A son ouverture en 1947, la décharge de
Fresh Kills, au sud de New-York, ne devait rester en activité que trois ans. En 2001, après avoir accueilli une partie des débris du World Trade Center,
Fresh Kills ferme enfin. Entre-temps, le site est devenu la plus grande décharge à ciel ouvert du monde. Aujourd'hui, cette enclave d'un millier d'hectares de Staten Island va être recouverte par un immense parc, construit sur les déchets.
C'est autour de cette mise à l'écart du rebut que débute le projet d'écriture de
Lucie Taïeb. Découverte par l'autrice dans les pages d'
Outremonde de
Don DeLillo, qui évoque sa présence monstrueuse aux portes de la ville, la décharge apparaît comme une figure du réfoulé, un symbole de notre déni de réalité face aux traces que nous laissons sur terre. Enquêtant sur ce lieu hors-normes et sur les mutations du tissu urbain qui l'entoure,
Lucie Taïeb compose un texte qui, comme son objet d'étude, procède par strates. A mesure que ses recherches progressent, son travail d'élaboration poétique vient se superposer aux discours historiques et techniques glanés dans les archives et les thèses de spécialistes. Cette passionnante sédimentation de l'écriture devient à son tour l'image de ce que l'humanité construit sur ses ruines et ses déchets, que ce soit pour en sauvegarder la mémoire ou pour les pousser dans l'oubli.