Égrenant les caricatures et fantasmes, non dénués parfois de réalité, que génère le mot " patron ", Michel Offerlé, grand spécialiste du monde politique et du patronat, prend le risque de la sociologie pour tenter de comprendre qui sont les patron·ne·s, ce qu`ils et elles font et ce qu`ils et elles nous fontAprès une plongée dans la culture populaire (bande dessinée, chansons, films, caricatures) présentant les images, le vocabulaire (patron-voyou, salaud de patron, cochon de patron, parasite, exploiteur...) voire le bestiaire carnassier (requin, hyène, vautour, corbeau, gros matou, gros verrat, loup-cervier, crocodiles de tous continents, pieuvre, plus rarement chien truffier, bovin, scorpion ou encore canard comme chez Picsou) qui entourent le mot chargé qu`est " patron ", et, fréquemment, en France à tout le moins, péjoratif ou insultant, Michel Offerlé entreprend dans ce petit ouvrage vivant de faire l`histoire et la sociologie des patrons.Il faut bien sûr commencer par l`étymologie : patron, pater/patronus, c`est d`abord la figure du père et celle du " saint patron " (prénom adossé à une légende et au culte des saints protégeant des lieux, des communautés, des métiers). Cette idée de protection familiale et/ou religieuse ne rencontre la vie économique qu`au xixe siècle. Ceux qui dirigent les fabriques, les usines ou les ateliers (qui ne sont pas encore désignés sous le vocable d`entreprises) sont appelés fabricants, industriels, négociants, maîtres. C`est après 1830 que le patron comme chef d`une unité économique apparaît politiquement et juridiquement après 1830. Dès lors, cette labellisation renvoie aussi à patronage puis à paternalisme, mélange de sentiment de devoir protecteur et de nécessaire surveillance.À partir de la seconde moitié du xxe siècle, le mot s`étire et on quitte, parfois, la famille, ou le patron nominal des grands groupes mondialisés, par exemple du CAC 40 ou du SBF 120 en France, est le plus souvent un " dirigeant " désigné et contrôlé par des actionnaires qui en sont les véritables propriétaires. Il y aussi les millions de nouveaux " entrepreneurs ", autrefois désignés comme autoentrepreneurs, qu`on serait bien en peine de les désigner comme des patrons, sauf à vouloir les enrôler, la plupart du temps contre leur gré, dans le sillage de la révolution entrepreneuriale qui annoncerait la fin du salariat. Et les entrepreneurs par nécessité (Uber par exemple), les reluctant entrepreneurs, sont plus nombreux qu`il n`y paraît.L`auteur fait enfin le tour des " valeurs " qui tiraillent (plus ou moins) patrons et patronnes, pris dans un XXIe siècle en crise : autonomie, engagement de soi, entraide et accomplissement mutuels, " féminisme "... Il n`omet pas non plus les désillusions associées (effacement des frontières entre sa vie de travail et sa vie personnelle, entre sa vie de jour et sa vie de nuit...), la mise en concurrence constante des salariés et les bullshit jobs... Ou les nouvelles manières de qualifier l`entreprise (mais cela change-t-il patrons et patronnes ?), au sein de l`économie sociale et sociale ou de ce qu`on appelle les start-up.Pour finir, l`Emmanuel Faber (patron écarté de Danone en 2021) qui se livre dans Ouvrir une voie (2022) ne décrit-il pas les ultimes limites de ce qu`on peut espérer pouvoir faire à l`intérieur du système ? Derrière ces patrons concrets, il y a en effet la boîte noire, la cage d`acier du capitalisme, dans lesquelles, elles et eux, et nous aussi, sommes pour le moment contraints d`agir.
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