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EAN : 9782378801526
384 pages
L' Iconoclaste (19/08/2020)
3.87/5   232 notes
Résumé :
La photo est célèbre. Celle d’un premier communiant, cheveux ramenés sur le côté, regard qui défie l’objectif. Ce garçon-là s’appelle Arthur Rimbaud. Ce qu’on ignore, c’est que, sur la photo d’origine, pose à côté de lui son frère aîné, Frédéric.
Cet autre Rimbaud a été volontairement rayé de l’image, comme il a été oublié par les plus grands spécialistes du poète. Pourtant, les deux frères furent d’abord fusionnels, compagnons d’ennui dans leurs Ardennes na... >Voir plus
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°°° Rentrée littéraire #18 °°°

Bien sûr, il y a cette photographie iconique d'Arthur Rimbaud, prise en 1871, il a 17 ans, « l'enfant sublime », lorsqu'Etienne Carjat l'immortalise à jamais, le regard clair perdu au loin dans ses pensées. Et puis, il y en a une autre, très connu aussi, de Rimbaud en tenue de communiant, le regard franc et légèrement insolent. Cette photographie là, prise en 1866, a été grossièrement " retouchée" ou plutôt recadrée en 1910 pour ne faire apparaître que le seul Arthur, effaçant un bras qui était celui, initialement, de son frère aîné d'un an, Frédéric, effaçant la totalité du frère. Un frère maudit, déchu, renié, ostracisé de la légende rimbaldienne réécrite par sa mère puis sa soeur Isabelle aidée de son mari Patterne Berrichon.

Pourquoi avoir effacé ce frère, cet autre Rimbaud dont le poète a été si proche durant son enfance ? C'est ce mystère qu'entend lever David le Bailly dans ce récit passionnant et très documenté, oscillant de façon très fluide entre fiction et enquête, mais profondément romanesque dans sa construction.

De l'enquête, on retient toute la rigueur de l'auteur qui a ingéré une masse importante de documents sur la famille Rimbaud, pour en faire un rendu clair, net, aisé à assimiler pour le lecteur. Son récit est régulièrement émaillé de citations ou d'extraits de lettres, notamment une, absolument étonnante, où la terrible mère de Rimbaud écrit à un Verlaine au bord du suicide, des mots consolateurs.

C'est pour redonner visage, voix, chair et émotion à ce frère paria que la forme romanesque prend tout son sens et son ampleur, comme une réhabilitation profonde de l'injustice qu'il a subi de son vivant . Il faut dire que le portrait ici dressé de la famille Rimbaud tient du grand roman dix-neuvièmiste. Une mère, Vitalie Cuif, acariâtre, castratrice et dictatoriale, d'une méchanceté hargneuse telle qu'elle fit tout pour empêcher son fils aîné de se marier avec une femme jugé indigne du clan : il dut oser s'opposer à elle lors d'une longue bataille juridique qui se soldat par une victoire, l'arrêt Rimbaud vs Rimbaud. Une soeur, Isabelle, façonnée par la mère dans la haine de son frère aîné et dans l'idolâtrie du génial Arthur jusqu'aux mensonges et l'hypocrisie .

Arthur Rimbaud y apparait très loin des clichés positifs l'entourant : antipathique, embourgeoisé, prétentieux, bien loin du mythe : l'autre Rimbaud, c'est également lui, décrit sous sa face sombre. Bien sûr, on parvient à comprendre les ressorts qui ont poussé toute une famille à effacer un de leur membre faisant tâche avec sa femme paysanne et sa condition modeste de conducteur de coche ; et puis Frédéric était surtout celui qui pouvait contredire la légende rimbaldienne réécrite après la mort du poète à 37 ans.

L'auteur livre là une belle réflexion sur la mécanique des secrets de famille et offre une juste réhabilitation à cet inconnu au patronyme illustre.
Il s'appelait Frédéric. Frédéric Rimbaud.



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Bonsoir chers amis, une question comme cela me vient ce soir à l'esprit, au bord du crépuscule, où J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques : connaissez-vous Rimbaud ?
- Rimbaud ? Bien sûr, quelle question ?
- Certes, mais quel Rimbaud connaissez-vous ?
- Rimbaud, le seul, l'unique, le poète... Arthur Rimbaud !
- Ah oui je vois... Mais je vous parlais de l'autre Rimbaud, son frère, Frédéric, ainé d'un an. L'inconnu.
- ... ?
- Bon je vois. Alors je vais vous en parler car moi non plus je ne connaissais pas le fin mot de cette histoire avant de découvrir cette passionnante biographie romanesque proposée par David le Bailly...
L'autre Rimbaud, c'est justement l'inconnu qui figure à l'âge d'enfant sur une photo au côté de son frère au moment de leur communion. Ils s'appellent Frédéric et Arthur. Un an seulement les sépare. D'ailleurs, peu de choses les sépare encore, ils sont complices sur bien des terrains, à commencer par la peur de leur mère et presque la haine à son égard, l'envie de fuir ensemble son autorité matriarcale, une mère déjà castratrice, mais aussi l'amour des fugues alentours.
Ah ! Cette fameuse photo !... Rien que l'histoire de cette photo, retouchée plusieurs fois par la famille pour qu'elle entre dans le cadre idéal de l'image parfaite, qu'elle corresponde à ce que la famille prône comme valeurs.
L'autre, dès lors, n'existe plus.
" C'est bien vous l'autre Rimbaud ? le frère du poète ? "
Tandis que je descends les fleuves impassibles, je suis entré dans ce livre comme dans une enquête policière. Je savais déjà qu'Arthur Rimbaud avait seulement existé entre l'âge de quatorze et de dix-huit ans en tant que poète, qu'il avait renié plus tard ce parcours d'artiste, lors de son expérience africaine dans son engagement dans les affaires commerciales. Je savais qu'il n'avait publié de son vivant qu'une seule oeuvre, et laquelle ! Une saison en enfer... Sa célébrité en tant que poète vint longtemps après sa mort...
Voilà pour le décor...
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais. Je suis entré en terre inconnue lorsqu'il s'est agi de poser le doigt sur l'autre, celui qui reste toujours dans l'ombre, le poids d'un frère ou d'une soeur célèbre, que devient l'autre alors. C'est le propos de David le Bailly, au ton parfois personnel que j'ai trouvé juste, sensible, qui n'enlève rien au génie d'Arthur Rimbaud, j'ai presque envie ici de désigner ce dernier comme l'autre, tant le personnage principal du récit ici n'est peut-être pas l'autre, celui qu'on croit l'autre, celui qui n'était pas l'autre devient peu à peu l'autre sous les mots justes de David le Bailly, enfin vous me suivez toujours j'espère...
Une mère castratrice, une fille qui le devint sous sa coupe, on fait dire ce qu'on veut à un mort, en plus lorsqu'il est célèbre et ne peut plus s'exprimer. On retouche sa statue tant qu'à faire. Arthur Rimbaud, poète maudit, devient pendant quelques années, par la manipulation d'une caste familiale effroyable, presque un saint, un dévot, un monarchiste, un garant de l'ordre et du respect. Certains y ont cru un instant...
La tragédie dans cette histoire est celle d'un homme bafoué, banni, oublié, effacé, au sens propre comme au sens figuré.
Le propos de l'auteur ainsi que sa démarche sont emplis d'humilité, c'est ce qui m'a touché. Pourquoi tant de gens célèbres, Paul Claudel, André Gide, Victor Segalen, plus tard Yves Bonnefoy que j'apprécie tant, ont eu tant de mots pour dire l'idiotie de ce frère qui ne méritait pas de figurer sur la photo.
Certes Frédéric était moins doué qu'Arthur à l'école, certes Frédéric exerça un métier peu considéré au regard de sa mère, domestique, conducteur d'omnibus (entendez là chers amis avec des chevaux !).
Frédéric eut cependant le cran de résister à cette tyrannie familiale...
Alors, il y a quelque chose de sidérant que j'ai découvert dans la mort d'Arthur Rimbaud et de son frère Frédéric... Je n'en dirai pas plus, mais pour ceux qui seraient un peu attentifs aux choses un peu irrationnels et sensibles aux malédictions, cela vaut l'étonnement tout de même...
Dans les clapotements furieux des marées, ce récit est une réhabilitation d'un être effacé à tort, un laissé pour compte, pas forcément l'idiot de famille, plutôt écrasé par un poids énorme, il était une tâche et on voulait l'effacer...
D'ailleurs pendant longtemps Arthur Rimbaud était aussi une tâche dans la façon bien-pensante et conformiste de la famille, jusqu'au jour où, mort, puis devenant célèbre, la famille au travers de cette satanée soeur Isabelle, sentit l'intérêt financier qu'il y avait à réveiller le mort et sut s'en servir au détriment de son frère, qui lui demeura toujours sincère vis-à-vis de lui et des autres, ce fut cette sincérité qui le perdit...
La tempête a béni mes éveils maritimes. J'ai aimé ici cette tirade de Ruy Blas à Don Salluste cité par l'auteur et qui porte le sens du récit : « J'ai l'habit d'un laquais, vous en avez l'âme ! »
Bref ! Au-delà du cas Rimbaud, l'auteur nous propulse dans une véritable réflexion sur le poids de la célébrité et les déflagrations collatérales parfois tragiques. Génial !
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Un coup de coeur que cette enquête minutieuse de l'auteur concernant le grand sacrifié de la tribu Rimbaud : le grand frère du poète !
Mais quelle violence insensée contenue dans cette famille, et dans cette figure maternelle, ne supportant pas les hommes ; les combattant ; ses frères, comme son mari militaire, comme ses fils… Cet aîné a eu l'extrême mauvaise idée de se révolter contre Vitalie, en continuant de voir en cachette, son père, de se battre pour la femme qu'il aimait, et qu'il voulait épouser !

Ce « soit-disant raté » aura eu le courage de se révolter contre cette mère abusive et terrorisante ! Frédéric paiera sa « résistance » bien cher !! Et nous, lecteurs, nous nous attachons d'autant plus à cet homme ; nous aimerions tant que le destin change, se renverse à son avantage, enfin… !

L'auteur , un jour, en entendant Pierre Michon parler de ce frère du poète, ignoré de tous, rayé de la terre, sur lequel il souhaitait écrire (et finalement , n'y ayant pas réussi)…lui est venue l'envie de s'atteler à ce projet difficile. Cela lui a donné l'élan et l'envie pour entamer ce projet et cette enquête… Nous lui en sommes reconnaissants, car David le Bailly nous offre un récit poignant, doublement , car en sus de la narration sur l'existence massacrée , tuée et tue de Frédéric (qui portait par malchance, le prénom paternel !), il nous fait partager la progression de ses démarches auprès de possibles porteurs de mémoires (dans les descendants), ainsi que les résonances induites dans son propre parcours de fils auprès d'une mère, peu amène et aussi « despotique », autoritaire que la marâtre des frères Rimbaud.

J'apprends avec plaisir qu'un auteur que j'estime beaucoup n'aura pas « crié avec les loups » et contribué à ces mensonges ; il s'agit d'André Suarès…Ce pourquoi, je transcris l'extrait suivant qui en dit long sur la fabrication de la légende construite artificiellement autour du grand « Arthur Rimbaud »…qui en dit long aussi sur tous les comportements « pas très catholiques » des héritiers spirituels ( et financiers !!) des écrivains et artistes , après leur mort…!

« En exergue

Pourquoi n'y a--t-il jamais un mot du frère Frédéric qui, à un an près, est du même âge que Rimbaud ? Ce frère passe pour avoir été un coureur de femmes, un homme qui aime la vie, un mauvais sujet comme on dit entre bigotes. de lui, je ne sais rien du tout. Peut-être était-il seulement une tête légère, un irrégulier, un outlaw de province, après tout, une ébauche ridicule de son frère. Mais il a vécu. Il est sans doute mort. Puisque l'on parle de la sainte mère et des saintes soeurs, il faut parler du frère mauvais sujet: il a beaucoup d'intérêt pour nous s'il n'en a pas pour la famille. --André Suarès »

De ce texte, le cadet, Arthur, ne ressort pas grandi, bien au contraire !

« Ou peut-être ont-ils peur de ce qu'il peut raconter, de ce qu'il sait, et il en sait beaucoup, bien plus qu'eux. A Arthur, il a été uni comme personne ne le fut par la suite, uni comme on l'est à un jumeau. Elevés ensemble, partageant la même chambre, les mêmes jeux, les mêmes punitions, les mêmes révoltes contre la mère. Arthur, sûr de lui, secret, méfiant; Frédéric, affable, franc, dévoué. Longtemps, le second fut le seul public du premier (...) « (p. 21)

Une lecture « secouante » ,fort instructive à tous points de vue…J'ai fortement apprécié le style et la très forte empathie de David le Bailly pour son personnage, Frédéric…à qui il aura donné , grâce à ce livre, pour une fois, une place de choix,et « la parole »…enfin !!

Un supplément de compliment pour la couverture fort réussie, très largement représentative, symbolique de cette histoire tragique , ainsi que pour les choix toujours passionnants de cette maison d'édition (qui porte bien son nom), « L'Iconoclaste » !!
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Je remercie Babelio et les éditions l'Iconoclaste de m'avoir adressé cet ouvrage.
 Avant de parler du livre de David le Bailly « L'autre Rimbaud », il me semble opportun de donner mon sentiment au sujet d'une pétition qui vient d'être lancée demandant l'entrée conjointe d'Athur Rimbaud et de Paul Verlaine au Panthéon.
 Les pétitionnaires n'énoncent rien moins que quatre raisons que je résume ci-dessous :
1 — Littéraire : pour l'influence que ces deux poètes de génie ont eue sur notre histoire littéraire.
2 — Politique : C'est à Verlaine que l'on doit le vers célèbre annonçant le débarquement en 1944 :
« Les sanglots longs des violons de l'automne
Bercent mon coeur d'une langueur monotone »
et c'est à Rimbaud qu'a été emprunté « Changer la vie », le slogan de la gauche des années 1970.
3 — Morale : car les tombes des deux poètes sont laissées à l'abandon sous la poussière.
4 — Judiciaire : en 1873, Paul Verlaine a été condamné à deux ans de prison pour avoir tiré deux coups de revolver sur Rimbaud. Ce dernier, dont la blessure était légère a ensuite retiré sa plainte. Verlaine est pourtant resté 555 jours en prison. Les auteurs de la pétition arguent aussi du fait que la police de Paris aurait favorisé l'aggravation de la peine en dénonçant « ce drôle de ménage ».
 En conclusion les pétitionnaires considèrent que l'entrée au Panthéon de Rimbaud et Verlaine serait un geste d'une portée symbolique considérable. Suivent les signatures de plusieurs anciens ministres de la culture ainsi que celle de la ministre actuelle Roselyne Bachelot.
 On peut admettre qu'il s'agit là de deux poètes majeurs qui méritent une certaine reconnaissance du monde littéraire, mais de là à en faire des héros de la patrie au motif que l'un aurait été condamné trop sévèrement pour une tentative de meurtre et que tous deux reposent dans des tombes mal entretenues, c'est un peu beaucoup. Un autre motif est évoqué en tête de la pétition et semble être un des éléments principaux motivant la demande :
« Ils sont aussi deux symboles de la diversité. Ils durent endurer “l'homophobie” implacable de leur époque. Ils sont les Oscar Wilde français. »
 L'homosexualité des deux poètes serait-elle un atout supplémentaire pour leur Panthéonisation ? Ce mélange entre le mérite littéraire et la volonté de défendre la diversité ne me semble pas pertinent. Nos deux poètes maudits ne sont pas forcément des modèles d'humanité, l'un était un alcoolique invétéré, violent (il battait sa femme), il n'a pas hésité à tirer deux balles de revolver sur son ami au terme d'une querelle d'amoureux, il a aussi tenté d'étrangler sa propre mère. Verlaine était en totale rupture avec la morale convenue de son temps. On pourrait aussi reproché à Rimbaud d'avoir souhaité s'enrichir en Afrique en profitant de l'ambiance esclavagiste, sans s'en émouvoir, et d'avoir aussi mené à but lucratif une entreprise de trafic d'armes. Car si le poète doit être un « voyant » (1) comme le déclare lui-même Rimbaud, cela ne l'empêche pas pour autant de « fermer les yeux » quand cela l'arrange. Nul n'est parfait, et le génie poétique n'est finalement pas incompatible avec la délinquance (François Villon est le premier des poètes maudits).
 La sincérité de la passion rimbaldienne des pétitionnaires n'est pas à remettre en cause et leur démarche a le mérite de donner un nouveau coup de projecteur sur ces deux immenses poètes dont j'apprécie l'oeuvre (avec une préférence pour Verlaine), mais j'espère, au cas où la pétition n'aboutirait pas, que pour le moins, ils constitueront une cagnotte pour l'entretien des tombes. Un petit geste d'attention à la mémoire des poètes qui eux-mêmes auraient sans doute refusé la Panthéonisation. Doit-on rappeler que Rimbaud, ancien communard, anticlérical, pourfendeur de la bourgeoisie bien-pensante, antimilitariste, épris de liberté jusqu'à prôner l'anarchiste, à remis en question tous les codes académiques ? Je doute qu'il se sentirait à l'aise dans ce temple du conformisme. Et comme le dit très justement l'écrivain et blogueur Laurent Sagalovitsch : « L'homosexualité a toute sa place au Panthéon. Et s'il fallait en choisir un qui la représente, qui d'autre que Marcel Proust dont le judaïsme de naissance appuierait encore un peu plus la diversité de l'institution ? N'incarne-t-il pas à lui tout seul la grandeur immarcescible du génie français ? Et à n'en pas douter, lui, le chroniqueur sublime des mondanités parisiennes, envierait pareil hommage. »
Revenons maintenant au livre de David le Bailly.
 Le nom d'Arthur Rimbaud évoque le visage angélique d'un adolescent au génie poétique précoce et trop tôt disparu. Pour beaucoup il évoque aussi le souvenir de poèmes sublimes, riches d'innovations comme « Le dormeur du val », « Le bateau ivre » ou « Les voyelles ». On s'imagine un jeune homme romantique fragile et sensible, séduit par la notoriété naissante de Paul Verlaine dont il deviendra le compagnon de vie et d'errance pendant trois courtes années tous deux à la recherche d'un idéal poétique. Dans mon imaginaire Rimbaud était de la même veine qu'un François Villon, lequel était assimilé à un poète mauvais garçon, délinquant, aux idées vagabondes peu organisées, exprimant avec débordement une poésie instinctive. La précocité de Rimbaud, la brièveté de sa vie et son non-conformisme en faisait une étoile filante aux origines aussi incertaines que sa destination. En réalité les poèmes de Rimbaud, en particulier « Le bateau ivre », montrent une érudition au service d'un lyrisme et d'une pensée structurée. Son vocabulaire extrêmement riche emprunte au lyrisme des poètes grecs, il est non-croyant, mais la bible l'inspire, il rehausse de néologismes et de latinismes une palette sémantique étendue acquise par d'immenses lectures.
 Mais derrière ces impressions ou ces clichés rebattus n'y a-t-il pas une autre réalité ? de quel milieu est issu Arthur Rimbaud ? Quelles relations entretenait-il avec sa famille ? J'ai longtemps cru que Rimbaud était mort très jeune, disons de tuberculose à 25 ans comme beaucoup de génies précoces, dans le respect d'une tradition tenace. La réalité est encore plus tragique. Je n'avais jamais été au-delà de la lecture de quelques-uns de ses poèmes, sans me documenter sur le détail de sa vie qui ne fut pas si courte que cela puisqu'il est mort à 37 ans d'un cancer généralisé après avoir subi l'amputation d'une jambe. le livre de David le Bailly m'a éclairé sur certains aspects méconnus de la personnalité de « L'homme aux semelles de vent », mais aussi sur ses origines et son entourage en particulier sur sa mère et son frère.
 D'un point de vue littéraire il est vrai que l'on peut dire que Rimbaud est mort à 20 ans, c'est à peu près l'âge où il a subitement décidé de renoncer à écrire, sans que l'on sache réellement pourquoi. Comme s'il avait épuisé toutes les ressources que pouvait lui procurer la littérature pour choisir une autre voie, la liberté totale, l'aventure, les voyages, le renoncement à toute vie conventionnelle.
 Un jour, le journaliste et écrivain David le Bailly, entend parler à la radio de Frédéric Rimbaud, le frère du poète. Sa curiosité est mise en éveil par le mystère qui semble planer autour de sa vie. David le Bailly décéle intuitivement qu'il y a derrière ce frère un secret de famille bien gardé. Frédéric aurait été écarté de la mémoire familiale afin de ne pas ternir l'image du grand poète. Qu'en est-il exactement se demande David le Bailly, il décide de mener sa propre enquête.
 Frédéric et Arthur ont reçu la même éducation jusqu'au bac auxquels ils ont tous les deux renoncé trop pressés de prendre leur vie en main. Arthur est brillant, il rafle tous les prix et prend conscience dès l'âge de 15 ans de son génie poétique. Frédéric reste un élève moyen, mais rêve d'une carrière d'officier comme son père. Ce dernier a malheureusement déserté le milieu familial effrayé par le caractère acariâtre et possessif de sa femme Vitalie avec laquelle il ne parvient pas à s'entendre.
 Dans l'enfance, les deux frères sont inséparables et complices. Mais Arthur s'émancipe très vite et part à Paris rejoindre un cercle de poètes qui l'ont complimenté sur ces oeuvres. Dès lors Frédéric resté à la ferme familiale pour aider sa mère va devenir le souffre-douleur sur lequel sa mère cherchera à se venger de son mari qui selon elle lui aurait gâché la vie. À l'inverse Arthur sera célébré, adulé, admiré malgré ses frasques. C'est le point de départ d'une injustice qui va générer des péripéties dramatiques dignes d'un roman de Zola. L'auteur nous livre un texte à la frontière entre le roman et l'enquête journalistique. Moi qui n'aime pas trop les biographies romancées j'ai trouvé là un bon compromis où les séquences fictionnelles ne sont là que pour assurer une certaine continuité du récit sans trahir la vérité historique. le récit est entrecoupé de confidences de l'auteur qui nous dévoile des détails sur la manière dont il a mené son enquête. Cela donne un livre passionnant que j'ai dévoré en quelques heures avec l'envie d'en savoir encore plus sur tous les acteurs de cette incroyable histoire. On est littéralement happé, immergé dans ce monde paysan des Ardennes de cette fin du XIXe siècle.
 La mère de Rimbaud qui impose sa volonté avec une rare pugnacité est un personnage étonnant à la rancoeur tenace. Son intransigeance et son manque d'empathie sont à l'origine du malheur qui a frappé tous les membres de sa famille.
 C'est l'histoire de la relation entre deux frères, c'est aussi l'histoire d'un secret de famille, une histoire d'injustice et de vies amputées par l'égoïsme et la cupidité d'un clan. Cette enquête centrée sur Frédéric, « L'autre Rimbaud », apporte aussi, en creux, un éclairage étonnant sur la personnalité de son frère Arthur qui après avoir cessé d'écrire à 20 ans est devenu affairiste, négociant, désabusé. On mesure la perte de ses illusions en lisant ses propos tenus dans une lettre adressée aux siens en 1886 : « Enfin, l'homme compte passer les trois quarts de sa vie à souffrir pour se reposer le quatrième quart, et, le plus souvent, il crève sans plus savoir où il en est de son plan. »
(1) Dans une lettre du 15 mai 1871 à Paul Demeny, Rimbaud révèle ce qui, selon lui, caractérise le poète : « Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ».
Bibliographie :
« L'autre Rimbaud », David le Bailly, l'iconoclaste (2020), 371 pages.
« Rimbaudoeuvres complètes », classiques modernes, La Pochotèque (199), 1039 pages.
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L'autre Rimbaud, Frédéric...
J'aurais aimé moi aussi en savoir plus sur ce confident de l'enfance du poète...J'ai beaucoup lu sur Arthur, sa mère...le journal de Vitalie nous permet d'approcher un peu l'intimité du foyer et Isabelle aussi a beaucoup parlé, dit beaucoup de mensonges, on le sait...Mais de Frédéric on ne sait rien, parce qu il n'a jamais parlé...Je n'ai rien appris dans ce livre sauf un scoop rapide : Frédéric a communiqué avec son père à l'âge adulte, et je croyais que ce dernier n'avait jamais repris contact avec sa famille lâchement abandonnée...
Le livre souffre d'un manque de matière et les parties imaginaires qui pallient à ce manque ne sont pas nettement marquées.
Par ailleurs, dans son noble souci de rétablir la réputation injustement souillée du frère aîné, l'auteur tombe lui-aussi dans les jugements hâtifs. Oui la mère est dure et autoritaire, mais elle a été abandonnée seule avec quatre enfants, dont deux fils pour le moins compliqués dont elle doit assurer l'avenir. Une femme seule, quittée, dans une petite ville de province en 1860, c'est la honte, l'opprobre, elle doit faire front et n'a pas droit à l'erreur, on l'observe, l'epie, la juge. Quand les biographes des Rimbaud parviendront-ils à saisir la part terrible du départ du père dans la dislocation de la famille ? Quatre enfants laissés sans espoir de le revoir : pouvaient-ils se considérer autrement que comme des néants, juste bons à jeter ? Quelle image d'eux-mêmes ce père leur a-il donnée ? Désastreuse, évidemment. La mère a assuré, avec ce qu'elle avait et en se blindant à l'extrême.
Rimbaud, Arthur, en prend pour son grade: il devient dans le texte, après la littérature, le double de sa mère, âpre au gain, obsédé par l'argent...C'est beaucoup plus compliqué. Après l'échec de sa quête métaphysique, poétique, Arthur Rimbaud est mort à l interieur, carbonisé. Il n'a pas écrit des vers pour passer le temps ou parce qu'il en avait le talent, il a écrit pour changer le monde et il s y est mis tout entier. On ne revient pas d'un tel voyage. L'Arthur qui écrit à sa mère est un spectre ravagé.
Isabelle...Je ne sais pas trop alors je ne m'avancerai pas...J ignorais aussi, c'est vrai, qu'elle avait spolié son frère des droits d'auteur.
C'est sur la guerre réelle et étonnamment dure que se livrent la mère alliée à sa fille et Frédéric que j'aurais aimé que l'auteur, sans se borner aux faits, établisse des hypothèses plus profonde. Car après la lecture, elle demeure mystérieuse et, c'est vrai, profondément intéressante. Qu'a donc fait Frédéric pour mériter pareil traitement ? Un mariage ? Cela suffit-il à expliquer ce déferlement de haine ? Je n'ai pas eu la réponse...




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critiques presse (3)
LeSoir
28 décembre 2020
Le poète avait un frère, Frédéric, éradiqué de l’histoire familiale. Dans « L’autre Rimbaud », David Le Bailly le sort de l’ombre.
Lire la critique sur le site : LeSoir
Culturebox
17 septembre 2020
Ce nouveau roman en forme d'enquête dévoile un personnage resté dans l'ombre de la mythologie rimbaldienne : le frère d'Arthur Rimbaud.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Actualitte
16 septembre 2020
Cet autre Rimbaud raconte en filigrane la vie de l’Autre qui était Je, fascinant à travers toute son œuvre. L’approche familiale découvre des pans insoupçonnés de ceux qui ont enduré les génies littéraires, ouvrant une série d’interrogations sur ce qu’une pareille figure, imposante, voire trop, impose à la fratrie.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (39) Voir plus Ajouter une citation
Cette histoire, je tenais à la raconter d'un point de vue différent, celui des "petits" cultivateurs, journaliers, domestiques, cette population méprisée par la famille Rimbaud, et dans son sillage, par ceux qui ont écrit sur elle ( à quelques exceptions, comme André Suarès ou Robert Goffin) . Face à la parole des notables, des bons élèves du collège de Charleville, je souhaitais tendre un micro imaginaire aux descendants de ces "vies minuscules", ces vies qui, pour Frédéric, avaient beaucoup compté. Et à travers elles, faire entendre, sinon la voix de l'autre Rimbaud, du moins sa version des faits. (p. 326)
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Pour sa famille, pour les anciens du collège, Frédéric avait déchu.
Conduire une calèche ? charger des bagages dans un hôtel? Un travail de domestique!
Conducteur d’omnibus à la gare d'Attigny, c'était un beau titre pourtant. De ceux qui vous posent un homme. Qui vous distinguent. Il n'y en avait qu'un, et c'était lui, Frédéric Rimbaud.
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Chez les frères Rimbaud, ce qui me surprenait, c'était le contraste entre leur proximité durant l'enfance et leur indifférence à l'âge adulte. (...) Et pourtant cette histoire , il y eut bel et bien un bon fils, sanctifié par sa famille (Arthur), et un mauvais fils, sacrifié, puis dépossédé (Frédéric). Arthur n'a pas tué Frédéric. Mais son désintérêt, son mépris, ont contribué à son bannissement. (p. 228)
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En exergue

Pourquoi n'y a--t-il jamais un mot du frère Frédéric qui, à un an près, est du même âge que Rimbaud ? Ce frère passe pour avoir été un coureur de femmes, un homme qui aime la vie, un mauvais sujet comme on dit entre bigotes. De lui, je ne sais rien du tout. Peut-être était-il seulement une tête légère, un irrégulier, un outlaw de province, après tout, une ébauche ridicule de son frère. Mais il a vécu. Il est sans doute mort. Puisque l'on parle de la sainte mère et des saintes soeurs, il faut parler du frère mauvais sujet: il a beaucoup d'intérêt pour nous s'il n'en a pas pour la famille. --André Suarès
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Ou peut-être ont-ils peur de ce qu'il peut raconter, de ce qu'il sait, et il en sait beaucoup, bien plus qu'eux. A Arthur, il a été uni comme personne ne le fut par la suite, uni comme on l'est à un jumeau. Elevés ensemble, partageant la même chambre, les mêmes jeux, les mêmes punitions, les mêmes révoltes contre la mère. Arthur, sûr de lui, secret, méfiant; Frédéric, affable, franc, dévoué. Longtemps, le second fut le seul public du premier (...) (p. 21)
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"Hôtel de la folie" de David Le Bailly - éditions du Seuil
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