Il s'agit d'un des tous derniers témoignages de la période stalinienne. En effet l'auteur a été arrêté en 1935, accusé à même pas 15 ans pour activités contre-révolutionnaires. Il est envoyé aux Solovki, ensemble d'îles dans le Grand Nord avec un splendide monastère déjà reconverti en prison sous les tsars et réutilisé par les Soviétiques à partir des années 20. Jusqu'en 1986 aucune possibilité n'est donné aux survivants des camps de témoigner même si presque toutes les victimes des camps staliniens ont été réhabilitées. Jusque là, à part
Une journée d'Ivan Denissovitch, aucun texte mentionnant l
e Goulag n'a été publié en URSS. A partir de 86, les récits se multiplient, entre la publication des textes parus auparavant en Occident et de nouveaux témoignages. Si les premiers étaient suspectés d'antisoviétisme, les seconds au contraire, se voient reprocher de parler bien tard. Peu importe, vu le nombre de personnes concernées, aucun témoignage n'est superflu.
Ce qui est ahurissant dans ce récit, c'est la qualité incroyable des détails et des souvenirs, en particulier dans la première partie (Les Solovki). Il faut dire que l'auteur a une mémoire hors norme (c'était aussi probablement un HPI, une sorte de surdoué) : il réussit en camps à atteindre un niveau bac (au passage il apprend l'allemand en partant de zéro, acquiert des compétences d'infirmier, …) Cette partie a encore d'incroyable qu'il se souvient de ses impressions, y compris sur la beauté des lieux, et en plus, il arrive à nous communiquer tout cela, comme si cela était arrivé il y a peu de temps ou comme s'il était encore cet adolescent. C'est saisissant. Par contre, c'est dommage qu'un peu pour la même raison la lecture soit légèrement compliquée par de nombreuses notes et explications car aux Solovki il a rencontré beaucoup de célébrités. Quel dommage que ces mémoires soient inachevées ! Quel dommage aussi qu'il n'est pas rencontré
Soljenitsyne à l'époque de la rédaction de
L'archipel du Goulag ! Car Tchirkov était à lui tout seul une encyclopédie, la mémoire vivante des Solovki d'avant les Grandes Purges, d'un temps où il y avait des détenus étiquetés «politiques» et où ils avaient en plus des avantages par rapport aux «droits communs», une époque où il y avait une bibliothèque (d'une richesse absolument incroyable!) aux Solovki ainsi qu'un hôpital digne de ce nom. Il y a fait des rencontres extraordinaires, des vieillards héros d'avant 1917, de nombreux acteurs de la Révolution, des professeurs d'université, … Et puis surtout, même s'il avait de toute évidence des facilités, quelle volonté de fer pour avoir réussi à faire des études universitaires alors qu'il était interdit de séjour dans toutes les villes universitaires ! Il a fini, malgré tous les bâtons qu'on lui a mis dans les roues, par soutenir une thèse de géographie (en 1970) et devenir professeur d'Université (climatologie et météorologie). Belle réussite, mais quel gâchis aussi ! Il aura passé en tout 11 ans au Goulag, sans compter toutes les périodes de relégation !