Il y a des essais qui changent votre vision des choses, celui-ci en fait parti. On a tué dieu, on a voulu devenir comme lui et on s'est cassé les dents. Camus nous reconstitue comment, d'un point de vue théorique, les états et idéologies totalitaires sont venus au monde. Comment ces états ont remplacé dieu, ils ont fondé un ordre messianique basé sur l'assimilation (le communisme) ou le rejet (le fascisme). Ils ont bâti une réalité de mensonge, de falsification et de meurtre logique et rationnel. Comment en est-on arrivé à une telle révolte? Camus analyse ce résultat par le biais de figures philosophiques mais aussi d'acteurs.
Et la, bah faut un peu de culture philosophique, historique et politique. Mais franchement, avec Wikipédia, cela reste plutôt accessible. Camus commence par ceci: "Il y a des crimes de passion et des crimes de raison, dès l'instant où le crime se raisonne, il prolifère comme la raison elle-même, il prend toutes les figures du syllogisme. Il était solitaire comme le cri, le voilà universel comme la science." La révolution mais également son contraire, à savoir l'ordre nihiliste sont ces expressions les plus visibles. Camus montre les étapes de la pensée qui ont permis l'avènement de ce messianisme et de ces résultats.
La France a tué le représentant de dieu sur terre, on a tué non un homme mais un concept. Bienvenu dans l'ère moderne, rien n'a plus de sens, alors faut en fonder un. On a divinisé la raison et encouragé la vertu... Mais il manquait les moyens techniques ainsi que la théorie. Alors perfectionnons la, que l'unité et la justice règnent de nouveau en ce monde. Rousseau,
Sade, Saint Juste Hegel, Marx, Nietzche mais aussi tout ceux qui ont inspiré notre bon vieux
Lénine, principalement venant des théories du terrorisme individuel. Tout passe à la moulinette pour nous fournir une petite démonstration sur la révolution et ces contradictions.
" le prolétariat est forcé d'user de sa richesse pour le bien universel. Il n'est pas le prolétariat, il est l'universel s'opposant au particulier, c'est-à-dire au capitalisme. le juge c'est l'histoire, l'exécution de la sentence c'est le prolétaire. Les crises succèderont aux crises, la déchéance du prolétariat s'approfondira, son nombre s'étendra jusqu'à la crise universelle ou disparaîtra le monde de l'échange, et ou l'histoire, par une suprême violence, cessera d'être violente. le royaume des fins sera constitué." Et pour ce rêve et son avènement, n'est il pas beau de se sacrifier, non, mieux de tout sacrifier.
le fascisme a le souhait de faire advenir le royaume de l'irrationalité et de la pureté dans le temps présent, le communisme, lui, au nom de la raison, pour libérer l'homme de l'avenir, l'asservit au présent. Dans sa critique totale de la vertu formelle, il nie la liberté du désir au nom du rationnel. Sa volonté de tout rationaliser, de tout réécrire pour y retrouver des valeurs, a propulsé ce régime à l'irrationnel messianique. Et qui a mené à de grandes purges excommunicatrices, des inquisiteurs et des procès. Retour à case départ, on a tué dieu pour en rappeler un nouveau à la rescousse.
Puis il continue son essai sur la révolte dans l'art et de la place de celle-ci dans une réinvention de la révolution. Une démonstration fort théorique. Il continue sa critique, que se soit du césarisme révolutionnaire mais aussi de la révolte métaphysique qui concède au meurtre, une place existante. Il continue sur le grand problème de la société productrice et non créatrice. La société capitaliste lutte avec le divertissement, la communiste avec le rêve. Au final, ils vendent la même chose mais pas de la même manière.
Camus, à la fin de l'ouvrage, propose une nouvelle forme de révolte, celle de la volonté de "changer la vie". Une autre alternative est donc possible dans la mesure où l'on retrouvera un sens personnel dans les choses, dans sa manière d'être, un sens aussi où l'on sera capable de remettre en question des choix de vie, son mode de vie, autrement dit encore, dans une foi active (dans le sens défini par
Vladimir Jankélévitch , c'est à dire, dans le fait de se fiancer, non pas à une idée, mais à des valeurs telles que l'amour, la justice, la recherche de la sagesse, à la recherche aussi de la paix et de la vérité (écouter son rythme intérieur), sans oublier la recherche de la joie, cet état de bonheur dont parlait
Arthur Schopenhauer dans
Aphorismes sur la sagesse dans la Vie ). Une révolte non pas nihiliste mais qui part plutôt de la volonté de puissance.
Mais au final, cette façon de voir les choses ressemble fort à du messianisme. Camus est très conscient de la différence entre la pensée libertaire occidentale et la pensée allemande orthodoxe. Je pense pour ma part que la prise de conscience collective n'est qu'un doux rêve.
La société du spectacle de
Guy Debord le montre à merveille. La première des libertés que nous offre le capitalisme, c'est de jouir sans réserve, le désir et son assouvissement sans fin. Pour moi, cela reste de l'esclavage et de manipulation sans fin, la liberté, c'est celle de pouvoir comprendre le monde et d'y participer, ce sont deux conceptions qui s'affrontent. On nous vend la première dans cette société, de ce point de vue, la prise de conscience collective est impossible. Mais au final, doit-on imposer ce second modèle? Et surtout à quel prix...
Nous avons une nouvelle religion, celle du divertissement. Mais il est soumis à l'impératif matériel, et avec la crise écologique. Ne serions nous pas au final, en train de tuer un nouveau dieu? Espérons que les conséquences ne feront pas passer la seconde guerre mondial pour une partie de plaisir et que ce qui advienne ne soit pas pire... Pas comme la première fois...