans une sphère qui m'était très familière dans ma jeunesse : les hippies se le refilaient, de nombreux réalisateurs se sont cassés les dents à vouloir l'adapter au cinéma (comme Alejandro Jodorowski par exemple…), un roman livre de chevet pour de nombreux intellectuels (François Mitterrand…) Tout cet historique était à lire dans la série de six articles (!) publiés par le Monde cet été.
Avant de vous engager dans cette lecture, sachez qu'il s'agit d'un roman inachevé qui s'arrête brusquement en cours de chapitre cinq, sur les sept initialement prévus. La part manquante est suggérée par l'éditeur à partir de notes et d'écrits de l'écrivain.

Théodore, le narrateur, a écrit un article où il imagine une montagne, le Mont Analogue. A sa grande surprise il est contacté par Pierre Sogol, un moine défroqué qui « ne sait rien faire d'autre, dans la vie, que d'inventer des absurdités » lui proposant de monter une expédition pour explorer cette montagne dont il se fait fort de découvrir sa localisation géographique. Déployant une théorie croquignolette faite de calculs savants, Sogol finit par convaincre Théodore de l'existence de ce mont et le situe au coeur du Pacifique sud. Chacun des deux sélectionne quelques amis savants pour les accompagner, et tout ce petit monde embarque sur L'Impossible (sic !) et vogue vers cette improbable aventure…
Là encore je dois prévenir le lecteur, s'il lit ce roman superficiellement, comme un banal roman d'aventures, il va être déçu. Pour l'apprécier il faut accepter la règle du jeu : lire entre les lignes, voir au-delà des mots. Ici tout est symbolique ou métaphorique, il faut chercher le sens profond pas toujours évident qu'une lecture distraite et non prévenue pourrait ne pas voir.
Le mont Analogue c'est la synthèse entre toutes les montagnes qu'on rencontre dans tous les récits mythologiques, religieux ou légendaires, le Sinaï, l'Olympe etc. La « chose » qui fait le lien entre les Hommes qui vivent à sa base et les Dieux qui résident à son sommet, la possibilité de communiquer entre le réel et l'au-delà. Chercher et trouver le mont Analogue est une quête spirituelle.
Les principaux thèmes abordés dans l'ouvrage sont l'obstination à vouloir comprendre et savoir, rendre possible ce qui paraît impossible ; l'ascension du mont, plus complexe que prévue oblige le groupe à abandonner tout le matériel prévu et s'équiper plus léger (les hippies devaient adorer cet angle) ; texte à portée écologique aussi puisqu'il y est question de responsabilité de l'Homme dans la destruction du cycle de la Nature et de son équilibre biologique. On y trouve un aspect visionnaire quand l'un des personnages imaginait qu'au lieu « d'élever des boeufs, on pourrait, se disait-il, cultiver directement des biftecks ».
Un roman très étonnant, très riche bien qu'amputé, qu'on devra lire avec attention pour en retirer toute la substantifique moelle.
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critiques presse (3)
NonFiction
24 janvier 2022
Contenant des articles de Cécile Guilbert et de Billy Branty, des entretiens, notamment avec Philippe Pareno, et des ouvertures vers les « artistes alliés », comme Raymond Hains, ce très beau livre pose à la nouvelle génération l’ultime question de Daumal : « Et vous, que cherchez‑vous ? »
Lire la critique sur le site : NonFiction
LeFigaro
17 janvier 2022
Publié en 1952, six ans après la mort du poète, dramaturge, essayiste René Daumal (1908-1944), Le Mont Analogue est ce livre à part de la littérature française. Son influence fut décisive pour les artistes de la contre-culture américaine des années 1960 et c’est tout naturellement qu’on trouve dans cette très belle édition intitulée Les Monts Analogues de René Daumal, réalisée par Boris Bergmann, et composée de nombreux documents originaux, de photos inédites, d’essais, une préface de Patti Smith.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LeMonde
13 août 2021
Alpinistes chevronnés ou simples randonneurs, les amateurs d’altitude s’arrachent le roman inachevé de René Daumal. Au point d’en faire un outil presque aussi courant que le piolet ou le sac à dos.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (50) Voir plus Ajouter une citation
Encore une fois, ne médisons pas de ces gens qui, découragés par les difficultés de l’ascension, se sont installé sur le rivage et en basse montagne et s’y sont fait leur petite vie ; leurs enfants, au moins, grâce à eux, grâce aux premiers efforts qu’ils ont fait pour venir jusqu’ici, n’ont pas ce voyage à faire. Ils naissent sur le rivage même du Mont Analogue, moins soumis aux néfastes influences des cultures dégénérées qui fleurissent nos continents, en contact avec les hommes de la montagne, et prêts, si le désir en eux se lève et si l’intelligence s’éveille, à entreprendre le grand voyage à partir du lieu où leurs parents l’ont abandonné.
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COMPLAINTE DES ALPINISTES MALCHANCEUX
Le thé sent l’aluminium, douze paillasses pour trente hommes, c’est vrai que ça tenait chaud, mais ils sont partis plus tôt, dans l’air en lames de rasoir, entre le blanc et le noir.
Ma montre s’est arrêtée, la tienne s’est embrouillée, on est tout gluants de miel, y a des grumeaux dans le ciel, on part qu’il fait jour déjà, le névé jaunit déjà, les cailloux pleuvent déjà, y a du froid dans la main lourde, y a du pétrole dans la gourde, y a de la gourde dans les doigts, et la corde a des raideurs d’hérisson de ramoneur.
La cabane était puceuse, et disgracieux les ronfleurs, j’ai la gelure à l’esgourde, tu as l’air d’une macreuse, je n’ai pas assez de poches, tu retrouves ma boussole dans un noyau de pruneau, j’ai oublié mon couteau, mais tu as ta brosse à dents.
Y a vingt-cinq mille heures qu’on monte, et on est toujours en bas, empâtés de chocolat, nous taillochons le verglas, nous grippons dans du fromage, y a de l’âcreur dans le nuage, on y voit blanc à deux pas.
Halte un peu qu’on se ménage, voilà mon sac qui s’ébat, en me décrochant le coeur ; il gambade vers l’en-bas, y a des trous plus noirs que verts, des glouglous, des chemins de fer, dix mille sacs sur la moraine, des faux sacs et des vrais trous, et des sales gros croquenjambes ; enfin voilà mon schaos, mets ta bouillie sur mon dos, mutissons-nous de noyaux de prudence et de pruneaux.
La rimaie va crever de rire, nous enfonçons jusqu’aux barbes, voilà l’espace qui grésille, on s’est trompé de touloir, nos genoux claquent des dents, le gendarme se défend, j’ai un bloc dans la mémoire, un surplomb dans l’estomac, on ne peut plus dire que soif, et j’ai deux gros doigts vert pâle.
On n’a pas vu le sommet, sauf la boîte de sardines, on coinçait tous les rappels, on passait sa vie entière à démêler la ficelle. On est tombé dans des vaches. "Z’avez fait une jolie course ?" – "Epatante, Monsieur, mais dure".
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Je suis mort parce que je n’ai pas le désir,
Je n’ai pas le désir parce que je crois posséder,
Je crois posséder parce que je n’essaye pas de donner ;
Essayant de donner, on voit qu’on n’a rien,
Voyant qu’on n’a rien, on essaye de se donner,
Essayant de se donner, on voit qu’on n’est rien,
Voyant qu’on n’est rien, on désire devenir,
Désirant devenir, on vit.

René Daumal, mai 1943
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Souvent, d’ailleurs, aux moments difficiles, tu te surprendras à parler à la montagne, tantôt la flattant, tantôt l’insultant, tantôt promettant, tantôt menaçant ; et il te semblera que la montagne répond, si tu lui as parlé comme il fallait, en s’adoucissant, en se soumettant. Ne te méprise pas pour cela, n’aie pas honte de te conduire comme ces hommes que nos savants appellent des primitifs et des animistes. Sache seulement, lorsque tu te rappelles ensuite ces moments-là, que ton dialogue avec la nature n’était que l’image, hors de toi, d’un dialogue qui se faisait au-dedans.
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- Vous voyez ce que je dois faire pour gagner ma croûte, me dit-il. J’aurai voulu vous recevoir mieux...
- Je croyais que vous travailliez dans la parfumerie, interrompis-je.
- Pas seulement. J’ai aussi à faire dans une fabrique d’appareils ménagers, une maison d’articles de camping, un laboratoire de produits insecticides et une entreprise de photogravure. Je m’engage partout à réaliser les inventions jugées impossibles. Jusqu’ici, cela a réussi, mais comme on sait que je ne puis rien faire d’autre, dans la vie, que d’inverter des absurdités, on ne me paie pas gros. Alors, je donne des leçons d’escalade à des fils de famille fatigué du bridge et des croisières. Mettez-vous donc à votre aise et faites connaissance avec ma mansarde. (p. 23-24)
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Vidéo de René Daumal
[RARE] René DAUMAL – Une Vie, une Œuvre : La traversée des apparences (France Culture, 1992) Émission "Une Vie, une Œuvre" par Jacqueline de Roux, sous-titrée "la traversée des apparences", diffusée le 10 décembre 1992 sur France Culture. Invités : Pascal Sigoda, André Coyne, Nadine Nimier, Jean-Marie Turpin, Geneviève Lieff et Jean Bies. Lecteurs : Catherine Laborde, Serge Renko, Sandrine Romel et Patrick Liegebel.
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