En brossant ces portraits d'hommes qu'il admirait,
Stefan Zweig nous place évidemment face à la mort. Parmi les textes rassemblés ici, se trouvent en effet l'éloge funèbre de
Sigmund Freud, celui de
Joseph Roth, le récit des vies tragiques de
Paul Verlaine,
Otto Weininger,
John Drinkwater, Gustav Mahler...
Mais la mort n'est pas seule à s'avancer vers nous sous la plume de Zweig. le deuxième mot qui ressort le plus puissamment est sans aucun doute "
amour". Zweig nous parle d'amitié, d'admiration, d'inspiration, mais il emploie aussi ce terme d'
amour pour plusieurs de ces hommes. Bien sûr, certains des textes rassemblés ici affichent une certaine emphase. L'origine de celle-ci peut se trouver dans le style propre à Zweig, pourtant toujours aussi limpide et mélodieux, mais aussi dans la nécessité de fournir la dose de lyrisme attendue quand il s'agit de tresser des lauriers à de respectables défunts (lors de leur enterrement ou dans une préface de leurs oeuvres) ou à de vénérables vivants (comme
Romain Rolland ou encore
Arthur Schnitzler, à l'occasion de son 60e anniversaire). Pour autant, l'usage du mot "
amour" par Zweig échappe à cet emballement commandité.
Amoureux des mots, de la musique, de l'entente entre les peuples, de l'humanité, Zweig ne rougissait pas d'affirmer aussi son
amour pour des artistes ou des penseurs de son temps ou des décennies précédentes. Il pourrait nous servir d'exemple : ne sommes nous pas plus prompts à affirmer nos haines et nos dégoûts que notre
amour et notre admiration ?
Cependant, la mort et l'
amour ne sont pas les deux seules forces qui traversent ce livre. La troisième, évidente et tellement indissociable de la personnalité de l'auteur, est son humanisme. Dans les textes sur
Jean Jaurès,
Albert Schweitzer ou
Lafcadio Hearn, Greco-anglais qui a fini sa vie au Japon, Zweig réaffirme son attachement aux valeurs de partage, d'engagement, de coopération. Partage d'idées entre artistes de toutes nationalités, engagement pour la paix, coopération entre les peuples européens (et au-delà de l'Europe), ce sont des idées que Zweig a soutenues toute sa vie. Elles apparaissent clairement dans ce recueil, faisant alors écho à ce chef-d'oeuvre en forme de testament que constitue
le Monde d'hier. Tous les textes de ce recueil, de longueur et d'époque de rédaction très diverses, ne sont pas de la même trempe que ce grand récit historique, mais certains sont puissants, comme ceux sur
Rilke ou Jaurès, et justifient que l'on s'intéresse à ce volume.