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Encore un cinq étoiles, pour ce livre aussi, car, comme c'est écrit, « en inconditionnelle de Sorel, elle les aimait tous et se refusait à les départager » (p. 330). Rendre hommage, c'est au fond lire et relire, faire lire, même pour de mauvaises raisons, de sorte que perdure une oeuvre qui déroute. Réédition plutôt que reddition du journaliste admiratif devant l'écran de son ordinateur. Traduire un « inclassable » c'est parfois aussi faire oeuvre de pénitence pour partager des passions communes. On a souvent laissé entendre que Linda Lê était « si peu de son époque ». Pourtant, ici, non sans un humour discret, elle qui a toujours « tir[é] des outsiders de l'oubli », nous montre qu'elle observe nos « gagnants du steeple-chase social ». On peut « sniffer des poppers, achetés dans des sex-shops, et qui nous rend[ent] hilaire, totalement high », et « s'enthousiasm[er] pour le mythe de la caverne de Platon (l'homme moderne n'est-il pas condamné à n'embrasser que des ombres et à ne vivre que dans un monde de fantôme ?) » (p. 45). On trafique nos curriculum vitae, mais nous ne sommes plus si nombreux à refuser de « téléphoner avec un portable (celui que Jean lui avait donné, il le lui avait aussitôt rendu en disant qu'il n'était pas un larbin, portant toujours sur lui cet engin diabolique et répondant dès qu'on le sonnait) ». Dans nos ateliers de cuisine, on s'adonne à « l'art d'accommoder les restes ». Et l'on craint de rater sa vie, car « de toute évidence, il [fiston] ne serait jamais dans les affaires, ni même fonctionnaire assuré d'avoir une confortable retraite!», mais travaillera au mieux comme vendeur dans un magasin d'ameublement auquel le patron est fier de donner le nom de « Mis en demeure ». Notre Anselm Kiefer ou notre Baselitz « avait son atelier dans une imprimerie désaffectée [délocalisation oblige] où un simple rideau l'isolait d'une famille de Tsiganes qui jouait du violon sur les marchés et parfois cuisinait pour lui. » [...] « Il s'était enfui loin de sa famille à dix-huit ans, et pour quoi ? Pour vivre moins bien qu'un romanichel ». Si la chance vous sourit et vous acceptez de la « reproduire », de ne surtout pas l'éconduire, vous épousez une riche qui vous fait goûter au caviar arrosé de vodka. Quand je pense à ce crieur que j'ai observé sur une plage quelconque : « Les beignets sont arrivés, qui c'est qui veut en manger ? Pour tous ceux qui ont la dalle, c'est un vrai régal ! » Dans « Vinh L. » quatrième de ses « Évangiles du crime », Linda Lê faisait dire à son narrateur « mon livre, pour exister, avait mangé d'autres livres. » Gourmets de tous les pays, réjouissez-vous !
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